Loi de Dieu ou loi de la République ? Ce que Jean-Luc Mélenchon feint de ne pas comprendre sur la différence entre l’islam politique et les autres religions<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon assemblée nationale
Jean-Luc Mélenchon assemblée nationale
©BERTRAND GUAY / AFP

Séparatisme

Un sondage révélait que 74% des jeunes musulmans placent les lois divines au-dessus de celles de la République. Jean-Luc Mélenchon a indiqué que c'était aussi le cas pour "100 % des croyants". Les musulmans et les chrétiens ont-ils la même attitude quand il s'agit de contester une loi ?

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico.fr : En réaction au sondage qui montrait que 74 % des jeunes musulmans placent les lois de Dieu au-dessus de celles de la République, Jean-Luc Mélenchon a rappelé à l'Assemblée que c'était aussi le cas de "100 % des croyants". Si les fidèles font effectivement tous cette hiérarchie, musulmans et chrétiens ont-ils la  même attitude quand il s'agit de contester une loi de la République ?

Bertrand Vergely : Cette déclaration de Jean-Luc Mélenchon est un chef d’œuvre de rouerie politique.

Comme la gauche, comme l’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon a basé toute sa stratégie de prise de pouvoir politique en se faisant le défenseur des opprimés, notamment des maghrébins colonisés dans leur pays et exploités en France.

Jean-Luc Mélenchon est par ailleurs républicain. Comme les Républicains, pour diriger moralement la société,  il ne veut plus entendre parler de la monarchie et surtout de la religion. D’où, de sa part un athéisme ferme et déclaré, pudiquement rebaptisé agnosticisme.

Quand des jeunes musulmans se déclarent ouvertement contre la République  en souhaitant pour certains remplacer la loi républicaine par la loi islamique de la charria, un problème se pose. Comment concilier la défense des musulmans en étant républicain et être républicain en défendant les musulmans ? Ce n’est pas simple. Si Jean-Luc Mélenchon  est républicain, il doit s’opposer aux jeunes musulmans. S’il soutient les jeunes musulmans, il ne peut plus être républicain.

Nous sommes en 2020 et non plus à la fin de la guerre d’Algérie. Les jeunes musulmans qui hier se voulaient républicains et socialistes face au capitalisme et au colonialisme ne se veulent plus républicains et socialistes mais musulmans. Pour se libérer et affirmer leur identité, être musulman leur apparaît comme plus efficace. De ce fait, quand on interroge ces jeunes, sans complexe, ceux-ci n’hésitent pas à déclarer qu’ils font passer les lois de religieuses de l’Islam avant celles de la République.

Face à cela, au lieu de s’insurger en étant outré de voir la République qu’il défend être ainsi giflée, Jean-Luc Mélenchon a recours à une pirouette.

Les jeunes musulmans n’en ont rien à faire de la République ? Pour eux l’Islam passe avant ? Ne nous affolons pas. Rien de plus normal. Tous les croyants agissent ainsi.

La réponse est habile. Elle renvoie à une vieille pratique du débat politique. Vous défendez une thèse qui a du mal à passer parce ce qu’elle défend n’est pas moralement admissible. Vous le savez. Qu’à cela ne tienne, vous vous défendez en noyant le poisson. Oui, ce que vous défendez n’est pas moral. Mais, vous n’êtes pas le seul. D’autres agissent de la même façon et cela passe fort bien.

Les croyants placent tous leur foi au plus haut. Cela ne veut pas dire qu’ils méprisent la République. On peut être croyant et respecter la République. Jean-Luc Mélenchon ne fait pas la distinction. Il met tout le monde dans le même sac. Entre un jeune musulman antirépublicain et un croyant qui respecte la République, aucune différence. Ils sont tous les mêmes. Résultat : le coupable peut devenir innocent et l’innocent coupable. Le croyant non musulman qui croit  est aussi coupable que le jeune musulman qui ne respecte pas la République et le jeune musulman qui ne respecte pas la République est aussi innocent que le jeune croyant qui la respecte. La voie étant à dès lors libre, il devient à nouveau possible de clamer que la France est un pays raciste et islamophobe. 

Théologiquement, le Coran et la Bible ont-ils la même portée politique ?

