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vaccination population vaccin covid-19 coronavirus Royaume-Uni
vaccination population vaccin covid-19 coronavirus Royaume-Uni
©Victoria Jones / POOL / AFP

Argument économique

Plusieurs pays, comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis, ont déjà commencé à vacciner. L'Union européenne a annoncé que la vaccination débutera sur le continent avant la fin de l'année. Mais en France notamment, le scepticisme de la population reste grand.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Pierre  Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata, Fondateur de Rinzen, cabinet de conseil en économie, il enseigne également à l'ESC Troyes et intervient régulièrement dans la presse économique.

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Atlantico : Quelles sont les raisons psychologiques conscientes ou non qui peuvent pousser à rejeter l’éventualité de la prise d’un vaccin ?

Pierre Bentata : Il y a plusieurs raisons, selon moi. La première, c'est que le rejet des vaccins n'est pas nouveau. Depuis qu'on a trouvé la vaccination, il y a des gens qui sont contre - ce n'est pas quelque chose de récent. En revanche, quand on regarde les chiffres, notamment pour la France, on voit une augmentation de la population anti-vaccins. Elle était à peu près stable jusque dans les années 2000. Puis entre 2000 et 2010, il y a eu quasiment un doublement parmi les anti-vaccins pour atteindre selon certaines enquêtes 40% de la population. La raison de fond est une inquiétude et un manque de compréhension du fonctionnement de la vaccination, puisque même parmi les anti-vaccins on trouve des gens qui proposent, à la place de vacciner, de donner une toute petite dose d'un virus au corps pour qu'il fabrique des anticorps. On voit bien qu'il y a une incompréhension des vaccins. Mais le vrai changement, le moment où vraiment la crainte du vaccin prend de l'ampleur, c'est au moment de l'extension des réseaux sociaux. Parce que grâce aux réseaux sociaux, on arrive à toucher une audience beaucoup plus grande de sceptiques et les messages choquants et inquiétants, et les fausses informations, circulent plus vite. Une des raisons pour lesquelles on a aujourd'hui autant d'anti-vaccins est parce qu'Internet aide énormément à propager des informations. Un chiffre éloquent est que les anti-vaccins ne représentent pas la majorité de la population et pourtant, lorsque vous regardez la totalité des sites consacrés ou qui parlent des vaccins, 70% sont anti-vaccins. Donc, même quelqu'un qui, au départ, se pose simplement des questions, a beaucoup plus de chances de tomber sur des informations anti-vaccins sur l'internet francophone. A cela s'ajoute une spécificité française : pendant longtemps, on a rendu beaucoup de vaccins obligatoires et on a certainement initié un phénomène de contrecoup. Les gens se disent que si c'est obligatoire, c'est que ça n'est pas vraiment pour leur bien.

Pascal Neveu : Tout d’abord, il me semble important de rappeler que l’infection due à la COVID-19 a causé le décès de plus d’un 1,6 million de personnes. Bien évidemment, je ne m’exprimerai qu’en tant que psychanalyste, malgré toutes les réunions que je peux avoir depuis le mois de mars concernant la pandémie mais également la question de ce nouveau vaccin. Une certitude : en 20 ans, la confiance de la population française envers les vaccins a diminué de 50%. Ce qui a valu le plan vaccination de 2017, mis en place en 2018 car il était observé un trop grand nombre d’enfants morts de Rubéole, et parce que la couverture vaccinale en France n’est que de 80% contre les 95% recommandés par l’Organisation Mondiale de la Santé. 1% des nourrissons échappent à toute vaccination en France (DTP…) alertent les services de santé publique. Ce qui est intéressant, c’est d’entendre les Français qui sont partagés. « J’attends de voir s’il n’y a pas trop de danger », « Dès que ça sera possible, je le ferai », « Moi qui suis allergique à pas mal de choses, ça sera non pour l’instant »… Le sociologue Jeremy Ward, explique la défiance actuelle : « Je ne connais pas un pays où il y ait eu autant de débats publics sur la sécurité des vaccins au cours de la dernière décennie. »

Imaginez la connaissance scientifique qu’il faut concernant un virus lambda, et encore plus si personne ne sait ce qu’est un virus ARNm, ne connaît la chaîne ADN-ARNm-Protéine, comment ce compose une cellule avec son cytoplasme… Nous sommes un petit pourcentage de la population à non pas maîtriser, mais connaître ces fondamentaux de la biologie que l’on nous a appris lors de nos études supérieures et sur lesquelles nous avons pu travailler. Mais avec nos professions actuelles nous ne pouvons plus être à jour de nos connaissances même si nous échangeons avec nos amis médecins, chercheurs, et des plus hauts niveaux.

