Professeur décapité : voilà ce que nous coûtera notre retard face à l’islamisme<!-- --> | Atlantico.fr
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école Conflans-Sainte-Honorine Samuel Paty
école Conflans-Sainte-Honorine Samuel Paty
©BERTRAND GUAY / AFP

Reculer pour mieux sauter

Plus nous attendons, moins il sera possible d’endiguer la vague de l’islam radical sans violence ni atteinte à la démocratie.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

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Atlantico.fr : Avec l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine,  l'islamisme – qui a déjà atteint des journalistes, un prêtre, des policiers et des militaires et de simples passants – a frappé l'École. Cette vague de l'islamisme, qui a prospéré sur les lâchetés accumulées depuis 40 ans, peut-elle encore être stoppée ? Le risque, si l'on reste sans réagir, n'est-il pas que ce danger sera bientôt impossible à réguler sans atteindre aux libertés de tous ?

Philippe d'Iribarne : Un frein essentiel qu’a rencontré l’action face au danger de l’islamisme a été jusqu’à présent le mantra « pas d’amalgame ». Celui-ci conduit à refuser de voir le lien qui unit le terrorisme islamique à l’existence de tout un écosystème islamique. Le lien n’était fait avec la nébuleuse islamique que lorsqu’il y avait une appartenance des terroristes à une organisation telle que Daech et une revendication d’une telle organisation. Dans le cas contraire on parlait d’individu isolé, dérangé psychologiquement, ou ayant des comptes personnels à régler, et la dimension religieuse de leur acte était largement gommée. Leur « Allah Akbar » prononcé au moment de tuer n’était guère pris au sérieux. Du coup les actes terroristes étaient réputés n’avoir « rien à voir » avec les multiples manifestations d’islamisme militant. Rester passif à l’égard de celles-ci était largement réputé relever d’« accommodements raisonnables », voire du respect des libertés individuelles, et non de manifestations de lâcheté. Il me semble qu’avec l’attentat de Conflans, le lien entre l’acte terroriste et la vitalité du terreau islamique, avec l’idéologie dont il est porteur, est tellement manifeste qu’il n’est plus possible de le nier. Du coup il devient plus facile de réagir sans être immédiatement taxé d’islamophobie. Arrivera-t-on à désigner suffisamment précisément la cible, la nébuleuse islamistes et ses manifestations, pour éviter de cibler indistinctement « les religions », comme c’est le cas pour la loi qui vise le port d’une tenue islamique à l’école, voire la population dans son ensemble, comme c’est le cas pour les mesures de sécurité dans les aéroports ? Le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l’homme accepteront-ils qu’on opère des distinctions entre « religions » ? Il faudrait pour cela que l’on range l’islamisme parmi les sectes, ou parmi les mouvements politiques qui instrumentalisent la religion. 

Bertrand Vergely : Quand on a affaire à un problème aussi préoccupant que l’islamisme, il importe de faire une distinction entre lui et nous.

L’islamisme existe depuis longtemps déjà et il est fort à parier qu’il est appelé à exister encore longtemps. Face à lui, si nous voulons pouvoir lutter contre, il faudra s’armer de patience et avoir conscience qu’il ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Par ailleurs, il faudra faire ce qui se fait déjà à savoir surveiller les éléments repérés comme dangereux, les ficher et les arrêter quand cela se justifie. Enfin, il faudra faire ce que l’on devrait faire et que l’on ne fait pas parce qu’on n’ose pas le faire. Suite à l’attentat qui a eu lieu Vendredi on a appris que le ministre de l’Intérieur va expulser un peu plus de deux cents éléments fichés S et considérés comme dangereux. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait avant ? 

S’agissant de nous maintenant, il importe d’oser nous regarder en face. L’islamisme sera fort tant que nous serons faibles. Le jour où nous serons forts, il régressera. Il s’avère que nous ne sommes pas forts. La raison en est simple. Nous sommes minés de l’intérieur. Depuis 2015, dès l’attentat contre Charlie Hebdo, on a vu apparaître une lutte non pas tant contre l’islamisme que contre l’islamophobie. En France, depuis la guerre d’Algérie, se diffuse l’idée que la France est un pays raciste et colonialiste tandis que les musulmans sont des victimes. 

