Éducation : tout se joue-t-il vraiment lors des douze premiers mois du bébé ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Éducation : tout se joue-t-il vraiment lors des douze premiers mois
du bébé ?
©

Aareuh Aareuh

Le Journal of Child Psychology and Psychiatry vient de publier une étude qui montre notamment que les relations père-enfant dans les premiers mois de la vie sont capitales pour la socialisation future du bambin.

Alain De Broca et Jean-Charles Bouchoux

Alain De Broca et Jean-Charles Bouchoux


Neuropédiatre, Alain
de Broca a publié

Le développement de l'enfant :
Aspects neuro-psycho-sensoriels
 aux éditions Masson.

 
Jean-Charles Bouchoux
est psychanalyste et
formateur en institut 

dans la région d'Arles
et Montpellier. 

Voir la bio »

Atlantico : Une étude des chercheurs de l’université d’Oxford montre que des liens forts entre un père et son bébé entre 3 et 12 mois réduisent les risques de troubles du comportement de l’enfant. La première année de la vie serait-elle donc la plus importante pour le bébé ?

Alain de Broca : La première année est fondamentale, car c’est là qu’on pose les fondations de la construction du "moi". Et comment construire quoi que ce soit sans fondation ?

L’étape la plus importante, dans la première année, est le cap des 9 mois. C’est à ce moment là que l’enfant est capable de distinguer l’intérieur et l’extérieur de son enveloppe corporelle, de distinguer le « moi ». L’interaction sensorielle est exacerbée : les yeux, le toucher, l’olfaction, etc. Ce n’est donc pas le père ou la mère, mais tous les humains autour de lui, qui permettent à l’enfant de se construire et de différencier l’autre du soi. Si cette étape est manquée, il sera difficile de distinguer ce qui appartient à l’autre et ce qui appartient à l’enfant. Je ne dis rien de nouveau : j’appelle cela « la règle des 9 », tous les 9 mois, c’est une nouvelle étape dans la compréhension du monde. A 9 mois, le « moi-peau », à 18 mois le « oui/non », etc. C’est une observation empirique que font les praticiens et les parents. Si ces phases ne sont pas accomplies, la construction psychologique n’est pas complète.

Des troubles du comportement, des troubles de l’individuation apparaissent alors. L’enfant est incapable de discerner ce qui est lui et ce qui n’est pas lui, ce qui lui appartient et ce qui ne lui appartient pas. D’où colères, intolérance à la frustration ou incapacité à accepter l’autre dans sa différence. Cela dit, ce n’est pas ce qui fait le lit de la délinquance, comme on a pu l’entendre, même si ça peut y contribuer. Le résultat est la souffrance psychique.

Quel est le rôle particulier du père dans le développement de l’enfant pendant ces premiers mois ?

Alain de Borca :Le père est aussi important que la mère. Il est simplement indispensable d’avoir un tiers qui coupe la relation duale entre l’objet maternant et l’enfant. Le père peut ainsi aider, parfois, à séparer l’enfant du sein. C'est très utile, puisque certaines mères n’arrivent malheureusement pas à s’en séparer d’elles-mêmes. Or à terme, il faut apprendre l’autonomie.

Jean-Charles Bouchoux : Le père et la mère amènent des choses différentes à l’enfant. Cela dit, la mère peut être à la fois maternante et paternante – pour utiliser des néologismes – tout comme le père. Les représentations inconscientes voient le maternant comme accueillant et le paternant comme ce qui pousse vers l’extérieur, qui coupe la dyade mère/enfant et qui pose les règles. Pères et mères peuvent intervertir leurs rôles. La mère peut aussi poser les règles, rentrant ainsi dans une fonction "paternante".  

Aussi, il est positif d’avoir autour de l’enfant une polarité féminine et une polarité masculine. Avec une bonne dose d’attention. Il faut aussi savoir faire les gros yeux et punir l’enfant : la compassion, ce n’est pas qu’ouvrir les bras. C’est aussi poser des lois. L’enfant qui n’a connu aucune règle est un futur psychopathe. Si dans l’environnement de l’enfant, c’est le père qui tient ce rôle, et qu’il est absent, c’est une catastrophe. Sauf s’il existe une autre image masculine, un prof, un grand-père, un voisin...

L’étude montre que le rôle du père serait plus important chez les garçons que chez les filles. Comment l’expliquer ?

Jean-Charles Bouchoux : Le premier objet d’amour, c’est la maman. Le père vient remettre en question ce lien. Le petit garçon va alors s’identifier à son père, alors que la petite fille va hésiter, pour rester dans la relation fusionnelle avec la mère. 

Le père du XXIe siècle est un papa plus présent dans les premiers mois de vie de son enfant. Faut-il s’en réjouir ?

Jean-Charles Bouchoux : On a réhabilité les papas. Longtemps, on a supposé que la mère était seule à compter dans le développement de l’enfant. Une grosse erreur. Dans nos représentations traditionnelles, on a tendance à mettre l’amour et la compassion du côté féminin. Or, amour et compassion existent du côté masculin, mais différemment.

La distance du père peut expliquer les troubles du comportement, mais l’excès du père aussi. Un papa qui pose trop de lois, qui est trop autoritaire, qui crie, n’est plus entendu par l’enfant après un certain temps. Au final, il y a peu de différences entre un père qui ne parle jamais et un père qui parle trop. Le père doit donc être suffisamment présent… et suffisamment lâche.

L’absence du père peut être due à des problèmes familiaux plus larges. Au final, papa ou pas, ne sont-ce pas tout simplement l’attention et les soins qui comptent pour que l’enfant soit équilibré après avoir passé le cap des 1 an ?

Alain de Borca : On a malheureusement des études « expérimentales » - dans le mauvais sens du terme - dans des orphelinats, en Roumanie par exemple, qui montrent que dès lors qu’on n’accordait aucune attention aux enfants, ni soutien affectif ou sensoriel, en se contentant de les nourrir, ce qu’on a appelé l’hospitalisme, ils souffraient de syndromes autistiques. Le lien avec autrui, au-delà de la mère, est si fondamental que sa privation provoque forcément des troubles.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !