Zorro contre le Covid-19 : le masque comme solution efficace et peu coûteuse<!-- --> | Atlantico.fr
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masque coronavirus covid-19
masque coronavirus covid-19
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Barrière contre le virus

Alors qu'une nouvelle période de confinement débute en France pour freiner la pandémie de Covid-19, une politique efficace et peu coûteuse aurait dû être davantage mise en avant depuis des mois : le port du masque obligatoire. Le masque est l'une des questions les plus controversées pour le gouvernement sur la gestion de la crise sanitaire.

Olivier Damette

Olivier Damette

Olivier Damette est Professeur en Sciences Economiques à l'Université de Lorraine et au CEC Paris Dauphine.

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Alors que de nouvelles politiques de confinement se mettent en place et que l’on s’inquiète des conséquences économiques de ces restrictions (nécessaires sur le plan sanitaire), une politique efficace et peu coûteuse aurait dû être davantage mise en avant depuis des mois : celle du port du masque obligatoire. Peu coûteuse économiquement, car son financement est quasi nul hormis le coût de la fourniture de masques à certains fonctionnaires ou personnes dans le besoin – à défaut d’en fournir à l’ensemble de la population – et  elle ne nuit pas l’activité économique ; électoralement peu coûteuse, car les études montrent que les plus réfractaires au port du masque ne sont qu’une infime partie d’électeurs du gouvernement en place et majoritairement des personnes qui rejettent toute confiance dans les gouvernements.

Mauvaise communication publique et controverse autour du masque

Parmi les politiques publiques visant à endiguer l’épidémie de Covid-19 en France et dans le monde, le port du masque est certainement la question qui a été la plus controversée comme le soulignent les travaux scientifiques sur la question. Jugé inutile au premier semestre 2020 par le gouvernement français avant d’être finalement recommandé officiellement à la sortie du confinement en mai, non officiellement prôné par l’OMS avant qu’elle change d’avis le 5 juin dernier, le port du masque a fait l’objet d’une grande versatilité de la part des décideurs publics et ce, dans de nombreux pays. Ce flou dans les recommandations publiques en faveur du masque peut d’emblée expliquer son rejet par une partie de la population; des études mettent en exergue l’importance de la « public guidance » comme disent les anglo-saxons dans le bon suivi des mesures barrières face au virus : au Brésil, les populations ayant suivi les recommandations du président Bolsonaro en ont payé le prix ; aux USA, les retournements de Trump et de ses partisans (contre puis en faveur du masque) expliqueraient en grande partie la dynamique du port du masque. D’une manière générale, la bonne application des mesures sanitaires dépendrait du niveau confiance des populations vis à vis de leurs gouvernements.

Hétérogénéité entre pays et déterminants

Malgré une nette croissance de la proportion des usagers du masque au cours du temps (de manière globale, à travers le monde), le nombre de personnes refusant de porter le masque (calculs propres à partir des données de l’étude de l’Université du Maryland menée avec Facebook) oscille toujours aux alentours de 20% dans des pays comme la France. C’est en progrès car seulement 60% des sondés se déclaraient porteurs d’un masque en mai dernier contre 75% en août. A Singapour ou à Hong-Kong, les taux avoisinent les 85% de personnes depuis le printemps dernier déjà. Bien évidemment, les pays asiatiques – d’une manière générale - adoptent depuis déjà longtemps le masque : l’épidémie de SRAS-Cov-1 les a initiés au port du masque bien avant nous. Il s’avère également que les pays à forte densité de population et à forts niveaux de pollution seraient aussi plus coutumiers du port du masque, ce qui est souvent leur cas. Pour les populations de ces pays, le coût d’opportunité, comme disent les économistes, à changer les comportements et usages est faible, puisque les populations portent déjà des masques en temps « normal » hors Covid.

Le niveau de rigueur des politiques sanitaires contre le virus semble aussi un facteur déterminant dans la réussite des mesures mises en place et notamment le port du masque. Or, lorsqu’on regarde les données disponibles, on constate que la France a nettement baissé la garde au début de l’été dernier malgré les rappels à l’ordre du président du conseil scientifique et du ministre de la santé et que, globalement, la rigueur de sa politique a été moindre que dans d’autres pays.

C’est sans doute ce retard à anticiper la deuxième vague et ce relâchement qui est coûteux aujourd’hui sur le plan sanitaire, social et économique. Car, les épidémies sont des phénomènes extrêmement dynamiques : ce sont les comportements d’aujourd’hui qui détermineront l’évolution de l’épidémie dans 14 à 42 jours environ. Et alors même que les chercheurs dont je fais partiel avaient mis en évidence que la saisonnalité du virus était faible et que les comportements humains étaient les principaux déterminants de la dynamique de l’épidémie, il aurait fallu anticiper encore davantage une reprise de l’épidémie dès l’été dernier en affichant une communication claire et ferme, notamment sur le masque.

