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Hubert Védrine : "Un compromis entre la France et l'Allemagne est plus probable qu'on ne le dit..."'
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The Kooples

Confiant sur la capacité de François Hollande et Angela Merkel à trouver un compromis lors du sommet européen qui débute ce jeudi, l'ancien ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin considère toutefois que parler de "couple" franco-allemand procède d'une vision trop sentimentale de la réalité.

Hubert Védrine

Hubert Védrine

Hubert Védrine fut ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Lionel Jospin de 1997 à 2002.

Il fut également conseiller diplomatique de François Mitterrand et a créé en 2003 une société de conseil en stratégie géopolitique appelée Hubert Védrine Conseil.

Il a récemment publié La France au défi aux éditions Fayard. 

 

 

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Atlantico : Un sommet européen se tient à partir de ce jeudi pour tenter de trouver une issue à la crise. Pensez-vous que les différents dirigeants européens aient été jusqu’à présent à la hauteur pour sortir l’Europe de cette crise ?  

Hubert Védrine : On le verra notamment après le Conseil européen. Qu’est-ce que cela signifie « être à la hauteur de la crise » ? Si pour les Allemands, l’élément numéro 1 de la crise consiste à éviter tout système qui les transforme en garants aveugles et automatiques des dépenses des autres, ils pensent forcément que Madame Merkel est tout à fait à la hauteur de la crise. Si au contraire, on juge la situation d’un point de vue fédéraliste un peu abstrait avec des phénomènes de solidarité dans toute l’Europe, on peut légitimement être frustré. Tout dépend en fait de sa grille de référence.

Au-delà de cette question théorique, je pense qu’il faudra juger sur pièces les résultats de ce sommet. J’ai une analyse de la situation moins critique que ce que l’on affirme en général. Je considère ainsi que l’Allemagne a beaucoup bougé en ce qui concerne la gestion de la zone euro : par exemple, depuis l’origine historique de l’accord Mitterrand/Kohl sur la monnaie unique, l’Allemagne avait toujours refusé qu’il y ait un « sommet » de la zone euro, car elle ne voulait pas de politique de coordination des politiques économiques européennes. Il a fallu que la crise devienne de plus en plus aigüe pour qu’elle renonce finalement à cette position.

En fait, dernièrement, l’Allemagne a accepté beaucoup de choses de ce que François Hollande, Mario Monti ou beaucoup d’autres ont mis en avant, notamment en ce qui concerne l’augmentation des moyens de la Banque européenne d’investissement, la meilleure utilisation des reliquats des fonds structurels, les eurobonds, etc.

Pour répondre précisément à votre question, il faudrait en fait se situer au lendemain du sommet européen. On peut raisonnablement espérer que celui-ci débouche sur un assez bon compromis. Il me semble en effet qu’il y existe une importante unité de vue sur ce qu’il convient de faire. Reste ensuite à se mettre au travail.

Je constate toutefois qu’une partie du camp fédéraliste voudrait saisir l’opportunité de la crise pour faire progresser ses thèses, alors que celles-ci ne progressent jamais dans la confrontation démocratique.

Vous ne croyez donc pas à une future Europe fédérale ? Les « États-Unis d’Europe » chers à Victor Hugo vous semblent hors de portée ?

Je ne comprends pas ce terme. Historiquement, la comparaison avec la création des États-Unis ne tient pas : les Américains ont rassemblé des Américains, ils n’ont pas eu à faire l’union entre des vieilles nations avec de puissants antagonismes. L’expression que vous évoquez est sympathique, romantique et populaire, mais elle ne correspond en rien à ce qui s’est déroulé en Europe. 

Le courant historique de fédéralisme européen né après-guerre est présent largement dans les médias, mais reste inexistant dans le vote des gens. Même Jacques Delors prenait bien soin de développer l’idée d’une « fédération d’États-nations ».

Chaque fois que l’on pense à de nouvelles avancées dans l’intégration européenne, il faut se demander si l’on préserve le lien avec la démocratie et si c’est "ratifiable", compte tenu de l’état des peuples. Précisément, il faut s’interroger sur qui prend la décision finale d’adopter ou pas le budget final.

Les solutions à la crise reposent largement sur la capacité du couple franco-allemand à s’entendre. Comment jugez-vous l’évolution des rapports qu’entretiennent la France et l’Allemagne, ainsi que les politiques menées par les différents dirigeants de ces deux pays ?

Il n’y a plus de "couple" franco-allemand depuis longtemps ! Depuis le départ de Mitterrand, puis de Kohl. Le mot est inapproprié, c’est un terme trop sentimental par rapport à la réalité. Quand l’Allemagne et la France sont d’accord, ils forment un moteur pour l’Europe. Quand ce n’est pas le cas, le système ne fonctionne pas très bien. Mais depuis la réunification allemande, il n’y a pas une attitude de « couple » automatique, l’accord doit être construit. On ne peut donc plus employer ce terme ni pour s’en réjouir, ni pour s’en inquiéter. C’est une notion simplement dépassée.

Indépendamment des mots, s’il n’y a pas d’entente franco-allemande, le système ne peut pas fonctionner. Les autres systèmes de remplacement ne fonctionnent pas : Allemagne/Grande Bretagne, Allemagne/Pologne, tous les États membres ensemble, ou l’Allemagne qui dirige toute seule : aucune de ces solutions n’est viable. Reste que même lors des périodes Giscard d’Estaing/Schmidt ou Mitterrand/Kohl, l’entente franco-allemande était le résultat d’un travail. Cela n’a jamais été inné.

Pour ce qui est de ces dernières semaines, il me semble que François Hollande a eu raison de rétablir un meilleur équilibre entre la France et l’Allemagne, tant d’un point de vue psychologique (qu’il a obtenu grâce à son élection) que politique (ce qu’il tente de mettre en œuvre actuellement). Pour rétablir un équilibre dans la durée, il faudra toutefois accentuer la compétitivité française.

N’est-il pas contreproductif d’afficher des positions offensives vis-à-vis de l’Allemagne sur lesquelles on revient ensuite (sur la question des eurobonds, par exemple, dont la perspective a été finalement jugée irréaliste sur le court terme par Jean-Marc Ayrault) ?

Mais cette attitude n’est pas propre à la France ! Tout ce que Madame Merkel a fini par accepter, elle a commencé par dire qu’elle le refusait. Il ne peut y avoir de compromis que si les uns et les autres évoluent. Il ne faut donc pas avoir peur des tensions en soi.

Ces tensions sont-elles liées au fait qu’Angela Merkel prépare sa réelection et que François Hollande doit tenter de tenir ses récentes promesses de campagne ?

Sans doute. Mais ce n’est pas propre à la situation actuelle. Quand Joschka Fischer avait tenu en 2000 son grand discours sur l’Europe fédérale – il a d’ailleurs changé de position depuis – c’était essentiellement pour sauver son leadership à la tête des écologistes allemands. Dans les démocraties modernes, il existe toujours une dimension de politique intérieure.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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