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L'autorité, cette valeur que 
"La Reine" incarne à la perfection 
quand tant d'autres gouvernants 
élus en manquent
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Jubilé

Comment expliquer, à l'heure de la démocratie, l'engouement dont jouit la souveraine Elizabeth II, devenue une véritable icône ?

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot

Jacques Charles-Gaffiot est l'auteur de Trônes en majesté, l’Autorité et son symbole (Édition du Cerf), et commissaire de l'exposition Trésors du Saint-Sépulcre. Présents des cours royales européennes qui fut présentée au château de Versailles jusqu’au 14 juillet 2013.

 

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En quelques jours, combien de centaines de millions de personnes seront-elles restées rivées devant un écran de télévision, d’ordinateur ou de smartphone pour partager, avec la foule des grands jours accourue à Londres, un instant du formidable événement qui s’y déroule et dont les médias de toute espèce, depuis de longs mois, annoncent la préparation ? Les chroniques journalistiques ne seront pas closes au terme des festivités du moment. Le jubilé de diamant d’Elisabeth II offrira pour quelque temps encore mille sujets de commentaires, d’articles, d’ouvrages ou de documentaires.

Soixante années de règne ! Le phénomène n’est pas si habituel dans nos sociétés modernes tellement fébriles. L’exploit est donc méritoire. Mais cette exceptionnelle longévité n’explique que très partiellement l’ovation qui sourd d’un peu partout et qui se meut en une jubilation quasi générale, assez inexplicable, dépassant largement les horizons de l’ancien empire britannique.

 La France de François Hollande y va, elle aussi,  de son écot, cette même France dont un peu plus de 11% de la population applaudissait à tout rompre voici encore quelques semaines Jean-Luc Mélenchon revendiquant, Place de la Bastille, l’héritage de « l’incorruptible » Robespierre et du « vertueux » Saint-Just, l’Archange de notre Grande Révolution !

L’encensement ainsi prodigué par la grande majorité des adulateurs de la souveraine britannique, qui suivent un peu trop niaisement – pour tout Jacobin de bon aloi – ces impressionnantes cérémonies sur les rives de la Tamise, semble relever effectivement de comportements bien contradictoires tant les foules sont versatiles et parfois plus encore ignorantes, adoptant sans discernement tantôt les slogans, tantôt les idées toutes faites puis leur contraire avec une précipitation identique.

Jouissant des fastes d’une royauté qui ne lui octroie plus aucun pouvoir ou presque, Elisabeth II ne s’est-elle donnée finalement que la peine de naître, comme le dénonçait, à deux siècles et demi de distance, le piquant Beaumarchais ?

Les héritiers de la Montagne jugeront alors indécentes les sommes dépensées pour permettre le débordement de la liesse populaire. Ils maugréeront dans leur for intérieur sur la dilapidation de ces fonds mieux employés s’ils servaient au soulagement des misères des plus démunis qui ne font pas défaut en pleine période de crise. Mais, si elles étaient interrogées à leur tour, ces « masses silencieuses et laborieuses » ne seraient sans doute pas du même avis.

En effet, en cette matière, le prisme par lequel s’opère l’observation jacobine conduit à une regrettable erreur de jugement : Elisabeth II d’Angleterre n’est pas devenue pour quelques jours et pour des centaines de millions de spectateurs un personnage fascinant en raison d’un pouvoir que les institutions de son royaume lui refusent comme, depuis longtemps, à tous ses prédécesseurs.

Ce qui place Sa Gracieuse Majesté au faîte des considérations actuelles est le fruit d’une distinction toute particulière, héritée de la pensée hellénistique, qu’elle partage du reste avec beaucoup d’autres de ses semblables qui la plupart du temps n’en n’ont cure, battue en brèche depuis 1968, pour se limiter à l’histoire contemporaine : l’autorité.

Qu’on ne s’effraie pas ! Il n’y a derrière une telle référence aucune pointe d’autoritarisme ou d’autocratie, comme les Jacobins le prétendent, bien au contraire. Cette faculté singulière, qui rallie les suffrages, ne s’encombre d’aucun moyen coercitif pour être reconnue et adoptée : elle s’impose à chacun, tout simplement.

Les temps modernes n’ont voulu retenir, dans l’exercice de la souveraineté, que la seule facette du pouvoir et de la puissance. L’étude de la mise en œuvre du changement opéré dans la contrainte, contraire à la doctrine platonicienne subordonnant le pouvoir à l’autorité, montre combien avec un faux zèle, ce concept fut adopté pour mieux se limiter aux apparences par ceux qui, les plus dissimulés, cherchaient à gravir toutes les marches de leur élévation. S’affranchissant de l’antique opinion, nos théoriciens ont alors estimé que l’exercice du pouvoir était susceptible d’être harmonieusement tempéré au sein de la société par l’adoption du système démocratique.

