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Une certaine gauche s’étrangle des accusations de complicité avec l’islamisme mais sera-t-elle capable d’en tirer des leçons sur ses propres chasses aux fachos imaginaires ?
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Chasse aux sorcières

Une partie de la gauche dénonce les accusations de complicité avec les islamistes dont elle est la cible. La même gauche a pourtant elle aussi eu tendance à mener une chasse aux sorcières, en voyant du racisme partout.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico.fr : Une partie de la gauche s'offusque des accusations de complicité avec les islamistes qu'elle subit. N'est-ce pas là un retour de bâton ?

Bertrand Vergely : Pour comprendre la situation dans laquelle nous sommes, faisons un rapide retour en arrière. 

Janvier 2015. Les journalistes de Charlie Hebdo sont assassinés par les frères Kouachi. Dans la confusion qui suit, on commence à voir apparaître deux slogans qui vont tourner en boucle : « Pas d’amalgame ». « Rien à voir avec l’Islam ». La gauche est ennuyée. Depuis la guerre d’Algérie, pour elle, le musulman est la victime. En Algérie, il est colonisé. En France, il est exploité. Charlie hebdo soutient la gauche quand elle fait le procès du colonialisme et de l’exploitation. Voilà soudain que le terrorisme musulman tue les journalistes de Charlie Hebdo. Passé le temps de la stupeur et de la consternation, la gauche réagit et se lance dans une campagne contre l’islamophobie. Comme elle est influente dans les medias, on n’entend plus parler que de cela. Halte à l’islamophobie et au racisme ! La logique est simple : hier, le musulman était la victime du colonialisme et du capitalisme. Aujourd’hui, il est la victime de la confusion entre Islam et terrorisme. La campagne qui voit le jour est d’autant plus virulente que les arguments pour défendre l’islam sont ténus. Plus les attentats terroristes au nom de l’Islam se multiplient, plus on entend dire qu’il ne faut pas faire d’amalgames, cela n’ayant rien à voir. Le déni devient la règle et crée un climat d’hallucination.  

Deuxième temps dans cette histoire. À l’époque, on voit apparaître le terme d’islamo-gauchisme. De mémoire, c’est Bernard-Henri Lévy qui le popularise. Il n’a pas tort.  L’extrême gauche qui est pro-musulman est pro-palestinienne. Quand elle se lie avec l’islam politique elle devient anti-israélienne, antisioniste  et finalement antisémite. D’où un paradoxe. Alors qu’elle était contre l’extrême-droite, traditionnellement antisémite, elle reprend la thématique antisémite chère à l’extrême-droite en lui donnant un vernis de gauche au nom de la défense de l’islam. Dans ce contexte, une nouveauté apparaît. Non seulement l’extrême gauche cherche à défendre les musulmans en faisant d’eux les réelles victimes des attentats terroristes, mais le féminisme s’en mêle en se mettant à soutenir le port du voile chez les femmes musulmanes   Oubliant que ce voile est un instrument d’oppression,  le féminisme  le défend aux côtés  de certaines femmes musulmanes qui  le défendent parce qu’il est musulman. 

Aujourd’hui, troisième étape dans cette saga idéologique : après l’apparition du terme islamophobie, après l’apparition de l’islamo-gauchisme, pour la première fois depuis cinq ans, on entend certains hommes politiques dire que l’islamo-gauchisme  est responsable de l’impunité dont jouit le terrorisme en France. Ce qui n’est pas faux. Depuis cinq ans, le pouvoir politique a tellement peur de se faire traiter d’islamophobe qu’il ne fait rien. Alors qu’il aurait fallu dissoudre depuis belle lurette un certain nombre d’associations culturelles luttant contre l’islamophobie, il a laissé faire. Dans ce contexte, l’islamo-gauchisme qui est attaqué hurle et crie au racisme et au fascisme. Est-ce nouveau ? Est-ce un retour de bâton ? Non. Il s’agit là de la continuation d’une politique qui a commencé depuis 2015. Quand les attentats contre Charlie hebdo ont lieu que fait l’islamo-gauchisme ? Il hurle. Halte au racisme ! Les victimes de ces attentats sont les musulmans. Les attentats au nom de l’Islam se multiplient ? L’islamo-gauchisme hurle de plus belle. « Pas d’amalgame. Rien à voir avec l’Islam ». Aujourd’hui, Le ministre de l’intérieur s’apprête à expulser un certain nombre d’imams, à fermer des mosquées et à dissoudre des associations de lutte contre l’islamophobie, nouvelle vague de hurlements. C’est de l’islamophobie, de la haine contre les musulmans, du fascisme. Pour la gauche, la position victimaire ne connaît pas de répit. Rien de plus normal. Elle lui permet  de prendre le pouvoir sur le discours. Pour se faire entendre, rien n’est meilleur que d’occuper la position de la victime. 

