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Déclaration de politique générale : les écueils à éviter pour Jean-Marc Ayrault
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Examen de passage

Le Premier ministre prononce ce mardi sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale. Les erreurs à éviter compte tenu de l'expérience passée de ses prédécesseurs.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Atlantico : Jean-Marc Ayrault prononce ce mardi sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. En quoi ce discours est-il important dans la vie de la République ?

Jean Garrigues : Il faut rappeler que ce n’est pas une obligation constitutionnelle, c’est une possibilité qui est offerte au chef du gouvernement.

C’est un moment politique important, à plusieurs niveaux. Tout d’abord au niveau personnel, c’est pour Jean-Marc Ayrault un examen de passage, une façon de sculpter sa stature politique, de lui donner un peu plus de relief. C’est aussi une façon, non seulement d’annoncer un programme de réformes, programme qui va être celui du gouvernement, mais aussi d’annoncer la philosophie de la gouvernance qui va avoir lieu. En cela, c’est une façon de marquer la tonalité, la dimension de ce que sera l’action du gouvernement.

La plupart des déclarations de politique générale sous la Ve République ne se contentent pas d’être un catalogue mais essayent de marquer un tournant historique par rapport aux législatures précédentes.

Vous parlez « d’examen de passage » ; quelles leçons Jean-Marc Ayrault doit-il retenir pour réussir le sien ?

Les déclarations de politique générales sous la Ve ont été assez réussies, mais certaines sont restées dans les esprits comme assez ennuyeuses ou pesantes, par exemple celle de Georges Pompidou en 1962. Il avait peu d’expérience de la vie parlementaire et était au fond un homme nouveau aux yeux du monde politique. Il était aussi un peu écrasé par la personnalité du général de Gaulle. Il faut donc éviter la platitude, donner du relief. Ce n’est pas évident, car il faut avoir des qualités d’orateur, de tribun même, que n’a pas forcément Jean-Marc Ayrault.

Le paradoxe, c’est qu’un homme comme Georges Pompidou, qui était un grand littéraire et a été un excellent orateur dans les années qui ont suivi sa déclaration, a été un peu inhibé par la charge de sa fonction. Il ne faut pas être inhibé, il faut essayer d’exprimer une personnalité et si possible une rhétorique pleine de relief.

L’autre contre-exemple est celui d’Alain Juppé en 1995, dont le discours avait été très long et un peu soporifique. Il faut s’essayer à la concision, à la brièveté, tout en donnant du rythme à ce qui est annoncé. C’est au fond important d’exprimer une originalité, une spécificité politique qui dépasse la liste des réformes.

A l’image de Laurent Fabius, plus jeune Premier ministre de la Ve République, qui avait essayé de donner un style plus moderne à sa déclaration ?

Le style était moderne mais la déclaration assez plate, compte tenu du contexte de rigueur. Si l’on étudie les textes des différentes déclarations, on remarque que bien souvent, elles peuvent se synthétiser dans une formule qui va rester dans l’histoire.

La plus célèbre est la formule de la « nouvelle société » fondée sur la générosité et la liberté, inventée par Jacques Chaban-Delmas en 1969. Elle exprimait un véritable projet de modernisation de  la société française, qui tenait compte notamment de ce qui s’était passé en mai 68. Par la suite, il y a eu d’autres formules qui ont fait mouche.

Comme « la route est droite mais la pente est forte », de Jean-Pierre Raffarin ?

Cette formule-là relève déjà d’une sorte de gadgétisation de la vie politique ; elle était beaucoup moins ambitieuse que celle de Chaban-Delmas. La dimension rhétorique est importante, mais elle doit s’adosser à quelque chose de plus profond. Citons Pierre Mauroy, après la vague rose en 1981 : il dit « la France et la gauche marque désormais d’un même pas ». C’est un discours plein d’emphase, mais qui exprime une idée forte: l’alternance. C’est l’expression d’une nouvelle forme de gouvernance, enracinée dans l’histoire et dans la culture de la gauche.

De même pour la déclaration de Lionel Jospin, en 1997, qui marque la nécessité d’un nouveau pacte républicain, d’une nouvelle compréhension de la société française autour de ce pacte.

Vous avez cité la « nouvelle société » de Chaban-Delmas. A l’époque, il avait suscité l’ire de Georges Pompidou, son discours convenant davantage à un chef d’Etat qu’à un chef de gouvernement. Est-il possible pour un Premier ministre d’exister face au président de la République ?

C’est toute la difficulté et l’ambiguïté des institutions de la 5e République. Je passe sur le « Premier ministre collaborateur » de Nicolas Sarkozy : le résultat, c’est que la déclaration de François Fillon a été prononcée dans l’indifférence générale. Dans la mesure où était mis en avant dès l’origine le rapport de subordination du Premier ministre au président, il était évident que sa déclaration ne pouvait être que marginalisée.

Depuis le général De Gaulle, il est difficile de faire entendre une voix originale en tant que Premier ministre. Jacques Chaban-Delmas, qui avait soumis le texte au dernier moment à Georges Pompidou, l’avait profondément irrité car il présentait la philosophie d’un programme de réforme qui était celui d’un chef d’Etat.

A partir de ce précédent, les Premier ministres ont pu parfois être cantonnés à un rôle de relais de la pensée présidentielle. J'observe néanmoins que Michel Rocard en 1988 exprime dans sa déclaration une tonalité d’ouverture qui n’est pas celle du président Mitterrand. Et ce décalage est évidemment marqué dans les périodes de cohabitation. Edouard Balladur, dans sa déclaration de 1993, la plus longue de la Ve République, présente son projet pour la France, ce qu’il appelle « le nouvel exemple français», fondé sur des valeurs très différentes de celle du président socialiste.

Aujourd’hui, le Premier ministre étant très proche du chef de l’Etat, sa déclaration sera nécessairement dans le droit fil de ce qui a été annoncé par le candidat puis le président François Hollande.

Quelles sont les difficultés particulières auxquelles Jean-Marc Ayrault devra faire face ce mardi ?

Les défis sont les mêmes que ceux qui se posent à François Hollande. Il s’agit de trouver un équilibre entre le « changement » promis dans la campagne électorale  et un programme de rigueur, d’austérité budgétaire, et sûrement d’alourdissement fiscal, aux antipodes des envolées lyriques de 1981.

Cela pose la question du vote de confiance, puisque le gouvernement engage sa responsabilité sur cette déclaration. On sait que le groupe de la Gauche démocratique et républicaine, présidé par le communiste André Chassaigne, a décidé de s’abstenir.  On sait par ailleurs que Jean-Marc Ayrault ne demandera pas de vote de confiance au Sénat, où sa marge de manoeuvre est étroite.

J’ajouterais que le « style » Ayrault ne laisse pas présager de grandes envolées lyriques. C’est donc un exercice difficile pour lui. Par ailleurs, il va présenter un programme qui mécontente ses alliés périphériques, les communistes voire les Verts. Il y a là une double difficulté à la fois rhétorique et politique. C’est donc un discours périlleux qui l’attend.

Mais en même temps, il est certain de pouvoir compter sur une majorité lors du vote de confiance. Le risque est donc limité par la nature des rapports de force politiques et institutionnels.

Propos recueillis par Morgan Bourven

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