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L’influence de la fonction publique et des fonctionnaires sur la vie politique : aux racines d'un mal français
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Philippe Feldman publie "Exception Française: Histoire d'une société bloquée de l'Ancien Régime à Emmanuel Macron" aux éditions Odile Jacob. La France est-elle un pays libéral ? Elle se plaint de l’être trop. Pourtant capitalisme, libéralisme, économie de marché y sont voués aux gémonies comme si la puissance publique était faible. Extrait 1/2.

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman est agrégé des facultés de droit, ancien Professeur des Universités et maître de conférences à SciencesPo, et avocat à la Cour de Paris. Il est vice-président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (A.L.E.P.S.).

Dernier ouvrage publié : Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron (Odile Jacob, 2020).

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Dès la fin du XIXe siècle et le tout début du XXe , le poids de la fonction publique sur le suffrage universel inquiète. L’économiste Paul Leroy-Beaulieu fait un rapport inverse entre le nombre de fonctionnaires et la liberté politique. Or presque 10 % du corps électoral français sont constitués de fonctionnaires ou de personnes subventionnées par le gouvernement. La liberté de vote tend donc à devenir un leurre. La situation est d’autant plus grave, relève l’académicien Émile Faguet, que « la démocratie cherche à nationaliser toutes les fonctions » et que, parmi les individus concernés, « il n’y en a guère qui n’aient des parents fonctionnaires ». De multiples études sur la sociologie du vote des fonctionnaires ont été menées. Depuis le début du XXe siècle, les suffrages des agents publics se portent traditionnellement sur la gauche. Ainsi, de 1978 à 2002, l’écart en faveur de la gauche entre les salariés du secteur public et ceux du secteur privé s’élève de 6 à 12 % suivant les élections. Au second tour de l’élection présidentielle de 2012, les salariés du secteur public ont porté leurs voix à 63 % pour François Hollande, 11 points de plus que leurs homologues du secteur privé. Deux chiffres permettent de saisir le poids du vote des fonctionnaires : ceux-ci représentent environ 12 % du corps électoral et par surcroît leur taux de participation est habituellement élevé, si bien que les agents publics constituent 15 à 20 % de l’électorat réel.

Le 8 mars 1848, le Moniteur universel annonce la création d’une École d’administration. Le décret du 7 avril supprime plusieurs chaires du Collège de France, dont celle de Michel Chevalier, leurs titulaires étant coupables de diffuser des thèses smithiennes et non pas collectivistes. Mais une loi du 9 août 1849 supprima l’École. Après un projet avorté en 1936, il fallut attendre une ordonnance du 9 octobre 1945 pour que l’École Nationale d’Administration fût créée. Née à gauche en réaction à la haute administration de la IIIe République, elle devient un bastion du dirigisme et de la planification, et une pépinière d’hommes politiques. Valéry Giscard d’Estaing se remémore la place éminente donnée à la planification de type soviétique et aux techniques de l’économie dirigée dans l’enseignement économique de l’École à la fin des années 1940. En 1967, les élèves de l’ENA témoignent à 64 % d’une sympathie à gauche et, quand ils appartiennent à un parti politique, il s’agit à 65 % d’un mouvement de gauche. Les adeptes de l’école du public choice affirment que le poids électoral des fonctionnaires est une cause essentielle de la croissance de l’État. Le vote de ces derniers favoriserait les candidats interventionnistes. Les critiques de ce courant américain résolvent la question de la poule et de l’œuf de la manière suivante : ce n’est pas le fait d’être fonctionnaire qui mène à gauche, mais le fait d’avoir des sympathies proétatiques et de gauche qui porterait les individus à devenir fonctionnaires.