La même gauche a pourtant elle aussi mené une chasse aux sorcières, en voyant du racisme et des "fachos" partout...

La capacité d’aveuglement de la gauche est phénoménale. Dans les années soixante on disait, non sans un certain humour il est vrai, qu’il valait mieux se tromper avec Sartre que d’avoir raison avec Raymond Aron.  Il n’en demeure pas moins qu’il y a une part de vérité dans ce trait d’humour. Pour la gauche, la gauche étant plus importante que la vérité, quand un homme politique de droite dit la vérité, c’est un mensonge. Quand un homme politique de gauche dit un mensonge, c’est la vérité. Virer un responsable réputé à droite qui n’a commis aucune faute n’est jamais une chasse aux sorcières. Ce n’est que justice. Il avait qu’à ne pas être de droite. En revanche,  virer un responsable connu pour ses opinions de gauche qui a commis une faute n’est pas juste.  C’est une chasse aux sorcières qu’il convient de dénoncer haut et fort. L’islamo-gauchisme est actuellement furieux d’être mis devant ses responsabilités. Depuis cinq ans qu’il terrorise la société française en criant continuellement au racisme et à l’islamophobie, il a grandement protégé l’obscurantisme religieux. Ce n’est pas une chasse aux sorcières. C’est la vérité. Il faut le dire. Cela n’a pas été dit. Quand on enlève son jouet à un enfant capricieux, il hurle. L’islamo-gauchisme est comme cet enfant capricieux. Il avait un jouet appelé la lutte contre l’islamophobie avec lequel il s’est grandement amusé à intimider le monde. Aujourd’hui que ce jouet lui est retiré, il hurle en appelant cela chasse aux sorcières. 

D'où vient cette cette incapacité de se remettre en question ? Une conviction d’être le bien, le besoin de se sentir être une bonne personne ?

Philippe Muray a écrit un petit essai à propos de la gauche qu’il a intitulé « L’empire du Bien ». Il y a dans la gauche le sentiment d’appartenir au camp du Bien. Cette confusion relève de l’histoire religieuse de la France. Lorsque le christianisme a cessé de gouverner moralement la France, la gauche a pris le relai de la religion en devenant via le socialisme un christianise sans Dieu. On n’avait pas la foi au sens religieux, mais on n’était pas pour autant un mécréant nihiliste. On croyait dans l’homme, dans le progrès et dans la politique. À cette croyance s’est ajouté un second élément relevant non plus de la croyance idéologique mais du cynisme politique. Quand on fait de la politique, si on veut réussir, il importe de couper le monde en deux en mettant d’un côté les amis et de l’autre les ennemis. Quand c’est le cas, le bien  ainsi que le camp du bien existent pour des raisons pratiques et non pour des raisons idéologiques. De ce fait, si on ne se remet pas en question, ce n’est pas pour des raisons d croyance, mais pour des raisons pratiques. Si on veut pouvoir survivre sur l’échiquier politique, il est important, essentiel même que l’on ne doute pas un instant que l’on incarne le bien et que l’autre est le mal . C’est manichéen ? C’est bête ? C’est primaire ? Qu’importe. C’est ainsi. Il faut être manichéen, bête et primaire, sinon on ne réussira jamais. 

Chez Carl Schmitt, ce principe s’appelle la théorie du partisan. Il fonde la politique. Pour Georges Burdeau, il s’appelle le pays des merveilles et fonde également la politique.  Si on veut réussir en politique, il est indispensable de diviser le monde en mettant d’un côté le paradis et d’un autre l’enfer.  Il est indispensable d’expliquer qu’avec soi ce sera le paradis et avec l’autre l’enfer. La gauche a totalement adopté le principe du partisan cher à Carl Schmitt et le pays des merveilles cher à Georges Burdeau. Cette naïveté pleine de mauvaise foi a toujours été sa force et elle le demeure. 

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