Financement libyen : derrière le revirement de Ziad Takieddine, les petits secrets d’une justice ultra politisée<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy Ziad Takieddine financement libyen
Nicolas Sarkozy Ziad Takieddine financement libyen
©JOEL SAGET / AFP

Nouveau rebondissement

En fuite à Beyrouth, l'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine a décidé, mercredi 11 novembre, de retirer ses accusations à l'encontre de Nicolas Sarkozy dans l'affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle en 2007. Les déclarations de Ziad Takieddine peuvent-elles faire réellement basculer l’affaire judiciaire ?

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Hervé Lehman

Hervé Lehman

Ancien juge d’instruction, avocat au barreau de Paris, Hervé Lehman est l’auteur de Justice, une lenteur coupable (2002). Il a participé à la rédaction du rapport de l’Institut Montaigne sur la réforme de la Justice (Pour la Justice). Il est l'auteur du livre "Le procès Fillon" (Cerf, mars 2018) et vient de publier "L’air de la calomnie- une histoire de la diffamation" aux Editions du Cerf (2020). 

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Atlantico.fr : Que nous révèlent les éléments dévoilés par Ziad Takieddine sur l’affaire du financement libyen de la campagne de 2007 ?

Régis de Castelnau : Ce rebondissement nous révèle en fait plusieurs choses. À commencer par la plus importante, en fournissant la démonstration que l’ensemble de ce dossier judiciaire n’est qu’un montage. Il n’est pas question ici de prendre particulièrement la défense politique de Nicolas Sarkozy mais simplement de constater qu’après quasiment huit ans de procédure nous sommes en présence d’un dossier judiciaire particulièrement vide. Cette réalité démontre que l’ancien président de la république a été victime d’un acharnement politique de la part d’abord du juge d’instruction Serge Tournaire , que l’on peut qualifier aujourd’hui de « fournisseur officiel » de mises en examen à Nicolas Sarkozy, appuyé par une autre magistrate, Aude Buresi qui a repris le pilotage du dossier après le départ de Tournaire. Rappelons au passage que ces deux magistrats sont ceux qui ont officié au printemps 2017 dans le raid judiciaire destiné à disqualifier la candidature de François Fillon à l’élection présidentielle.

Le deuxième enseignement est relatif au rôle de Mediapart, qui dans un étrange jeu de miroirs avec l’instruction, a participé activement à la conduite d’une affaire politico-judiciaire démontrant jusqu’à la caricature comment on peut instrumentaliser la justice à des fins politiques. Dès son élection à la présidence, Nicolas Sarkozy était devenu la cible d’une chasse systématique et partiale visant à obtenir sa condamnation, à la fois pour le disqualifier politiquement, mais aussi de la part des magistrats régler des comptes avec celui qui les avait qualifiés de « petits pois sans saveur ».

Le troisième enseignement est relatif à ce que l’on comprend du revirement de Ziad Takieddine. Nous avons là un personnage passablement interlope, intermédiaire multicartes à la grande époque des « rétro commissions » sur les marchés à l’export destinées au financement politique. Il s’est retrouvé impliqué dans plusieurs affaires judiciaires et a été à mon avis instrumentalisé par les magistrats instructeurs du pôle financier. Embarqué dans l’affaire Karachi, il est tout à fait possible qu’il ait pensé pouvoir bénéficier d’une certaine mansuétude dès lors qu’il impliquerait Nicolas Sarkozy. Ce calcul a échoué puisque que 25 ans après les faits (!) Il a été condamné à une lourde peine au mois de juin dernier. Je ne connais pas les raisons de son revirement, mais j’imagine qu’elles sont liées à cette condamnation à cinq ans de prison ferme, qu’il n’effectuera pas puisqu’il s’est mis à l’abri dans son pays le Liban d’où il ne peut être extradé.