Quand l’attentat de Charlie Hebdo a eu lieu, traumatisée à l’idée que des musulmans pouvaient être non plus des victimes mais des assassins, afin de sauver l’image du musulman victime, une grande partie de la gauche et de l’extrême gauche a fait de la lutte contre l’islamophobie une lutte prioritaire en faisant passer au second plan la lutte contre l’islamisme. Cette lutte a pris d’autant plus de vigueur qu’elle s’est inscrite dans une lutte politique contre la montée Front National faisant de ce dernier un danger bien plus sérieux que l’islamisme. Dans ce contexte, on a vu apparaître deux petites phrases qui, soigneusement relayées par les medias, ont pris possession des esprits : 1. « Pas d’amalgame ». 2. « Rien à voir avec l’Islam ». Au cours d’une conversation, il était question d’attentats commis par des islamistes ? Immédiatement, les petites phrases fusaient. « Pas d’amalgame ». « Rien à voir avec l’islam ». Certes, tous les musulmans ne sont pas des terroristes et, afin d’éviter la haine, on a raison de le rappeler. Toutefois, à force de tout faire pour éviter la haine des musulmans, on n’a rien fait pour éviter la haine de la France. Tandis que l’on refusait d’amalgamer un certain Islam et le terrorisme, on n’a rien fait pour lutter contre l’amalgame entre France et racisme. Tandis que l’on répétait que le terrorisme n’avait rien à voir avec l’Islam, la France avait tout à voir avec le racisme et la haine. Pour mémoire, en 2012 à Toulouse, quand Mohamed Merah a assassiné deux soldats et, dans une école juive, un instituteur et une petites fille de quatre ans en lui logeant une balle dans la tête, il y a eu des commentaires à la radio expliquant haut et fort que la France qui avait colonisé l’Algérie n’avait que ce qu’elle méritait. Dans ces conditions, à force d’identifier la France à un pays raciste et islamophobe, il ne faut pas s’étonner que les assassins aient un sentiment d’impunité. Quand haïr la France est considéré non comme de la haine mais comme un acte politique vertueux, tuer en France  devient tout aussi vertueux. Le jeune Tchétchène qui a décapité  professeur d’histoire, Samuel Paty, l’a fait parce qu’il a considéré cet acte comme vertueux et il l’a considéré comme vertueux parce que depuis longtemps déjà la haine de la France est considérée comme vertueuse. L’islamisme aujourd’hui fait des ravages dans une partie de la jeunesse des banlieues pourquoi ? Parce qu’à force de répéter à tout bout de champ « Pas d’amalgame » et « Rien à voir avec l’Islam », sous prétexte de protéger les musulmans face à la haine on a blanchi le terrorisme en interdisant de le nommer. Aujourd’hui, lorsque l’on écoute les commentaires à propos de l’attentat qui a eu lieu, nous continuons d’occulter les enjeux de ce qui se passe. En 2015, quand les attentats de Charlie Hebdo ont eu lieu, l’enjeu était la liberté d’expression et les caricatures.

Aujourd’hui, avec  l’attentat qui a eu lieu, nous sommes rentrés dans une autre problématique. L’enjeu n’est plus la liberté d’expression, mais  la possibilité d’enseigner et le contenu même de l’enseignement. Le professeur qui a été décapité ne caricaturait pas le Prophète. Il se servait des caricatures dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression. Tuer un professeur pour cela est porteur d’un message très clair. Il s’agit de faire la loi et d’imposer une autre loi que la loi de la République à savoir la loi islamique de la Charia. Dans son allocution à propos de l’attentat, le Président de la République a parlé de la liberté de croire ou de ne pas croire. Il retarde. Désormais, pour certains musulmans acquis à l’islamisme la question n’est plus d’avoir la liberté de croire, mais d’occuper le terrain et d’imposer la loi  islamiste comme seule et unique loi. Face à cela, depuis longtemps déjà, des professeurs de collège  tirent la sonnette d’alarme. Dans certaines classes, impossible de faire cours sur la Shoah ou sur le moyen Orient. La mère d’un soldat assassiné par Merah veut parler dans un collège pour dire que son fils assassiné était un musulman défendant la France, une bande de collégiens interdit sa parole. Que fait l’administration ? Rien.  Une professeure d’histoire économique en classes préparatoires signale qu’un de ses élèves a un goût prononcé pour le Salafisme et Daesh. Ses camarades confirment. Commentaire du proviseur adjoint à cette professeure : « Vous stigmatisez ». Face à l’attentat de Conflans on entend dire qu’il faut renforcer la liberté d’expression, la laïcité et protéger le droit au blasphème. En criant liberté, liberté à tout bout de champ on continue sur un autre mode les discours qui parlent de « Pas d’amalgame » et de « Rien à voir avec l’Islam ». On se demande comment stopper l’Islamisme. Si on veut vraiment le stopper en s’en donnant les moyens, on le stoppera. Et pour cela, il faut savoir ce que l’on veut. Est-on prêt à défendre la loi ? Ou va-t-on continuer à fermer les yeux à propos du séparatisme qui installe sa loi en prenant possession de cités et quartiers ? Combien de temps encore va-t-on ne pas oser  défendre la loi par peur de passer pour islamophobe ? Quand arrêtera-t-on de se laisser terroriser intellectuellement par l’antiracisme qui est le modèle et le cerveau  de tout ce qui impose sa loi au détriment de la loi ? 