Ne mélangeons pas tout. La Bible est une chose, le Coran une autre, la théologie une troisième, la politique, une quatrième.  Relisons la Bible, que voit-on ? Les prophètes ne cessent de répéter que Dieu ne veut pas que le sang coule. Lorsque Élie égorge de sa main près de cinq cent pratiquants du culte de Baal, Dieu lui apparaît pour lui enseigner qu’il est une brise et non pas un tonnerre (Premier livre des Rois, chapitre 19, versets 8 à 13). Au psaume 50 il est dit : « Car si tu voulais des holocaustes de sang je te les aurais donnés, mais tu ne veux pas des holocaustes de sang, tu veux  des sacrifices de louanges ».

La Bible a une portée uniquement religieuse, mystique et spirituelle. Au XVIIème siècle, dans son Traité théologico-politique, Spinoza laïcise ce message en expliquant que sa visée est uniquement éthique.

On n’a cessé de vouloir qu’elle ait une portée politique. D’où la résistance des prophètes contre la tentation de vouloir faire d’Israël un royaume politique. Le Coran n’a pas résolu cette dualité. Il l’a portée à son comble, le prophète étant à la fois un chef de guerre et un mystique.

Il n’y a que l’Évangile qui échappe à cette dualité, le Christ étant non pas un chef de guerre mais celui qui meurt sur la croix. De ce fait, l’Évangile apparaît comme le seul texte religieux de l’histoire de l’humanité qui ait une réelle portée politique. Il est politique parce qu’il ne cesse de démystifier le politique et la politique. Comme l’a montré René Girard, les sociétés humaines se fondent sur le meurtre. Le Christ est venu dénoncer ce meurtre présent dans l’inconscient des sociétés « depuis la fondation du monde » (Évangile de Matthieu, chapitre 13, verset 35) .

La lutte pour le pouvoir ensanglante le monde. Le Christ ne cesse de dénoncer son mensonge et sa cruauté. Si de ce fait une chose s avère importante dans l’humanité, c’est d’en finir avec le pouvoir et la violence. Certes, nous avons besoin  d’organisateurs. Nous n’avons pas besoin de la lutte pour le pouvoir qui ne cesse de démontrer le mal qu’elle fait.

 Si le pouvoir avait un sens, le Christ aurait  aurait pris le pouvoir. Il serait devenu un chef de guerre. Ce qu’il n’a jamais fait. En ne faisant pas de politique, il a fait la seule vraie politique qui soit valable.

Le christianisme aurait dû écouter la parole du Christ et ne pas faire de politique. Il a fait le contraire. Il est devenu une religion politique et malheureusement il continue de faire la même erreur.

Jean-Luc Mélenchon eu l’intuition qu’il fallait en finir avec le politique. Il n’a pas été au bout de son intuition.  Il a fait de la politique. Il s’est pris au jeu de la politique. Il a cherché le pouvoir. Il le cherche encore en se présentant à la présidence de la République.

Tout le mon de se perd dans la politique et la lutte pour le pouvoir. Quand cette funeste passion s’empare du religieux, elle le rend fou. On a cru soigner la politique de la folie en séparant la politique de la religion. On n’a pas soigné pour autant le politique, celui-ci devenant parfois fou quand il est livré à lui-même. Tout le monde doit être soigné de la maladie du pouvoir. Le religieux, mais aussi le politique.

Historiquement, quelle est la réaction des chrétiens et des musulmans quand ils se retrouvent soumis à un pouvoir qui va à l’encontre de leurs principes ?

Actuellement, des militants islamistes veulent faire croire que la République est incompatible avec l’Islam. Il s’agit d’une manipulation éhontée. La République est parfaitement en mesure d’accueillir les musulmans comme elle est parfaitement en mesure d’accueillir toutes les religions qu’elle accueille.

Certains principes sont jugés incompatibles avec la religion parce qu’ils sont incompatibles avec la morale.  Quand cela se produit, la réaction qui a lieu relève de la morale. À ce titre, il n‘y a pas une révolte chrétienne et une révolte musulmane.  Il y a révolte morale.

La révolte au nom de la justice n’appartient à personne. Lorsqu’elle apparaît, elle est une révolte digne de ce nom parce qu’elle est juste et non parce qu’elle est chrétienne ou musulmane. Il y a dans le christianisme de solides traditions de révolte. Dans l’Islam, également.

Des jeunes musulmans s’opposent à la République au nom de leur foi ?  Les islamistes aimeraient bien qu’il y ait  incompatibilité entre l’Islam et la République. Faire barrage à l’extrémisme passe par le fait de dire haut et fort qu’il n’y a aucune incompatibilité. La grande majorité des musulmans en France et de France vivent depuis longtemps déjà avec la loi républicaine. Il n’y a aucune raison que cela ne dure pas.  

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