Les fonctionnaires-hommes politiques

La compénétration entre la fonction publique et la politique règne sur les Chartes. Le duc de Broglie calcule que, de 1814 à 1828, mille deux cents des mille quatre cents députés étaient fonctionnaires lors de leur élection ou avaient accepté une fonction publique en cours de mandat. En 1818, sur deux cent cinquante-trois députés cent vingt-quatre sont fonctionnaires, presque la moitié ; en 1824, deux cent soixante-quatre sur quatre cent trente, soit plus de 60 %. Aucun changement ne survient à cet égard sous la monarchie de Juillet. On compte 54 % de députés-fonctionnaires en 1831, 60 % en 1834. En réaction, la IIe République, puis le Second Empire proclament l’incompatibilité entre fonction publique et mandat parlementaire. Cela n’empêche pas le premier Corps législatif élu, en 1852, de compter 34 % d’anciens fonctionnaires, civils et militaires. Des fonctionnaires qui peuplent aussi les assemblées locales puisque, de 1840 à 1870, 21 % des membres des conseils généraux émargent à la fonction publique. Certes, peu de fonctionnaires deviennent en tant que tels ministres au début de la IIIe République : moins de 6 % entre 1871 et 1914. Mais la France se singularise encore de l’Angleterre par l’existence de fonctionnaires-députés. Environ 20 % des sièges à la Chambre des députés sont occupés par des fonctionnaires : quatre-vingt-quinze agents publics et six anciens officiers dans l’assemblée élue en 1893 ; respectivement cent un et vingt-cinq en 1898.

La surreprésentation des fonctionnaires dans les assemblées parlementaires demeure plus que jamais sous la Ve République. Les statistiques sont peu fiables : elles dépendent des propres déclarations des parlementaires et elles sont délibérément brumeuses. Ainsi ne distinguent-elles pas les retraités de la fonction publique et ceux du secteur privé. Quoi qu’il en soit, la part des fonctionnaires à l’Assemblée nationale a crû d’un sur sept en 1946 à plus d’un sur deux en 1981. Les hauts fonctionnaires, de 4 % en 1946, sont montés à 18 % en 1993. Quant aux enseignants, les 8 % de 1946 sont devenus 27 % en 1997. À la suite des élections législatives de 2012, 44 % des députés et 43 % des sénateurs étaient issus de la fonction publique. Des chiffres à comparer aux chefs d’entreprise – 8 à 12 % des députés sous la IIIe République, 6 % sous la IVe , 10,5 % de 1958 à 1973, 13,5 % de 1973 à 1981 et 14 % en 2002. Le niveau local ne fait pas exception : en 2014, 54 % des maires des communes de 30 000 habitants et plus sont issus du secteur public.

L’aggravation des maux : les professions dépendantes de l’État

L’État au sens large compte tellement d’agents publics qu’il n’a jamais su leur nombre précis. Le Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique de 2008 l’évaluait à sept millions. Trois ans plus tôt, le journaliste François de Closets estimait que six millions et demi de salariés se trouvaient payés par de l’argent public, soit 27 % de la population active. Comment parvenait-il à ce chiffre ? Il partait des cinq millions de fonctionnaires officiellement décomptés, il y ajoutait huit cent cinquante mille salariés d’entreprises publiques, de même que les auxiliaires de l’administration, les salariés des faux-nez de l’État qu’étaient de nombreux organismes et associations, les vacataires, etc. Mais ne faut-il pas aller beaucoup plus loin ? En 1998, Yves Cannac, lui-même haut fonctionnaire, tentait de classer l’ensemble des professions qui dépendaient de l’État : agriculteurs, médecins, producteurs de cinéma, membres d’associations, etc. Si l’on englobe dans le calcul les retraités, on en arrive à une majorité d’individus en France. En 2013, le juriste Jean-Philippe Delsol confirme que plus de la moitié de la population active, quatorze millions et demi sur vingt-huit, dépend d’une manière ou d’une autre de l’État : plus de cinq millions de salariés du secteur public, plus de deux millions du secteur parapublic, une majorité des emplois du secteur associatif, la plupart des agriculteurs, les chômeurs, les titulaires de contrats aidés, les bénéficiaires du revenu de solidarité active, etc.

Extrait du livre de Jean-Philippe Feldman, "Exception Française: Histoire d'une société bloquée, de l'Ancien Régime à Emmanuel Macron", publié aux éditions Odile Jacob

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