Imaginez ceux qui n’ont pas accès à ces échanges, à des lectures scientifiques quasi nulles… Imaginez recevoir dans votre corps un « objet inconnu » aux résultats inconnus, indésirable… Et on sait que 2 cas au Royaume-Uni ont déclaré des effets secondaires qui sembleraient toutefois « classiques » à toute vaccination. Et dont certains vont profiter pour raconter leurs « sciences ». Imaginez que cette pandémie inconnue, inattendue, mène à une vaccination inconnue aux résultats inattendus. Imaginez une communication politique totalement absente, totalement perturbée depuis des mois. Imaginez des anti vaccins complotistes, avec à leur tête des médecins, (dont un qui a vendu en France plus de 100.000 exemplaires de son ouvrage) capables d’écrire que le SRARS avait été créé dans un labo de la CIA par un nazi… Sans oublier les mouvements sectaires qui n’ont cessé de prospérer durant le 1er confinement… et j’oublie leur ami interné désormais en psychiatrie (il reconnaît son hospitalisation) suite à ses études illégales.

Imaginez… L’hystérie et la paranoïa… mais aussi la crainte de la mort cristallisent les pires pensées et rumeurs face à un vaccin. Dès avril, j’ai exhorté les pouvoirs publics à ne pas infantiliser la population mais dire les choses. Car face à la peur de la mort, suite à ces confinements et leurs conséquences psychologiques, sociétales, économiques et autres… notre réflexe est la vie. Face à cette équation, les survivants vivent le seul réflexe d’une assurance pour la vie. Même si plus de 50% de Français ne souhaitent pas être vaccinés, j’ai davantage l’impression d’une méfiance plus qu’une défiance. En Moi vivants ils veulent simplement des explications lucides, claires et pragmatiques. Sans mensonges.

Pourquoi n’y a-t-il pas ou peu d’effet d’espérance vis-à-vis d’un remède qui est présenté comme le moyen le plus rapide d’en finir avec la pandémie ? L’argument économique d’une reprise plus rapide n’est-il pas suffisamment fort ?

Pierre Bentata : Votre question, implicitement, considère que l'on ferait face à des gens rationnels, capables de peser clairement le pour et le contre, avec des probabilités objectives. Or, ce n'est pas du tout le cas : les enquêtes des sociologues montrent que ces personnes raisonnent avec des possibilités tronquées et avec des analyses sur le risque qui sont biaisées. Elles ont tendance à considérer que les petits risques ont une probabilité d’occurrence plus forte que ce que dit la science, et à minimiser les probabilités importantes. Donc, quand elles sont face à un arbitrage tel que la vaccination, en se disant « il y a une incertitude », sachant qu'en plus les médias expliquent qu'on n'a pas suffisant de données, etc., elles ont l'impression qu'il y a quelque chose de très risqué dans le vaccin. Alors que face à ça, elles ne ressentent pas tous les effets de la crise.

Au démarrage d'une crise, la plupart des gens sont plutôt pessimistes pour les autres mais optimistes pour eux-mêmes. En clair, ils pensent que seuls les autres vont être touchés. On se retrouve donc dans une situation où les effets de la crise sont minimisés et les risques du vaccin surestimés : l'argument « vous allez perdre de l'argent ou votre emploi » n'est donc pas entendu, car la situation est considérée comme sûre.

Sur le plan cognitif, les aides mises en place par la France ont un impact, car les effets de la crise ne sont pas ressentis. Objectivement, sauf si vous êtes dans un secteur mis à l'arrêt, un employé dans une entreprise bien portante qui a continué à travailler ne se sent pas particulièrement à risque. Les conséquences de la crise ne sont pas perceptibles pour les employés, sauf ceux directement concernés ou ceux qui s'intéressent au sujet et voient que la situation est gravissime. Ce filet de sécurité de la France repousse l'échéance et laisse à penser que si crise il y a, on en verra les conséquences plus tard.

Pascal Neveu : Oui, pourtant, comme vous le précisez, comme me le rappelait et me l’écrivait un ami médecin, les premières vaccinations ont été mises en place en France à une époque où les épidémies étaient très présentes et le niveau sanitaire de la population médiocre (vaccination contre la variole en 1902, contre la diphtérie en 1938, contre le tétanos en 1940, contre la tuberculose en 1950, puis contre la poliomyélite en 1964). C’est pourquoi elles ont été rendues obligatoires. L’obligation de vaccination antivariolique a été levée en 1984, après éradication de la maladie à l'échelle mondiale. L’obligation de vaccination contre la tuberculose a quant à elle été suspendue en France en 2007. A partir de 1969 et l’arrivée du vaccin antigrippal, les nouvelles vaccinations disponibles ont été proposées à la population sur la base d’une recommandation, et non plus d’une obligation.

