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Françafrique : les temps ont changé, le rapport de force aussi...
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Liaisons dangereuses

Le bal des visites de chefs d'État africains a commencé pour François Hollande qui a déjà reçu Ali Bongo du Gabon, Boni Yayi du Bénin, ou encore Macki Sall récemment élu au Sénégal. Une tournée diplomatique qui ravive le débat de la Françafrique... Mais que cache désormais ce concept devenu au fil du temps l'emblème des bons sentiments.

Antoine Glaser

Antoine Glaser

Antoine Glaser est un journaliste et écrivain.

Il est le fondateur et l'ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent, lettre confidentielle bimensuelle consacrée à l'Afrique.

Il est l'auteur de Comment la France a perdu l'Afrique (Hachette Littératures, 2006) et Sarko en Afrique (Plon, 2008)

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Atlantico : L’élection de François Hollande pose la question de la direction diplomatique empruntée par rapport aux pays africains. Le président a déjà reçu le sénégalais Macky Sall, Ali Bongo Odimba du Gabon ou Beni Yayi du Bénin. Ces visites ont ravivé le débat sur la Françafrique. Quelle réalité se cache aujourd’hui derrière ce concept ?

Antoine Glaser : La Françafrique est un concept énorme, dont il faut bien comprendre les périodes historiques. Durant la Guerre Froide, dès les décolonisations jusqu’à la chute du mur de Berlin, la France était dans un pré carré africain regroupant les anciennes colonies d’Afrique équatoriale et occidentale. Sa présence se manifestait par un contrôle très étroit, marqué par un gaullisme triomphant. Il y avait alors un M. Afrique en la personne de Jacques Foccart, qui supervisait réellement cette région par le biais notamment du Franc CFA adossé alors au Franc français.

Cette période de la Françafrique n’avait pas encore la connotation péjorative qu’on lui connaît aujourd’hui. En effet, les dirigeants français et africains croyaient encore à l’existence d’une communauté de destin entre la France et l’Afrique. Avec la chute du Mur du Berlin, la notion de pré carré s’est peu à peu éteinte, le continent s’est ouvert au monde et s’est mondialisé. Pour autant des réseaux économiques et politiques ont réussi à perdurer. Leur survie est passée par un deal contenu dans les accords de défense passé entre la France et des chefs d’État africains, qui étaient alors cooptés par Paris parce que francophones et francophiles, mais aussi parce qu’ils fréquentaient les mêmes milieux à l'image du général Bokassa ou le général Eyadema. Ils avaient alors convenu qu’en échange des matières premières stratégiques, les dirigeants bénéficieraient d’une totale impunité sur la gestion de leurs pays.

Aujourd’hui, on peut dire que la Françafrique est en fin de période historique. En effet, même si Nicolas Sarkozy avait des relations privilégiées avec un certain nombre de chefs d’État africains - en particulier Omar Bongo – on était tout de même loin de l’image des masques africains de la période Jacques Chirac.

François Hollande accentuera cette fin de période. Arrive à l’Élysée un homme qui n’a jamais fait danser les masques africains, sans aucunes relations personnelles privilégiées avec des chefs d’État africains. Il s’était d’ailleurs insurgé contre l’attitude de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, et avait estimé qu’il était infréquentable au moment où les dérives du régime se confirmaient. Cette phrase était d’autant plus forte, qu’à l’époque il occupait le poste de premier Secrétaire du Parti socialiste et le Front populaire ivoirien de Gbagbo faisait partie de l’Internationale socialiste.

Selon la nouvelle diplomatie de François Hollande, il n’y aura plus de politique africaine de la France, mais bien une politique de la France vis-à-vis de l'Afrique, comme il y a une politique vis-à-vis des États-Unis ou de l’Amérique latine. Les ruines de la politique africaine s’expriment cependant désormais à travers les bases militaires qui restent sur différents territoires, tels que le Gabon ou Djibouti. Il y a eu des opérations au Tchad et au Sénégal. Elles s’expriment aussi par tous ces Français, hommes d’affaires installés dans ces pays depuis la décolonisation.

Tous ces facteurs indiquent bien, que même pour un Président « normal », c’est-à-dire un président qui entend normaliser les relations franco-africaines, il est impossible de ne pas tenir compte des intérêts entre les deux entités, qui se résument à l’approvisionnement énergétique.

