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Les Français d’origine étrangère, ces électeurs en or "oubliés" par la droite
©PASCAL GUYOT / AFP

Héritage Trump

Comme le montrent les résultats électoraux de Donald Trump, les électeurs issus de minorités et de l’immigration peuvent se révéler un vivier électoral conséquent. Pourquoi la droite française ne s’adresse-t-elle quasiment jamais à eux ?

Jean-Luc Richard

Jean-Luc Richard

Jean-Luc Richard, maître de conférences à l’Université de Rennes 1, est démographe et sociologue du politique, spécialiste des comportements électoraux. 

 

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico.fr : Aux Etats-Unis, Donald Trump a encore augmenté ses scores chez les Hispaniques et les Afro-américains depuis 2016. N’y a-t-il pas chez la population d’origine étrangère un vivier électoral, relativement libéral et conservateur, que la droite française aurait délaissé ?

Jean-Luc Richard : Les situations et histoires des Etats-Unis et de la France sont différentes. . Aux Etats-Unis ce qu'on appelle les minorités ethniques sont à la fois des descendants d'esclaves, historiquement classés comme "noirs" et des descendants de migrants (mexicains, cubains) plus récemment entrés aux USA. Ces derniers peuvent être davantage tentés par un vote conservateur, anti-communiste, visant aussi à refermer les frontières au nom de ce qu'ils considèrent, peut-être justement à court terme mais assurément non justement à long terme, comme leur intérêt personnel. La France est aussi un pays d'immigration qui fut à la fois une puissance coloniale dans des territoires dont sont issus de nombreux Français issus de l'immigration, mais aussi un pays qui a affiché des principes universalistes sur son territoire métropolitain. En France, la majorité des électeurs originaires de familles et proches parents issus de l'immigration votent à gauche, mais il existe une fraction de l'électorat issu de l'immigration qui peut être sensible à des thématiques conservatrices. Ces valeurs peuvent aussi, mais pas toujours se combiner avec une adhésion au libéralisme économique. La migration porte assez souvent en elle une adhésion à des valeurs de réussite économique individuelle.

Maxime Tandonnet : La question se pose en effet : les démographes estiment que 20 à 25% des Français sont issus de l’immigration, car ayant au moins un grand parent immigré. L’enjeu électoral est donc considérable. Le think tank terra nova, proche du parti socialiste a été le premier à recommander à la gauche de renforcer son influence dans les milieux issus de l’immigration, à l’occasion d’un rapport célèbre publié en 2011. Il est vrai que la droite n’a pas développé un raisonnement équivalent. Pourtant les thèmes dont elle est traditionnellement porteuse auraient pu trouver un écho auprès de certains milieux, notamment dans les cités sensibles à forte proportion de populations issues de l’immigration où la demande de sécurité, de soutien scolaire et d’emploi est considérable. Le monde des entrepreneurs issus de l’immigration est un autre vivier potentiel pour une droite qui serait fière de son engagement en faveur de l’entreprise. En outre, il y a chez une partie des populations issues de l’immigration, un discours d’attachement à la France, pays d’accueil, qui pourrait être récupérée par une droite fière de la nation.

Sait-on en France, pour qui les "minorités" peuvent effectivement avoir tendance à voter pour ?

Jean-Luc Richard : Les tendances du vote à gauche de la majorité des personnes issues de l'immigration (ayant eu au moins un parent immigré) ont été atténuées en 2017 en raison du mauvais bilan de la gauche (abandon du projet de droit de vote des étrangers aux élections locales alors que cela existe dans de nombreux pays d'Europe, déclarations de François Hollande sur l'existence de prétendus "Français de souche", etc.). L’adhésion des Français issus de l’immigration à la droite, aux scrutins nationaux, n’a jamais été très forte lors des premiers tours. L’orientation à gauche est plus importante chez les Français immigrés de confession chrétienne comme musulmane. Les catholiques d’origine africaine se placent à gauche, dans les années 2000, à plus de 50 % contre 20 % pour les catholiques pratiquants français. Les commerçants immigrés issus des pays d’Europe du Sud votent encore beaucoup moins souvent à droite que les commerçants français de naissance. Ce n’est pas uniquement ni même principalement l’Islam qui fait pencher à gauche. C’est plutôt l’expérience vécue des discriminations, plus forte quand il n’y a pas eu de mixité culturelle des mariages parentaux : en 2017, les Français issus des immigrations africaines qui ont voté à environ 50 % pour l’un des deux principaux candidats de gauche qu’étaient Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon.  Néanmoins, il y a toujours eu au moins 25 % de l’électorat issu de l’immigration qui vote pour les partis qui composent depuis plusieurs décennies, la droite parlementaire, parmi elles un nombre significatif de personnes qui n’ont pas vécu beaucoup de discriminations.

Historiquement, la droite a-t-elle déjà pu compter sur l'électorat d’origine immigrée ?