En tout cas, cet événement pose une fois encore dans un dossier emblématique le problème du dévoiement d’une partie de la justice pénale qui a accepté de se mettre au service d’intérêts politiques. Qui voit des magistrats politisés, abandonner les impératifs d’impartialité, et surtout s’agissant de magistrats instructeurs l’obligation légale d’instruire à charge et à décharge.

Hervé Lehman : L’affaire du financement libyen  est un bel exemple de coopération efficace d’une certaine presse qui se dit d’investigation et de la gauche judiciaire. La méthode, éprouvée avec Nicolas Sarkozy, est celle qui a été utilisée pour François Fillon : Le Canard enchainé lance une « révélation », le Parquet National financier se précipite sur le dossier, les juges d’instruction, toujours les mêmes, mettent en examen le candidat de l’opposition de droite qui perd donc la présidentielle.

C’est  le même mécanisme qui a été utilisé pour Nicolas Sarkozy. Entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012, Mediapart a « révélé » l’affaire du financement libyen de la campagne électorale de 2007. Mediapart a publié un document qui attesterait d’une réunion entre des proches de Kadhafi et Brice Hortefeux pour convenir d’un versement de 50 millions d’euros. En réalité, Mediapart ne détenait pas de document papier mais un scan, les libyens ont déclaré qu’ils n’avaient pas participé à une telle réunion et Brice Hortefeux était ce jour-là dans sa circonscription de Clermont-Ferrand. Peu importe, la justice se saisit de cette affaire. Nicolas Sarkozy, ancien président de la République , et son avocat, sont mis sur écoutes téléphoniques pendant huit mois.

De ces écoutes découlera l’affaire Azibert, du nom du magistrat de la  Cour de cassation qui n’a pas renseigné Nicolas Sarkozy sur une affaire, en échange de quoi l’ancien président n’est pas intervenu en sa faveur pour un poste à Monaco non vacant, affaire dérisoire pour laquelle Nicolas Sarkozy comparaitra devant le tribunal correctionnel dans quelques jours.

Evidemment, avec ces affaires, Nicolas Sarkozy n’a pas pu réussir son retour en politique et il a été éliminé au premier tour lors de la primaire. Il n’y a pas de fumée sans feu, et une partie des électeurs ne veut pas d’un président qui « traine des casseroles », même si elles sont vides.

La stratégie médiatico-judiciaire contre la droite fonctionne parfaitement.

Les déclarations de Ziad Takieddine peuvent-elles faire réellement basculer l’affaire judiciaire ? Quelles sont les prochaines étapes judiciaires suite à ces propos médiatiques ? Alors que Nicolas Sarkozy avait été récemment entendu dans ce dossier, où en était l’information judiciaire dans cette affaire ?

Régis de Castelnau : Normalement oui, puisque ce sont ses accusations initiales combinées à la fourniture par Mediapart de pièces passablement baroques qui ont permis de lancer la procédure. Et alimenté l’acharnement judiciaire et politique contre l’ancien chef de l’État. Rappelons que cet procédure dure depuis près de huit ans et qu’il n’en est ressorti rien de probant. Mais cela a permis récemment le prononcé de mises en examen médiatiquement sonores, mais judiciairement brinquebalantes. Alors, la disparition d’un des deux piliers de l’accusation avec la mise en cause personnelle du juge d’instruction, devrait normalement amener l’affaire dans une impasse.

Par l’intermédiaire de son avocat, Nicolas Sarkozy devrait demander l’audition de Ziad Takieddine. Et dans la mesure où les fameux « indices graves et concordants » sont désormais branlants, solliciter son retour au statut de « témoin assisté ».

Avant son départ Serge Tournaire avait délivré en forme de cadeau de départ, une mise en examen de Nicolas Sarkozy pour « corruption ». L’autre juge d’instruction après avoir entendu Nicolas Sarkozy pendant trois jours essentiellement sur les déclarations de Ziad Takieddine, avait complété le dispositif avec le chef de « association de malfaiteurs ». Il semble bien que dans un cas comme dans l’autre, aucun élément nouveau ne justifiait ce changement de statut pour l’ancien chef de l’État.