Par quoi passerait cette reprise en main de la situation ? A-t-on besoin de créer un nouvel arsenal juridique, voire d'un "homme providentiel", ou s'agit-il avant tout d'ouvrir les yeux sur la situation actuelle ?

Philippe d’Iribarne : Beaucoup peut déjà être fait avec l’arsenal juridique actuel. Une première chose serait déjà que les pouvoirs publics cessent de propager une vision victimaire de l’islam et des musulmans, vision qui alimente une détestation de la France et un  désir de vengeance par rapport à elle. Les actions du Défenseur des droits et de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) mériteraient d’être sérieusement questionnées dans cette perspective. Cette dernière entretient la légende d’une société globalement islamophobe, ce qui est tout à fait contraire aux données d’observation ; celles-ci montrent que c’est l’islam politique qui est rejeté, non l’islam en général (j’ai pu le montrer précisément dans Islamophobie, intoxication idéologique). Soutenir les professeurs qui résistent à l’emprise islamique, au lieu des les accuser d’être des fauteurs de trouble, peut également être fait sans créer de nouvelles disposition juridiques. Enseigner dans les classes ce qui se rapporte à l’islam en s’inspirant des travaux des historiens et non plus de la légende propagée par les religieux musulmans (évolution que prône la présidente du Conseil supérieur des programmes du ministère de l’Education nationale, elle-même musulmane, Souâd Ayada), ne demande nullement de modifier la loi. L’application aux islamistes de la législation sur l’incitation à la haine demande simplement une volonté d’agir. Tout cela implique bien sûr que l’on ait ouvert les yeux et ce dernier événement, venant après tant d’autres, paraît avoir fait franchir un seuil en la matière. Des modifications de la loi peuvent être utiles, notamment en ce qui concerne l’anonymat sur les réseaux sociaux. Mais il n’y a pas à les attendre pour agir. 

Ne paie-t-on pas une succession de démissions à propos de cette question ? Si on tarde à régler cette question, ne va-t-il pas être impossible de le faire ? Et n’est-ce pas la liberté qui va en pâtir ?  Qui va régler cette question ? Les lois ? Les hommes ? Une prise de conscience ? 

