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Guerre des civilisations ou guerre au sein de l’islam ?
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Identifier la menace

L'attentat de Conflans-Sainte-Honorine a mis en lumière les dangers posés par l'islamisme. Différents courants sont présents au coeur de la mouvance islamiste.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Abodoullakh Anzorov, le jeune Tchétchène de 18 ans réfugié en France depuis l’âge de 6 ans qui a assassiné le professeur Samuel Paty le 16 octobre car ce dernier avait montré des caricatures de Mahomet parues dans Charlie Hebdo pour illustrer un cours d’instruction civique portant sur la liberté d’expression, a invoqué l’islam comme la raison de son crime. Il voulait venger le prophète dont toute représentation est interdite par les textes sacrés, et encore plus, quand il est montré dans une position dégradante.

L’enquête suit son cours et on en apprendra plus dans les semaines à venir. Toutefois, la police aurait la preuve comme quoi Anzorov avait communiqué - parfois en russe - avec deux rebelles présents dans la région d’Idlib située au nord-ouest de la Syrie. Il aurait loué l’action du groupe auquel ils appartiendraient, le Hayat Tahrir al-Cham (HTC), l’ex-Front al-Nosra, qui contrôle actuellement la moitié de la province globalement tenue par un conglomérat de mouvements d’opposition au régime de Bachar el-Assad.

Et c’est là que cela devient intéressant car cela montre la complexité du problème de l’islam dit "radical" : le HTC s’est officiellement désolidarisé d’Al-Qaida "canal historique" en 2016 ce qui a provoqué de violents affrontements avec d’autres formations présentes sur zone et en particulier contre deux groupes dits "tchétchènes" (Jound al-Cham al Chichan et Ajnad al-Kavkaz) car une majorité de ses membres parle russe (mais on y trouve aussi d’autres Caucasiens, en particulier des Géorgiens et des Ingouches, le principe naturel étant que ceux qui parlent une même langue se regroupent). Il est vraisemblable qu’Anzorov ne savait pas que le HTC qu’il félicitait (auquel appartiendraient les deux Russophones avec lesquels il a communiqué) était en lutte ouverte avec des compatriotes car l’image que l’on se fait depuis la France des évolutions de l’islam politique sur le globe est assez simpliste. Il est vrai qu’Anzorov ne s’est pas revendiqué ni de Daech, ni d’Al-Qaida "canal historique".

Même si sur le terrain, ces deux formations se déchirent, elles se sont retrouvées sur le discours tout en ne revendiquant pas l’assassinat. Daech a pris pour exemple la décapitation du professeur français pour inciter à des attaques de "loups solitaires" (cette appellation aujourd’hui rejetée par les analystes occidentaux, un individu n’étant jamais vraiment "solitaire", a été employée textuellement par Daech). Al-Qaida "canal historique", pourtant opposé à l’État Islamique depuis que cette ancienne branche d’Al-Qaida en Irak (EII) ait fait officiellement sécession en 2014, s’est de son côté "félicité" de cette action destinée à "venger le prophète". Pour rappel, le scission de Daech est une "affaire d’hommes", le "jeune" Al-Baghdadi ayant rejeté le "vieux" al-Zawahiri (ils avaient 20 ans d’écart) dont il a remis en cause la manière dont il gérait Al-Qaida "canal historique" depuis la mort en 2011 d’Oussama Ben Laden (qu’il disait vénérer, mais il est légitime d’avoir des doutes). Bien sûr, Zawahiri a renvoyé ce "jeune ambitieux" à ses études. Par contre, il est étonnant que cette querelle se soit poursuivie après la disparition tragique d’Al-Baghdadi en 2019 alors que l’idéologie des deux mouvements est strictement la même. Il est possible que les dirigeants actuels de Daech (dont leur leader Amir Mohamad Abdel Rahmane al-Maoula al-Salbi) aient pensé qu’un ralliement à al-Qaida "canal historique" aurait été très mal ressenti par les activistes de base qui avaient déjà quitté une fois la "nébuleuse" pour servir sous la bannière de l’État Islamique jugée plus prestigieuse.

Tout cela pour démontrer que si l’idéologie politico-militaro-religieuse strictement basée sur les textes sacrés (la vie de Mahomet, le Coran et les Hadiths) est la même pour tous les musulmans de la planète, ils n’en restent pas moins divisés et parfois des ennemis mortels. À noter qu’en 2010, les pays qui comptaient le plus de musulmans étaient l’Indonésie avec 12,7% suivie du Pakistan (11%), de l’Inde (10,9%) et du Bangladesh (9,2%). Seuls 20% des musulmans vivaient dans des pays arabes.

Pour prendre un premier exemple, la majorité des sunnites considère les chiites (qui affirment que l’imam Ali a été désigné par Allah comme successeur direct de Mahomet alors que les sunnites reconnaissent "Abou Bakr" comme le premier calife) comme des "apostats", c’est-à-dire comme des traîtres à l’Islam - ce qui est encore pire que les chrétiens et les juifs membres de la Dhimmi (présents dans des territoire gouvernés par des musulmans) qui eux "font partie du Livre (le Coran)" et qui peuvent être "tolérés" s’ils se convertissent ou s’ils s’acquittent de la djizîa (un impôt).

Sans entrer dans les détails, les chiites sont eux même divisés mais, au moins, ils ne se combattent pas entre différents factions (les Houthis yéménites sont zaydites, le clan Assad alaouite - une banche des ismaéliens - et les Iraniens imamites). La grande différence avec les sunnites réside dans le fait que les chiites ont un clergé.

Chez les sunnites, s’est la plus grande confusion chaque faction tentant d’imposer par la force sa vision de l’islam. Les salafistes contre les wahhabites contre les Frères musulmans, etc. Une seule version qui peut être considérée comme "relativement modérée" est le hanafisme prôné par l’Université al-Azhar du Caire (qui ne peut absolument pas être comparée au Vatican puisque le clergé n’existe pas dans le sunnisme). Hors des chiites et des sunnites, il existe une minorité kharidjite dont la faction ibatite est majoritaire à Oman…

Il semble évident qu’en Europe en général et en France en particulier, les sympathisants à la cause islamique n’ont généralement aucune idée de ce qui vient d’être évoqué plus avant et n’ont que des connaissances très parcellaires des textes sacrés auxquels ils font pourtant référence en permanence. L’important n’est pas là pour eux mais le côté "révolutionnaire" de l’islam qui devrait leur rendre leur "dignité" en terrorisant les bourgeois (qui par ailleurs sont déjà terrorisés par le réchauffement climatique, la Covid 19, les cambriolages, etc.). À ce discours, il conviendrait d’en opposer un autre que la société occidentale, en dehors de son rabâchage du mot "démocratie", ne semble plus rien avoir à proposer. Au XIXè siècle, l’Église enseignait aux plus démunis : "au Royaume des Cieux, vous serez les premiers" ; au XXIè siècle, l’islam affirme que "mourir en martyr" conduit directement au Paradis… Et pour comprendre ce que prône vraiment l'islam, il est obligatoire de lire les textes sacrés (si l'on veut comprendre dans l'ordre:  la vie de Mahomet puis le Coran et enfin, les Hadiths) en sachant qu'ils ne peuvent en aucun cas être "interprétés" car on ne change pas la "parole de Dieu".

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