Pour la suite des opérations, compte tenu de ce qui s’est passé auparavant, on voit mal les magistrats instructeurs renoncer à l’orientation qu’ils ont donnée à ce dossier depuis le début, qui serait une façon de perdre la face. Je pense qu’il sera possible d’en dire un peu plus avec l’attitude de la chambre d’instruction et ensuite de la Cour de cassation dans le contrôle de cette procédure quand elles seront saisies. Jusqu’à présent ces deux institutions ont à peu près tout couvert. Toute façon, tout ceci va prendre du temps…

Hervé Lehman : Il est certain que la pseudo-réunion révélée par Mediapart n’a pas existé. On n’a pas retrouvé trace des dizaines de millions d’euros qui auraient prétendument été versés pour la campagne de 2007. Il restait les déclarations de Ziad Takieddine qui affirmait qu’il avait participé à ce financement libyen. C’était le témoin clef, même si ses déclarations étaient soit invérifiables, soient fausses quand elles étaient vérifiables.  C’est ce qui a permis les mises en examen de Nicolas Sarkozy, en dernier lieu pour association de malfaiteurs, excusez du peu, après trois jours d’audition par les juges d’instruction. 

Voici que le témoin-clef se rétracte. Pas de doute que les juges d’instruction et Mediapart sont convaincus qu’il ment aujourd’hui et qu’il disait la vérité avant. Mais on ne peut pas faire condamner quelqu’un sur un témoignage rétracté. Le dossier, d’une grande fragilité, ne tient plus que par la conviction des juges et du parquet national financier.

L’horizon judiciaire et politique peut-il réellement s’ouvrir pour Nicolas Sarkozy après ce nouveau rebondissement ? Quel bilan tirer de cette affaire ?

Régis de Castelnau : Nicolas Sarkozy est encore la cible de trois autres dossiers fruits de la chasse dont il est l’objet depuis une dizaine d’années. Au mois de mars sera jugée la fameuse affaire Bygmalion, où son implication est très peu importante et devrait déboucher normalement sur une relaxe. Mais cela l’obligera quand même à participer à une audience interminable. Il y aura ensuite la fameuse affaire « Paul Bismuth » où il a été renvoyé en correctionnelle pour « corruption » dans une affaire rocambolesque. Dont il faut quand même rappeler qu’elle a débuté par des écoutes téléphoniques de près de huit mois, ordonnées par Serge Tournaire dans le dossier libyen… il y aura enfin le troisième dossier où Nicolas Sarkozy et viser indirectement, celui des « sondages de l’Élysée » qui devrait être jugé en octobre 2021.

Le bilan de cette affaire renvoie à ce qui s’est passé dans notre pays depuis une trentaine d’années. Où nous avons assisté à ce qu’il n’est pas excessif de qualifier de dévoiement politique. Quand une partie de la magistrature a accepté son instrumentalisation à des fins politiques. François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, et Marine Le Pen par exemple, en savent quelque chose. Il est temps de regarder les choses en face et d’obtenir qu’il soit mis fin à ce qui constitue quand même une dérive inacceptable.

Je suis ferme sur cette analyse car je viens de rédiger un ouvrage qui aurait dû paraître aujourd’hui (!) que j’ai intitulé : « Une justice politique. Des années Chirac au système Macron histoire d’un dévoiement ». Malheureusement le nouveau confinement a obligé à différer la parution qui ne pourra s’effectuer que dans quelques semaines.

Hervé Lehman : Il est plus que probable que Nicolas Sarkozy ne sera pas condamné pour cette affaire. Mais le mal est en grande partie fait. Il y aura un procès pour l’affaire Azibert, il y en aura peut-être un pour l’affaire du financement libyen ou en tout cas l’instruction va encore trainer longtemps  (elle ne dure que depuis huit ans…).

