L’analyse de la présidentielle américaine montre que le fossé entre zones rurales et zones urbaines s’est creusé depuis 2016. Et en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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©ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Dynamiques territoriales

Aux Etats-Unis, les différences entre les métropoles progressistes et les zones rurales conservatrices se sont accentuées depuis 2016 avec l’élection de Donald Trump. En France, le paroxysme du grand écart des territoires a été atteint durant le mouvement des Gilets jaunes.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico.fr : Aux États-Unis, les différences entre métropoles progressistes et zones rurales conservatrices n’ont eu de cesse de se développer depuis 2016 avec l’élection de Trump. Est-ce que cette situation est comparable à celle que connaît la France depuis cette même année ? Quelles en sont les raisons ? 

Laurent Chalard : Nous ne disposons malheureusement pas de suffisamment de recul temporel sur le plan statistique concernant les évolutions territoriales hexagonales depuis 2016, les données de base, issues des recensements de la population, étant fournies chaque année par l’Insee avec trois ans de retard, c’est-à-dire que les dernières données disponibles à l’heure où nous écrivons ces lignes sont datées du 1° janvier 2017. Cependant, les données concernant les évolutions 2012-2017 et les autres données plus récentes provenant d’autres sources que le recensement, en particulier concernant l’évolution de l’emploi et les résultats électoraux, laissent à penser qu’effectivement les écarts se sont accentués entre, d’un côté, les grandes métropoles à tendance progressiste, qui peuvent en France correspondre grosso-modo aux neuf plus grandes métropoles du pays, même si certaines d’entre elles sont moins touchées par le phénomène : Paris, Lyon, Marseille, Lille, Toulouse, Nice, Bordeaux, Nantes et Strasbourg ; et, d’un autre côté, le reste du territoire, en particulier les espaces ruraux et les villes petites et moyennes de tradition industrielle du nord-est, terre de conquête pour les mouvements populistes. En effet, les dernières années ont vu l’emploi continuer de se concentrer dans les grandes métropoles, stimulées, entre autres, par les investissements publics dont le Grand Paris Express en Ile de France, alors que la poursuite de la désindustrialisation et la disparition progressive du maillage en services publics dans les territoires les moins densément peuplés ont eu tendance à pénaliser la France non métropolisée. D’ailleurs, l’accentuation de ces écarts s’est traduite sur le plan social à la fin de l’année 2018 par le plus grand mouvement de contestation politique que la France ait connu depuis mai 1968, les « gilets jaunes ». 

En France, le paroxysme du grand écart des territoires a été franchi lors des manifestations des Gilets jaunes mais il n’a pas encore eu lieu dans les urnes. Ces dynamiques territoriales vont-elles se retrouver politiquement lors de l’élection présidentielle de 2022 ? 

Tout d’abord, il convient d’expliquer pourquoi ce grand écart ne s’est pas traduit dans les urnes en France par l’élection à la fonction présidentielle d’un candidat populiste. En effet, cette situation s’explique par deux principaux facteurs. Le premier, qui n’en est pas l’un des moindres, le candidat populiste en France n’a jamais été le représentant d’un des principaux partis politiques, contrairement à ce qui s’est constaté aux Etats-Unis, où Donald Trump était le candidat du parti Républicain. En France, Les Républicains n’ont, jusqu’ici, jamais présenté un candidat populiste, même si une partie de la rhétorique de Nicolas Sarkozy pouvait s’y rattacher. Le second facteur a trait aux spécificités de la géographie économique française. En effet, si ce grand écart n’a pas conduit, jusqu’ici, à un basculement politique au niveau national, c’est parce que les territoires non métropolisés déclinant demeurent minoritaires au niveau national, une partie de ce qu’il est convenu d’appeler la « France Périphérique », en particulier dans la moitié sud du pays, bénéficiant de l’économie résidentielle, qui a, jusqu’ici, permis de limiter la casse. Il n’en demeure pas moins que les dynamiques électorales apparaissent fortement différenciées selon les territoires, avec un basculement progressif des territoires les plus populaires de la « France Périphérique » vers le vote populiste d’extrême-droite, le département de l’Aisne en constituant un exemple-type.

Il s’ensuit qu’il est très vraisemblable que ces dynamiques territoriales se retrouvent politiquement lors de l’élection présidentielle de 2022, sous réserve cependant que les résultats conduisent à une opposition au second tour entre un candidat perçu comme populiste et un autre perçu comme progressiste, comme ce fut le cas en 2017, ce dont rien n’est moins sûr. En effet, s’il venait à y avoir un candidat centriste face à un candidat de gauche ou un candidat de droite face à un candidat d’extrême-droite, cette grille de lecture serait probablement moins opérante, l’abstention l’emportant largement parmi les populistes dans le premier cas alors que le second cas conduirait à une opposition droite/droite. Quoi qu’il en soit, à défaut d’un candidat populiste recevant le soutien d’un parti installé, il apparaît peu probable de voir émerger un président issu de cette mouvance en 2022.

Avec le confinement, l’activité dans les grandes métropoles s’est amoindrie avec la crise sanitaire et le confinement a poussé de nombreux urbains à s’installer à la campagne. Comment cette migration va impacter l’organisation politique et sociale du territoire français ? 

Si, à l’heure actuelle, il est impossible de quantifier l’impact de la crise sanitaire sur les évolutions démographiques des territoires français, même si se dessine une relance de la périurbanisation, il apparaît probable que les mouvements d’émigration des centres urbains vers leur périphérie n’auront que des conséquences limitées sur la géographie électorale, les effectifs concernés n’étant pas suffisamment importants pour modifier de fond en comble les caractéristiques de vote des territoires. Cependant, il est vrai que les néo-ruraux, originaires de la ville, ne seraient pas forcément tentés par les partis populistes, conservant leur idéologie progressiste, d’autant que le retour de la nature, s’inscrit pleinement dans la mouvance écologiste. En conséquence, ces mouvements de population pourraient venir légèrement modifier les profils de vote de certains territoires ruraux, où les nouveaux arrivants seraient nombreux, atténuant légèrement leur tropisme populiste. Néanmoins, dans les cœurs urbains, étant donné que les départs ne seront pas compensés par l’arrivée d’autres populations, qui plus est par un électorat populiste, en règle générale moins argenté, le profil de vote ne devrait pas évoluer. L’opposition entre les métropoles progressistes, tout du moins dans leur partie centrale, et les périphéries populistes devrait donc perdurer si les candidats présents au second tour de la présidentielle en 2022 venaient à être identifiés par les électeurs comme étant des représentants de ces deux grandes idéologies.

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