Avec 54% d'intentions vaccinales, la France figure en dernière position d'un groupe de 15 pays étudiés dans un autre sondage par Ipsos en octobre, loin derrière la Corée du Sud, la Chine et l'Inde, qui dépassent les 80%. Alors que nous sommes issus de Pasteur, cette hésitation vaccinale n'est pas spécifique aux projets entourant la Covid-19. La France s'était déjà fait remarquer dans une comparaison menée en 2018 par l'institut Gallup pour la fondation Wellcome: 33% des Français interrogés y contestaient la sécurité des vaccins, le niveau le plus élevé des 144 pays étudiés, loin de la moyenne mondiale de 7%.

Il est à se demander pour quelles raisons notre espoir ne repose pas via un monde scientifique démembré. Nos scientifiques n’ont cessé, pas leurs egos et intérêts, de s’étriper sur les plateaux télé, s’étaler dans les médias, s’insulter parfois. Mais à qui la faute ? Le gouvernement ? Il existe le SIG « Service d’Information du Gouvernement », que je connais bien, rattaché aux services du Premier Ministre. Je ne développerai pas leurs attributions et leurs champs d’actions. Que font-ils ? Que font-ils pour des campagnes de communication sûres et efficaces ? Je souscris, comme je l’ai toujours dit et écrit que jamais je n’aimerais être à la place des dirigeants actuels et collaborateurs… et personne ne peut leur jeter la pierre, car dans tous les autres pays, les mêmes problématiques sont identiques voire pires. Je tente juste de poser des questions que chaque Français soulève, avec les difficultés énormes actuelles, amenant que plus de vérité évite les excès des réseaux sociaux colportant n’importe quoi. Le gouvernement doit rassurer les Français, notamment en leur disant que l'on peut se faire vacciner sans danger.

Certaines études sont sorties afin de montrer l’impact de la non vaccination. Une nouvelle fois je tiens à préciser que je ne suis pas antivaccination. Je reste et me dois d’être neutre. Je ne fais que commenter et questionner. Peut-être faut il penser à sauver des vies tout en sauvant l’économie, et peut-être en privilégiant l’Humain, l’économie devant s’adapter ? Les désastres psycho-sociaux liés à cette pandémie mondiale me semblent inviter à repenser ce que notre vie est. J’espère que l’argument économique n’est pas une forme de « propagande » vaccinatoire. Mais tout comme l’idée d’une « sélection naturelle » défendue par certains est discutable. A travers différents écrits de Freud entre autre, la question de la vie, de l’argent et de la mort, mériteraient un autre article, mais nous avons déjà ailleurs longuement écrit sur le sujet.

Nous sommes capables d’assumer des comportements à risque (alcool, tabac, etc.) Comment expliquer que nous ne soyons pas prêts à prendre le risque d’un vaccin ? Est-ce parce que le risque de ce dernier semble moins identifié ? 

Pierre Bentata : Le paradoxe, c'est que du fait qu'il soit moins identifié, il est beaucoup plus incertain, et l'incertitude laisse penser que c'est plus grave. Le fait d'être très conscient de la dangerosité de la cigarette fait que ça a été tellement intégré qu'une partie de la population se dit que ce n'est pas grave et c'est gérable. Un autre aspect est que les actions sont différentes. Le vaccin est one-shot : vous vous faites vacciner une fois, et il y a peut-être des effets secondaires. De l'autre côté, avec la cigarette, le risque augmente à chaque fois que vous répétez le geste. Vous vous dites que ce n'est pas cette cigarette ou ce verre d'alcool qui va poser problème. Alors qu'en vous faisant vacciner, vous vous sentez plus responsables du risque que vous prenez.

Pascal Neveu : Vous me forcez à sortir quelques chiffres.

Mais cela n’est pas comparable.
Je peux vous le rapporter à 612.000 décès par an.
Je peux vous le rapporter à 12.000 suicides par an (1 suicide toutes les 50 min).
Je peux vous le rapporter à 73.000 morts à cause du tabac.
Je peux vous le rapporter à 45.000 morts à cause de l’alcool.