Il y a bien entendu une volonté d’aller vers les sociétés civiles africaines, en passant par une démocratisation de leurs systèmes politiques, mais reste que la France peut difficilement assumer une politique d’ingérence démocratique. L’Afrique se mondialise à une vitesse incroyable et cela entraîne l’effondrement de l’influence française, qui doit lutter pour défendre ses intérêts stratégiques.

La politique africaine restera donc un dossier sensible de la politique française, on le voit d’ailleurs avec les otages d’Areva enlevés au Niger. C’est un dossier très difficile à gérer, telle une nitroglycérine, mélange complexe entre les grands principes démocratiques et les intérêts stratégiques.

Quand on parle de la Françafrique dans le débat public, les esprits s’accordent sur la nécessité de sa suppression et la qualifient de vieux souvenir de la France coloniale, ou l'associent encore au néo-colonialisme. Pourquoi cette image compliquée n’a pas pu être assainie ?

Il est indéniable que le passif est très lourd. On parle d’une très longue et douloureuse période de colonisation sur laquelle il serait trop long de revenir. Ces régions étaient considérées comme françaises, les liens étaient tellement étroits qu’un certain nombre de dirigeants africains tels que Félix Houphouët-Boignyou Léopold Sédar Senghor ont même occupé des postes de ministre au sein du gouvernement français. On ne peut pas nier ces relations historiques.

A cette image plutôt positive se superpose l’image - véhiculée par un certain nombre d’associations de défense des droits de l’homme – de toutes les relations incestueuses entre les hommes politiques français, notamment caractérisées par des affaires de financement occulte. Longtemps la politique étrangère africaine ne se faisait plus au Quai d’Orsay, ni au sein de cellules particulières, mais bien au sein de réseaux.

Durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant était très investi dans les relations avec les chefs d’État africains et un certain nombre de chefs de leurs services secrets. Ainsi en cas d’incident, les négociations ne passaient jamais par le Quai d’Orsay, ni par les cellules particulières, mais bien directement par les cabinets de la présidence.

C’est ainsi que l’on se rend compte que l’une des facettes de la Françafrique, c’est bien l’Afrique-France qui arrivait à conserver de l’influence à Paris. Dominique de Villepin, par exemple, une fois arrivée au poste de Secrétaire général de l’Élysée, avait affiché sa volonté d’en finir avec les réseaux, avant finalement de prendre goût au défilé des masques africains. Il a d'ailleurs noué de bonnes relations avec un certain nombre d'entre eux. La connivence et la complicité demeurent toujours.

N’y a-t-il pas des effets pervers de la Françafrique, notamment dans le fait qu’elle sert de prétexte et de justification aux actes répréhensibles de certains dirigeants africains ?

C’est aussi ça l’Afrique-France. Une fois la période de la Guerre Froide passée, les véritables acteurs de la Françafrique étaient beaucoup plus les hommes politiques africains que les hommes politiques français.

Il est vrai que l’Afrique rentrait dans les affaires domestiques de la France, les réseaux ont perduré. Par la suite, certains hommes politiques africains s’en sont servis et étaient les principaux leviers de chantages quand les problèmes survenaient. Omar Bongo s’en ai servi pour faire "virer" Jean-Marie Bockel. Sous Mitterrand, il avait fait renvoyer le ministre de la Coopération Jean-Pierre Cot.

Ces rapports ont toujours existé.

Vous avez parlé d’une Françafrique qui arrive en fin de période historique... Peut-on imaginer des relations plus mûres, sevrées des mauvais réflexes d’antan, avec des dirigeants français et africains capables de faire face à leurs responsabilités ?

Le changement viendra beaucoup moins des politiques mises en œuvre que de la realpolitik d’une Afrique qui se mondialise à une vitesse folle. La fin de la Françafrique viendra beaucoup plus du côté africain que du côté français. Voyez le président Ali Bongo qui permet aux hommes d’affaires singapouriens d’occuper des dizaines d’hectares dans le pays. Il va en Corée du Sud, ou encore aux États-Unis. On est loin de l’esprit « Tour Eiffel », avec des élites africaines "frais émoulues" des meilleures institutions parisiennes, façonnées à la française.

Désormais, l’Afrique reçoit le monde entier. Les réseaux et les émissaires restent influents dans la défense des intérêts économiques français, mais on est loin de la présence constante de l’après Guerre Froide.

Propos recueillis par Priscilla Romain 

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