Des résultats scientifiques fiables sur son efficacité

Bien évidemment, les controverses entre scientifiques ont pu également alimenter la controverse. L’une des premières études statistiques d’ampleur menée sur le sujet et publiée dans la revue réputée PNAS a été a contestée après sa parution, notamment pour la faiblesse de la taille (durée) de l’échantillon retenu pour l’analyse de New York et l’absence de prise en compte des politiques de contrôle sanitaires implémentée simultanément – on parle de biais de variable omise. C’est le cas ici puisque l’efficacité du masque n’a pas été « confrontée » à des variables mesurant des politiques sanitaires alternatives (testing, tracking, restrictions des voyages, fermeture des écoles) qui ont pu également amoindrir le nombre de cas positifs et de malades. Plusieurs études statistiques importantes très récentes et qui développent des méthodologies complémentaires et robustes le confirment pourtant : le port du masque, notamment lorsqu’il est obligatoire – cela renforce nettement sa bonne application – est très efficace et a conduit à réduire le nombre de malades dans plusieurs pays étudiés, notamment aux Etats-Unis ou en Allemagne.

Au-delà de cela, et même si les masques en tissu ou chirurgicaux sont moins protecteurs pour les usagers qu’ils ne protègent autrui, le masque permettrait de réduire la charge virale et la sévérité des symptômes à défaut de toujours protéger de la contamination comme l’a montré une étude de The New England Journal of Medecine récemment. C’est peut-être au port du masque adopté par une majorité de français disciplinés qu’on doit le fait que malgré la forte poussée des cas de contamination ces dernières semaines, le taux de guérison et le nombre de jours passés par les patients en réanimation sont bien meilleurs qu’en mars dernier. Bien évidemment, les meilleurs protocoles et traitements, l’expérience dans le combat face au virus, ont probablement également une grande part explicative.

Expliquer le port et le non port du masque

En tout état de cause, il faut donc encourager le port du masque en toutes circonstances, notamment dans les sphères privées, en communiquant de manière claire sur son efficacité car elle est à présent admise par de nombreux travaux scientifiques récents. Communiquer de manière claire ne permettra pas de remporter l’adhésion des plus réfractaires dont le niveau de réactance psychologique élevé les fait redouter toute forme de restriction de nos libertés. A l’échelle globale macroéconomique, nos propres travaux en cours n’ont pas permis de vérifier l’hypothèse que les anti-masque étaient plutôt enclins à rejeter toute confiance dans les dirigeants politiques. Des théories aux Etats-Unis prônent même le contraire : le niveau de polarisation et de « partisanship » expliquerait la dynamique de la population ne portant pas de masque (et inversement). Néanmoins, user de pédagogie et expliquer qu’une restriction temporaire de nos libertés est parfois souhaitable dans l’intérêt commun devrait produire des résultats favorables comme le soulignent les experts en politiques publiques.

Durcir encore les politiques publiques ?

L’efficacité est nette, nous n’en sommes plus à débattre du principe de précaution. Il faut donc étendre davantage le port du masque obligatoire, aux enfants également dans la mesure du possible et du raisonnable, comme le font d’autres pays, à défaut de pouvoir mettre en place des demi-classes et de la véritable distanciation physique à l’école. Si c’est à ce prix que le maintien de l’école et de l’activité économique est possible, c’est une mesure qui apparaît peu coûteuse quand on la met en perspective avec un nouveau confinement généralisé qui pourrait coûter 15 à 20 milliards par mois directement, générer des dépressions, des délais et reports importants dans le traitement de tous les malades et des répercussions indirectes sur notre système de santé.

Enfin, il ressort de certains travaux récents que la rigueur dans les réponses des politiques de contrôle mises en place est un vecteur important de l’efficacité du port du masque : les pays qui combattent le plus durement le virus, à travers des politiques diverses et complémentaires (recommandations plus ou moins importantes à respecter les gestes barrières et autres mesures dans les écoles, les lieux de travail, les transports, les lieux publics etc…) seraient susceptibles d’obtenir des meilleurs résultats dans la lutte contre l’épidémie. Une autre étude publiée dans PNAS montre que l’obligation de porter le masque est plus efficace que les politiques axées sur la coopération et l’altruisme, elles sont par ailleurs jugées plus justes et réduisent des possibles stigmatisations qui apparaissent quand le port du masque est laissé à discrétion. En revanche, les écarts de niveaux de solidarité, de tolérance et d’altruisme entre pays expliqueraient peu les différences dans le port du masque entre pays contrairement au niveau de rigueur de la politique sanitaire. A défaut de leviers adaptés pour inciter les individus à protéger les autres et à se protéger eux-mêmes, il faut peut-être encore durcir le ton à l’image d’autres pays dans le monde. En attendant un vaccin, jouons à Zorro pour éviter que les efforts finissent en coup d’épée dans l’eau ! Et la décision imminente d’étendre le masque obligatoire dès l’âge de 6 ans va assurément dans le bon sens.

Olivier Damette, Professeur en Sciences Economiques, Université de Lorraine et CEC Paris Dauphine

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