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Joe Biden : pour les Américains, c’est un socialiste ; pour les Européens, plutôt un pur centriste. Et pourtant, l’Union européenne n’aura rien à en attendre
©ANGELA WEISS / AFP

Atlantico Business

Joe Biden accédera à la présidence des Etats-Unis en janvier 2021, avec la promesse de mettre en œuvre les mesures annoncées lors de sa campagne. Mais la gauche américaine devrait se montrer bien plus pragmatique que les gauches européennes.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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A la fin du suspense pour savoir qui sera le président des Etats-Unis pour les 4 ans à venir se succède une autre interrogation : celle de la couleur définitive du Sénat, à connaitre en janvier prochain seulement et qui permettrait, si la majorité démocrate l’emporte, de faire passer sans encombre un programme économique.

Le programme économique décliné par Joe Biden pendant la campagne, est le plus social jamais élaboré depuis les 30 dernières années.

D’abord, parce qu’il faut affronter la crise sanitaire et essayer de limiter les dégâts humains qui touchent d’abord et massivement les plus pauvres, les immigrés qui sont souvent les personnes à risque, compte tenu des situations de santé. L’obésité, le diabète offrent un terrain favorable au virus.

Ensuite, parce qu‘il va falloir soutenir et relancer l’économie qui a été touchée dans beaucoup de secteurs.

Enfin et c’était inscrit dans son programme, il va falloir ramener l’Amérique dans l’accord de Paris concernant la lutte contre le réchauffement climatique et donner des signes de retour dans les grandes organisations internationales pour plus de multilatéralisme.

Au niveau des politiques économiques, Joe Biden a toujours dit qu’il tournerait le dos à la politique fiscale de Donald Trump. Son problème étant de dégager des moyens propres à financer les dépenses de relance et de soutien social qu’il a promis.

Dès le début de son mandat, il faut donc s’attendre à :

1 Des hausses d’impôts qui toucheront les entreprises (un passage de 21 à 28%, quand l’impôt sur les sociétés était à 35% au moment où Trump est entré à la Maison Blanche) et les ménages les plus aisés, avec l’augmentation de la dernière tranche d’imposition et la hausse de taxe des revenus du capital. Intégralement mises en œuvre, ce plan fiscal devrait amputer le revenu disponible des 1 % de contribuables les plus riches de 14 %. Cela dit, dans un contexte de crise, peu de voix devraient s’élever contre cette mesure, au moins dans un premier temps.

2. Des hausses de salaire et notamment du salaire minimum parmi d’autres revendications favorables aux travailleurs. Il prévoit un passage de 7,5 à 15 dollars/heure du salaire minimum fédéral, sachant que dans beaucoup d’États, les salaires les plus bas sont déjà à ce niveau-là.

3. Des plans pour l’éducation, la santé, l’écologie à hauteur de milliers de milliards de dollars. 1300 milliards de dollars pour les infrastructures, 2000 milliards de dollars pour des investissements verts. De la relance à l’état pur, souvent comparée au New Deal de Roosevelt en 1933. Avec l’intention notamment de rendre gratuite l’université américaine pour les plus modestes (en dessous de 125 000 dollars annuels de revenus tout de même) et d’effacer une partie des dettes étudiantes.

Pour beaucoup d’Américains, un tel programme s’inscrit dans le plus pur du socialisme. En Europe, de telles promesses apparaitraient beaucoup plus modérées que les programmes de gauche à l’européenne. Joe Biden et sa colistière, Kamala Harris, sont réputés pour être plutôt bien tolérés par Wall Street. En France, on les dirait ouvertement centristes, loin des convictions égalitaires ou du tout-Etat de la gauche française où le montant des dépenses publiques dépasse les 60 % du PIB.

Cela dit, Biden ne touchera pas aux dogmes purement américains.

Le démocrate a milité pour que l’assurance maladie publique couvre plus d’Américains et notamment des seniors, mais il n’a pas dit qu’il toucherait au marché des assurances privées, qui restent les premiers fournisseurs d’assurances aux États-Unis.

Ensuite, on a souvent reproché aux démocrates de vouloir s’attaquer aux GAFA. La gauche américaine est sensible à l’hyperpuissance de ces entreprises par rapport aux États, mais elle est assez pragmatique pour savoir que ça compte dans la compétition mondiale. Elle pourra donc adopter des lois antitrust plus sévères, c’est la position de Biden et de Harris, sénatrice de la Silicon Valley. Des entreprises comme Google ou Amazon devraient être amenées à se séparer de certaines de leurs activités ou arrêter des pratiques qui amenuisent la concurrence des plus petits, mais les Américains n’iront jamais jusqu’à démanteler l’une de leurs entreprises qui leur permet d’avoir un tel poids dans le digital.

Les États-Unis sont fondamentalement protectionnistes, et c’est aussi ce qui leur réussit depuis longtemps.

Donald Trump a poussé cette politique jusqu'à la caricature pour répondre au noyau dur de son électorat, celui qui a payé très cher la mondialisation. Cela dit, en dehors d’un jeu de taxes qui ont surtout touché les produits européens et d’un débat violent dans les mots avec la Chine, on s’aperçoit que Donald Trump a surtout cherché avec les Chinois une situation beaucoup plus équilibrée et équitable que celle engendrée par les accords de l’OMC et déformée par les Américains.

Joe Biden poursuivra sans doute dans cette direction, avec des formes moins brutales et plus policées, mais visant une maîtrise plus forte des échanges.

Toute la question qui va se poser sera celle de la position vis à vis de l’Europe. Position par rapport à l’économie. Position sur secteur de la défense et notamment sur l‘avenir de l’Europe. En clair, quoi faire de l’Otan avec une Amérique qui ne souhaite plus servir de parapluie à tout le monde, mais qui va polariser ses énergies dans son bras de fer avec les Chinois ? La crainte des Américains (qu’ils soient républicains ou démocrates), c’est de voir la Chine les dépasser en termes de puissance économique. L’ambition de Pékin est de réussir ce challenge parce qu’il est très politique.

L’Europe, dans tout cela, ne sera pas dans les priorités américaines sauf pour le tourisme et les produit de luxe. Les Américains continueront d’acheter du Dior et du Gucci, ils continueront de se ruer au château de Versailles et sur la tour Eiffel... mais pour le reste, la concurrence sera féroce.

L‘Amérique ne pactisera pas avec l’Europe. Mais si l’Europe l’accepte, la politique américaine obligera les Européens à s’inventer un rôle et une puissance sans compter sur les autres.

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