Bertrand Vergely : Cette question illustre bien le problème qui est le nôtre à savoir nous-mêmes. L’islamisme nous fait peur, mais notre peur à son égard nous fait plus peur encore. Cette peur à son égard nous fait peur parce qu’elle recouvre quelque chose que nous avons du mal à nous avouer. Nous avons peur de nous-mêmes. Nous savions intimement que nous ne savons pas ce que nous voulons. Ne sachant pas ce que nous voulons, notre faiblesse nous fait peur, tellement peur que nous en avons honte et que nous la cachons.  D’où ces interrogations : va-t-on une fois de plus tarder à résoudre la question ? Va-t-on une fois de plus le faire sans détermination ? Va-t-on une fois de plus se laisser intimider par l’opinion publique, les réseaux sociaux et la communication ? On parle de faire des lois, de renforcer l’arsenal judiciaire. Interrogés à cet égard, les spécialistes de la lutte anti-terroriste expliquent que le problème n’est pas de faire des lois - il en existe beaucoup et de fort bonnes – mais de les appliquer. Quand des étrangers sont dans l’illégalité en France, ils doivent être reconduits à la frontière. Quand le fait-on ? La République se fonde sur la loi. Aujourd’hui, l’État fait-il respecter la loi stipulant que l’on n’a pas le droit de rentrer illégalement en France ? On ne peut pas, est-il dit. On ne peut pas ? Ou on ne veut pas parce qu’on n’ose pas ? Que l’on sache, la Chine n’est pas un droit. On n’y rentre pas comme on veut. En France, si. La France doit être un droit et on doit pouvoir y rentrer comme on veut. Étant un pays riche, la France doit payer. La volonté politique. Là est le problème. Il n’y a pas de volonté politique. Pendant des mois, toutes les semaines, à la suite de manifestations des gilets jaunes, les centres de plusieurs villes ont été saccagés. Dans l’impossibilité de travailler, nombre de commerçants ont été ruinés. Comment se fait-il qu’on ait laissé ce phénomène perdurer ? Liberté d’expression, a-t-on entendu. Une fois de plus. Et pas d’amalgame, a-t-on entendu une fois de plus avec la phrase qui va avec : « Les casseurs et les gilets jaunes ? Rien à voir ». 

Par le passé, la conscience colletcive est-elle parvenue à stopper des groupes très violents ? A-t-on des exemples dans l'histoire de situations où une prise de conscience de la population a permis de juguler une organisation devenue trop dangereuse (on pense par exemple à l'Inquisition) ?

Philippe d’Iribarne : Ce qui est devenu trop dangereux n’est pas une organisation : les organisations islamiques sont multiples, souvent en lutte les unes contre les autres et peu coordonnées entre elles. C’est une idéologie commune à toutes ces organisations. Le communisme me paraît un meilleur point de comparaison. La prise de conscience de la population au sein des pays d’Europe de l’Est, et jusqu’en Union soviétique, de son aspect mortifère, a joué un rôle essentiel dans sa chute. On peut espérer que, de la même manière, la conscience du caractère mortifère de l’idéologie islamiste va se répandre chez les musulmans, qu’ils vivent en Occident ou dans les pays où l’islam régit la vie sociale. 

Bertrand Vergely : Un jour, il faudra écrire un éloge du catholicisme. Cette église qui a été par le passé une église totalitaire lorsqu’elle est devenue religion d’État et lorsqu’elle s’est crispée sur son pouvoir a su se remettre en question. Elle a fait ce retournement spectaculaire parce qu’elle a su regarder sa propre violence en refusant de dire à propos de celle-ci : « Pas d’amalgame » ou bien encore « Rien à voir avec le christianisme ». Les chrétiens ne sont pas devenus violents et totalitaires par hasard. C’est parce que tout un christianisme les y a amenés  qu’ils le sont devenus. En 2016, le père Jacques Hamel, prêtre catholique, a été égorgé par un islamiste au cours de sa messe. Affolés par ce crime, les pouvoirs publics ont craint des représailles contre les musulmans. Il n’y en a pas eu, l’Église catholique se contentant d’appeler au pardon et à la prière. Au XIXème siècle en acceptant la République, l’Église catholique a sauvé la laïcité. En 2016, en appelant au pardon et à la prière après l’assassinat du père Hamel, elle a de nouveau sauvé la laïcité. On parle de laïcité. Jamais on n‘entend parler du comportement exemplaire du catholicisme à cet égard. On parle de droit au blasphème. Jamais on n‘a rendu hommage à l’Église catholique qui se fait cracher dessus  depuis des décennies sans sourciller. Des caricatures obscènes à propos du Christ et du pape dans Charlie Hebdo ? Il n’y en pas eu une. Il y en a eu des dizaines.  On veut savoir comment il va être possible de triompher de l’islamisme et de sa violence folle ? On a là l’exemple de ce qu’il faut faire. Acceptation de la République et de la loi de la République. Force intérieure ferme et toujours bienveillante quand la haine, la folie et l’insulte pleuvent. Respect de la loi. Force intérieure. Dans le cauchemar que nous traversons, une lueur d’espoir. Ces deux vertus ne laissent pas indifférents. Elles commencent à faire leur chemin. 

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