Jean-Luc Richard : Quand un Le Pen fut au second tour de la présidentielle en 2002 et 2017, les deux candidats qui leur furent opposés (NDLR : Chirac, Macron) ont pu bénéficier largement d’un vote de barrage à l’extrême-droite. Avec le temps, le vieillissement des individus et leur orientation croissante à droite avec l’âge, phénomène qui s’amplifie depuis quelques années chez les électeurs âgés issus de l’immigration européenne d’abord, mais aussi maintenant non européenne, pourraient faire que les oppositions soient moins marquées.

Maxime Tandonnet : L’idée que les cités de banlieue populaire à forte proportion de population issue de l’immigration sont acquises à un vote de gauche, est généralement admise. Les très rares études existantes sur le sujet montrent que les choses ne sont pas aussi simples ni évidentes. Les Français issus de l’immigration votent plus à gauche que la moyenne mais pas dans des proportions écrasantes. Lors du premier tour des législatives de 1997, ils étaient 52% à voter à gauche contre 41% pour la moyenne des Français, et 35% à droite, contre 36% en moyenne (étude de Jean-Luc Richard, « comment votent les jeunes Français issus de l’immigration »). La différence essentielle porte sur le vote FN (6% contre 15%). Il est donc excessif, au vu de ces études, de considérer comme perdu d’avance pour la droite le vote des populations issues de l’immigration. En outre l’une des caractéristiques du vote dans les quartiers à forte proportion de populations issues de l’immigration est le niveau élevé de l’abstention : 48, 7 % dans les quartiers nord de Marseille aux municipales de 2014, contre 36,4% au niveau national (Institut Montaigne avril 2014). Là aussi, il existe une forte proportion des populations d’origine immigrée aujourd’hui en marge de la participation politique,  à laquelle la droite pourrait tendre la main.

Pourquoi la droite n’a-t-elle jamais réellement cherché à conquérir cet électorat ?

Jean-Luc Richard : Localement, certains maires de droite développent des stratégies de séduction d’électeurs issus de l’immigration, sur la base d’adresses à des populations ou assemblées perçues comme communautaires. La droite a dû mal à le reconnaître.  On l’a vu dans certaines municipalités comme Marseille ou en Seine-Saint-Denis. Sinon, il y a toujours eu une fraction de l’électorat issu de l’immigration qui, par refus des logiques communautaristes, vote, à gauche ou à droite, en fonction des questions économiques, des intérêts individuels. La droite valorise parfois ces profils de jeunes politiques dits « issus de la diversité ».

Maxime Tandonnet : Ce phénomène est lié à la culture politique française. Aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas prévaut une vision communautariste de la société. La tradition de ces pays prend en compte l’origine des populations. Aux Etats-Unis, la population se répartit officiellement en fonction de l’origine ethnique. Même le mot « racial » n’a rien d’interdit et il est d’utilisation courante. La prise en compte du nombre de « White », d’Afro-Américains, d’Asiatiques, de latinos, est totalement banalisée. Donc il n’y a rien de scandaleux à s’adresser à une groupe ethnique particulier lors d’une campagne électorale. En France, les choses sont différentes. La République, selon l’article 1er de la Constitution, ne reconnaît aucune distinction d’origine, de race ou de religion. Un candidat s’adressant ouvertement à telle ou telle minorité se mettrait en grande difficulté. La droite a totalement intériorisé cette conception de la République unitaire. Sous l’influence des démocrates américains, la gauche semble avoir moins de tabou à ce sujet comme le montre le fameux rapport de terra nova.

Etait-ce ce qu’avait tenté de faire Nicolas Sarkozy en misant sur des ministres issues de la diversité (Rama Yade, Rachida Dati, Fadela Amara) ?

Jean-Luc Richard : Nicolas Sarkozy a promu ces personnes qui avaient, objectivement, des qualités en termes de compétence politique. Il a eu une politique de promotion "républicaine" d’une petite élite. A côté il y avait d'une part, un discours sur l’identité nationale et sur la fermeture des frontières, dont la mise en œuvre fut confiée à Brice Hortefeux ; d'autre part,  il y avait aussi ceux qui voulaient une reconnaissance des communautés avec le projet de statistiques ethniques de Yazid Sabeg. 

Maxime Tandonnet : Oui, par ces nominations, il est le premier à droite à avoir voulu, au milieu des années 2000, encourager une certaine vision de la diversité en politique. Il partait d’un point de vue pragmatique : dès lors que la société française est diverse, sa représentation politique doit l’être tout autant. D’où aussi son discours sur la discrimination positive qui a fait couler beaucoup d’encre. En parallèle, son discours sur la diversité s’accompagnait d’un puissant message sur l’identité nationale. Il n’y avait rien de contradictoire dans son esprit : l’allégeance à la France transcende les différences d’origine, sans forcément les effacer. Cette tentative s’est heurtée à deux obstacles : d’abord le mouvement de révolte qui a touché les banlieues en octobre/novembre 2005, mais aussi les fortes résistances de la société politique française à cette tentative de rompre avec un tabou.

Jean-Luc RICHARD, maître de conférences à l'Université de Rennes 1, avait réalisé, il y a une vingtaine d'années, les premières analyses sur l'implication électorale des jeunes Français issus de l'immigration en France. De manière non partisane, il répond à partir de l'analyse des travaux les plus rigoureux sur le sujet. 

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