Je passe les chiffres des accidentés de la route, mais aussi tous les patients cardio, les cancéreux, et autres, dont les soins et opérations sont différés à cause de ce coronavirus. Cette covid va occasionner un nombre de morts importants. Nous allons avoir un nombre d’addictions à la drogue et l’alcool importants. Nous savons déjà que nous avons 30% d’augmentation de violences conjugales. Nous sommes à ce jour, chiffres remontés, à 57.210 décès liés à la Covid-19. Tous mes amis médecins et infirmières invitent tous les sceptiques à vivre leur vie et ne passer que 30 minutes à visiter un service réa et prendre contact avec la réalité. Et ne pas réaliser des fêtes qui vont compliquer les effectifs médicaux. Alors, comment la France est-elle devenue une championne du vaccino-scepticisme ? Le H1N1 « raté » en 2009-2010 ? Un rapport compliqué entre les citoyens et leurs institutions ? Le Vaccin valide par l’Agence Européenne n’est pas né.

Mais la question « risque moins identifié » est pertitente. Car elle est centrale dans notre psychisme.
- qui vais-je devenir ?
- vais-je mourir ?
- quelles sont les séquelles possibles ?
- à qui faire confiance ?

Du biopolitique à la vie… La question centrale reste Moi et mon Advenir… et mon futur… Le Professeur Alain Fischer, estampillé « Monsieur Vaccin » aura cette difficile tâche d’être pédagogue afin que nous puissions vivre un été 2021 qui nous fera oublier cette année 2020. Je leur souhaite un sincère courage.

Quel est le risque, en matière économique, d'une non-maîtrise de l'épidémie du fait d'une résistance à la vaccination ?

Pierre Bentata : Je n'ai pas vu d'analyse globale. Il y a une tentative faite par le cabinet Asterès de Nicolas Bouzou qui observe que nous perdons 30 milliards d'euros par semestre dans lequel on continuerait à vivre avec l'urgence sanitaire. Mais ce n'est pas une analyse générale, pas une analyse macro globale. Cela permet d'avoir une idée, mais il est tout à fait possible que ce soit différent et notamment beaucoup plus grave, au regard des effets de boucle, des effets sur la chaîne de production. 30 milliards de pertes pour l'économie, c'est donc vraiment un minimum.

Concernant les impacts sur le chômage, les faillites d'entreprises, etc., je n'ai pas encore vu d'estimation globale. C'est d'autant plus dur à prendre en considération qu'on a une visibilité qui est très faible sur les faillites et sur le véritable chômage. En effet, tant que l'économie est sous perfusion, c'est quelque chose qu'il est difficile d'estimer. On ne sait pas aujourd'hui combien d'entreprises vont faire faillite, combien sont en réalité des entreprises "zombies", c'est-à-dire qu'elles sont déjà mortes et ne survivent que grâce aux aides. Mais cela veut dire aussi que plus l'on allonge la durée de l'état d'urgence sanitaire et de toutes ces mesures exceptionnelles, plus on prend le risque d'avoir une catastrophe plus grave au moment où on arrête.

À mesure qu'on fait cela, on a des entreprises qui finissent par devenir zombies elles aussi. Elles survivent, mais sans même s'apercevoir qu'elles seront en faillite au moment où les aides vont s'arrêter. Ça va poser problème. Plus vite on sort de cette situation et plus vite on aura clarifié l'état de santé du marché et on saura quelle est la gravité de la situation.

Sachant que de toute façon, plus vite on sortira de cette situation, mieux ce sera car l'Etat ne pourra pas non plus continuer éternellement à maintenir ces entreprises à flot...

Pierre Bentata : La seule économie des pays développés qui a fait ça est le Japon. Cela fait vingt ans maintenant qu'ils n'arrivent pas à avoir de croissance. Et pourtant, structurellement, leur économie était pourtant plus solide que la nôtre. Cela veut dire que pour nous, la situation est précaire et plus l'on continue comme ça, plus ça sera grave. Même au-delà de la dette, parce qu'on peut imaginer que la Banque centrale européenne monétise et continuera à le faire, mais il y a un moment où il y aura des tensions très fortes. Déjà, parce que l'argent ne voudra plus rien dire : quand des entreprises ne peuvent plus produire, de toute façon, on a une faillite peu importe la quantité de monnaie qui est injectée. Mais on risque aussi d'avoir des craintes sur le véritable pouvoir d'achat de l'euro dans toute la zone.

Donc, il faut arrêter au plus vite cette situation. Et le seul moyen d'en sortir, c'est d'avoir le plus rapidement possible ce vaccin qui permette d'endiguer l'épidémie.

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