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Ségolène Royal sait-elle maîtriser ses émotions ?
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Zen

Pour nous démontrer la nécessité de maîtriser son émotion dans la prise de parole en public, Hervé Biju-Duval et Cyril Delhay reviennent sur l’emportement de Ségolène Royal lors du débat qui l’opposait à Nicolas Sarkozy en 2007. Retour sur une scène de la vie politique française devenue culte. Extraits de « Tous orateurs » (2/2).

Hervé   Biju-Duval et Cyril Delhay

Hervé Biju-Duval et Cyril Delhay

Hervé Biju-Duval est consultant international en management des personnes, des équipes et des organisations. Il entraîne également dirigeants et managers lors de séances de média-training, dans des environnements culturels variés.

Cyril Delhay a créé et développe depuis 10 ans à Sciences-Po un cours sur la prise de parole en public destiné à tous les étudiants à partir d'une méthode originale fondée sur l'engagement physique de l'orateur.

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L’expression de la colère dans la prise de parole est une arme à double tranchant. Elle peut donner de la force au propos. Elle peut tout autant discréditer l’orateur et révéler un manque de maîtrise de soi. L’humour et l’ironie sont alors des armes de retour particulièrement efficaces.

Un exemple d’anthologie en a été donné lors du débat qui opposait Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal entre les deux tours de la présidentielle de 2007. […]

Ce moment du débat montre à la fois la puissance de la colère, les risques qu’il y a à jouer de ce registre et la façon d’y répondre. Le chemin de Ségolène Royal était en effet très étroit dès lors que Nicolas Sarkozy lui rétorquait avec sang-froid. Ou bien elle revenait aussitôt au calme et elle aurait semblé donner raison à son adversaire. Ou bien elle assumait la colère au risque de paraître décidément hors de maîtrise d’elle-même, mais en pouvant donner le sentiment d’une indignation authentique qui a sa force.

Seule la deuxième solution était stratégiquement jouable. Ce fut celle que choisit la candidate, qui persévéra dans sa colère en répétant trois fois : « Non, je ne me calmerai pas… Il y a de saines colères » [mot qui eut son succès et fut largement repris après le débat par les commentateurs] tout en prenant soin de baisser graduellement mais très progressivement de ton. « Il y a des colères que j’aurai même lorsque je serai président de la République… » Face à cette surenchère maîtrisée, le candidat de droite eut beau jeu d’en rajouter : « Ça va être gai alors… » ou encore : « Pour être président de la République, il faut être calme… je ne sais pas pourquoi Madame Royal, d’habitude calme, a perdu ses nerfs… » À quoi la candidate répondit : « Je ne perds pas mes nerfs, je suis en colère. Pas de mépris, monsieur Sarkozy… Je ne suis pas énervée. Je ne perds pas mon sang-froid, etc. » C’est seulement au bout de la cinquième minute que Ségolène Royal retrouve un mince sourire, tout en prenant soin de conserver un ton ferme et indigné.

La surenchère sur le fil des deux candidats a conduit Ségolène Royal à tenir la ligne de crête de sa colère plus de six minutes (6’20), temps interminable à la télévision, autant de temps étant finalement consacré au cas des enfants handicapés qu’à la « colère » de la candidate socialiste – ou à son supposé manque de sang-froid – devenus eux-mêmes sujets du débat. Stratégiquement, Nicolas Sarkozy a été gagnant par sa posture d’homme qui sait garder la maîtrise de soi. La durée de l’échange et le fait que Ségolène Royal soit revenue à la charge à trois reprises ont contribué à donner l’impression que sa colère était surjouée.

Elle a néanmoins limité les dégâts sur un terrain très glissant. De façon générale, la colère est à éviter. Elle peut néanmoins être utile si elle est maîtrisée. Une colère, c’est prendre appui sur un certain tonus corporel et un débit du souffle qui se travaille techniquement. Il y a une montée et une descente de la colère. La montée, c’est comme fouetter une émulsion en cuisine, jusqu’à ce que la « sauce prenne », ce moment étant équivalent à l’acmé de la colère. Dans la montée, se jouent le tempo et le tonus corporel justes de la colère. Dans la descente s’apprécie la maîtrise de soi. Ainsi, on peut considérer que Ségolène Royal a « monté sa colère» pendant 2,29 minutes, temps à l’issue duquel elle a lâché le fameux : « Je suis très en colère. » Elle a ensuite tenu un palier de colère de 2’30’’, temps pendant lequel Nicolas Sarkozy a également répondu et où les deux candidats ont croisé le fer, en alternant les prises de parole ou « de bec ».

La descente a commencé avec les sourires de Ségolène Royal, au bout de la cinquième minute. La descente de la colère et l’amorce de cette descente doivent être maîtrisables à la seconde près. C’est dans ce moment que l’auditeur sera susceptible d’être rassuré par l’orateur : « Il se maîtrise puisqu’il est capable de revenir à lui. » Une descente trop rapide peut mettre en lumière une colère factice. Un temps juste est en effet nécessaire pour éteindre le feu de la colère. La colère dans la situation oratoire nécessite ainsi les techniques de jeu de l’acteur. Avec ce paradoxe que, trop extériorisée, elle ne touche pas.

La colère froide, sans cri ni effets de manches, sera souvent le registre le plus efficace.

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Extrait de "Tous orateurs", Eyrolles (18 aout 2011)

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