Aujourd’hui, quand les Français entendent le nom de Nicolas Sarkozy, ils pensent aux affaires, même s’il n’a jamais été condamné dans les dossiers invraisemblables auxquels il a été injustement mêlé. Rappelons-nous de l’abus de faiblesse de Liliane Bettencourt parce qu’il était venu la voir en col roulé, ou sa géolocalisation par un juge pendant un an parce qu’il avait volé sur un avion qui avait, à une autre occasion, servi à un transport de cocaïne. On a fait feu de tout bois, cela a produit beaucoup de fumée. L’objectif est atteint : Mediapart et quelques magistrats ont tué politiquement Nicolas Sarkozy.

La question que pose cette affaire, comme le cas de François Fillon, est celle de l’utilisation de la justice à des fins politiques. Il faut admettre que la gauche est devenue maîtresse dans cet art. Le proverbe « Lorsque la politique entre dans le prétoire, la justice en sort » n’a jamais été aussi vrai.

Cette affaire et les éventuels futurs rebondissements suite aux déclarations de Ziad Takieddine seront-ils un nouveau caillou dans la chaussure pour Emmanuel Macron et le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti pour la fin du quinquennat et dans l’optique de la course à la présidentielle pour 2022 ?  

Régis de Castelnau : Effectivement, le revirement très commenté de Ziad Takieddine, permet de poser le problème de la période électorale qui ne va pas tarder à s’ouvrir pour l’échéance présidentielle de 2022. L’instrumentalisation politique de la justice dont le parti socialiste et François Hollande sont les principaux responsables a créé une situation dangereuse. Marine Le Pen que les sondages installent comme opposant principal à Emmanuel Macron est impliquée dans deux affaires judiciaires. Et on peut craindre au regard de ce qui s’est passé avec François Fillon de nouvelles interventions judiciaires visant à fausser le scrutin. Mais, ce ne sera peut-être pas si simple pour Emmanuel Macron. En effet l’affrontement de l’automne entre une magistrature rassemblée et Éric Dupond Moretti Garde des Sceaux choisi par Macron a démontré la réalité d’une autonomie politique que certains pourraient être tentés d’utiliser y compris à l’encontre des amis l’actuel chef de l’État. Les conduites des procédures contre les ministres et hauts fonctionnaires pour la gestion de la pandémie Covid, ont démontré que même le système Macron n’était pas l’abri. Rappelons-nous de ces perquisitions aussi inutiles que spectaculaires contre Édouard Philippe et Olivier Véran ministre de la santé en exercice la veille d’une intervention du chef de l’État annonçant les mesures prises pour lutter contre la pandémie.

 Le message était particulièrement clair.

Hervé Lehman : Eric Dupond-Moretti a dénoncé en son temps les dérives du parquet national financier, dont il a été lui-même victime avec l’affaire des fadettes des avocats, encore une affaire où le parquet national financier a tordu le droit pour faire tomber Nicolas Sarkozy. Mais le Garde des Sceaux est empêtré dans ses relations détestables avec les magistrats, la crise sanitaire empêche toute réforme et la campagne électorale démarre dans un an. Il ne changera donc rien. 

Mais attention, la nomination d’Eric Dupond-Moretti à la Chancellerie et ses débuts ont rendu les syndicats de magistrats fous de rage, plus encore que lors des déclarations maladroites de l’ancien président de la République sur les juges alignés comme des petits pois. Les perquisitions empressées chez les ministres par les magistrats de la commission d’instruction de la Cour de Justice montrent qu’il n’est pas impossible que, Mediapart ou Le Canard enchainé aidant à l’occasion, la mécanique malfaisante utilisée pour Fillon et Sarkozy soit recyclée pour Emmanuel Macron à la fin de son quinquennat.

Hervé Lehman a publié "L’air de la calomnie" aux Editions du Cerf (2020).

Régis de Castelnau s'apprête à publier "Une justice politique, des années Chirac au système Macron, histoire d'un dévoiement" aux éditions de L'Artilleur. 

A lire aussi : Financement libyen de la campagne de 2007 : en fuite au Liban, Ziad Takieddine retire ses accusations à l'encontre de Nicolas Sarkozy

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