Force est de constater que cette nouvelle formule connaît bien des imperfections et qu’elle aboutit trop souvent à la montée des totalitarismes.

Évacuée une nouvelle fois des schémas de la pensée depuis Mai 68, l’autorité offre pourtant bien des garanties. Les trois premières méritent un rappel : l’autorité est tout d’abord une distinction toujours reçue par son détenteur qui ne saurait s’en approprier le privilège d’une manière ou d’une autre. En second lieu, le prix de sa valeur est généralement reçu sans trop de contestation par les sujets auxquels l’autorité s’impose. Enfin, conscient de sa sujétion envers elle, son dépositaire mesure que la faveur dont il bénéficie est réversible, si, en sa personne, venaient à disparaître les qualités ayant justifié son élévation.

 La délégation de ce principe est décerné de trois façons différentes : par la volonté de pairs reconnaissant l’aptitude d’un candidat ; par la voie de suffrages électifs ; enfin par l’expression de la volonté divine.

Dans ce dernier cas, auquel la souveraineté d’Elisabeth II se rattache, le détenteur de l’autorité se présente comme un lieutenant des forces célestes. Comme aimait à le souligner Louis XIV lui-même à son fils dans ses Mémoires pour l’instruction du dauphin, pareille subordination est un puissant rempart à l’orgueil et à la suffisance des récipiendaires. « Les armées, les conseils, toute l’industrie humaine, précisait le Grand Roi, seraient de faibles moyens pour nous maintenir sur le trône, si chacun y croyait avoir même droit que nous et ne révérait pas une puissance supérieure, dont la nôtre est une partie. Les respects publics que nous rendons à cette puissance invisible pourraient enfin être nommés justement la première et la plus importante partie de notre politique, s’ils ne devaient avoir un motif plus noble et plus désintéressé. Gardez-vous bien, mon fils, je vous en conjure, de n’avoir de la religion que cette vue d’intérêt, très mauvaise quand elle est seule, mais qui d’ailleurs ne vous réussirait pas, parce que l’artifice se dément toujours et ne produit pas longtemps les mêmes effets que la vérité. »

Chef d’Etat sacré, Elisabeth II ne peut donc se présenter en face du monde et de ses sujets qu’étant profondément elle-même, sans « artifice », parée de l’apanage de toutes ses fonctions et expressément celle de chef de l’Eglise d’Angleterre.

C’est ainsi qu’elle fascine et intrigue à la fois : elle fascine par le côté hiératique qu’on lui reconnaît souvent, attitude merveilleusement en accord avec le sens des onctions reçues à Westminster faisant d’elle un être à part, placé en dehors du commun des mortels, sur lequel la main de l’homme ne saurait se porter sans faire outrage à la majesté du personnage, sacrilège qui, pour ces mêmes raisons, poussa, par exemple, Louis XVI, au pied de l’échafaud, à signifier au bourreau Sanson de ne pas lui lier les mains.

 La souveraine intrigue également le profane qui cherche à comprendre comment, par quelle volonté ou par quel ressort, depuis 60 ans, cette femme parvient imperturbablement à perpétuer, par une magistrature que les républicains ne jugent pas tous désuète, le rayonnement d’une nation qui veut rester fidèle aux principes puisés dans le règne d’Edouard le Confesseur.

Les lois organiques du Royaume-Uni, en enlevant tout pouvoir au souverain du royaume, n’a pas privé le monarque de l’essence même de sa fonction, bien au contraire. Diminués dans l’usage du pouvoir qui ne trouve la moindre parcelle de légitimité que dans une subordination à leur autorité, les rois d’Angleterre ont vu leur figure prendre au fil des temps une dimension à laquelle chacun de leurs prédécesseurs n’était pas encore parvenu. Le Saint-Siège, dans son histoire récente, connut une semblable évolution. Ayant perdu tout pouvoir temporel, les pontifes, dégagés de la conduites des affaires, purent privilégier l’exercice de leurs devoirs vis-à-vis de la puissance supérieure les ayant institués et acquirent ainsi un ascendant faisant entrer les derniers d’entre eux parmi les autorités de leur temps les plus considérées.

Véritable arbitre de son royaume, établie au-dessus des passions, des intrigues et de la corruption, Elisabeth II apparaît à l’occasion de son jubilé de diamant comme une « icône » -le mot est à la mode- à la dimension de la planète. Pour régner, elle n’a pas eu à attendre non plus l’apparition de la notion tautologique de « gouvernance » introduite dans le nouveau vocabulaire politique.

 Personnage unique, conscient des hauteurs de sa charge, Elisabeth II est ainsi, sous toutes les latitudes, la Reine et ce terme suffit pour signifier plus que le dire.

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