Incendie de l’Eglise de Rillieux-la-Pape : extrême-droite ou extrême-gauche, quelles incitations à la haine sont-elles le plus suivies d’effets violents...?<!-- --> | Atlantico.fr
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église Saint-Pierre Chanel Rillieux-La-Pape
église Saint-Pierre Chanel Rillieux-La-Pape
©OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP

Identitaires contre identitaires

Une dizaine de voitures ont été incendiées dans la nuit de samedi à dimanche à Rillieux-la-Pape. L’une d’elle a été précipitée sur la façade de l’église Saint-Pierre Chanel. Quelles sont les incitations à la haine qui sont le plus suivies d’effets violents ?

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico.fr : Samedi soir dernier, un véhicule en flammes a été projeté contre l’église Saint-Pierre Chanel à Rillieux-la-Pape en banlieue de Lyon ramenant encore une fois le séparatisme au beau milieu de l’actualité. Entre les propos qui appellent à la détestation des musulmans et/ou des immigrés ou ceux qui appellent à la détestation de la France, quelles incitations à la haine sont-elles le plus suivies d’effets violents ? 

Guylain Chevrier : La tentative d’incendie samedi de l’église Saint-Pierre Chanel à Rillieux-la-Pape, avait été précédé selon le maire Alexandre Vincendet, des agissements « d’un commando criminel » ayant agi « de manière coordonnée » dans plusieurs endroits de la ville, où plusieurs véhicules en stationnement avaient été incendiés et poussés en travers de la chaussée. Dans un communiqué, le président du Conseil des mosquées du Rhône, Kamel Kabtane, a « condamné avec force » lundi les actes de ce week-end, qu’il a mis en relation avec une tentative d’incendie d’une mosquée mi-août à Bron (Rhône). Drôle de réponse au discours du Président de la République que ces faits.

On peut mesurer l’état des problèmes à l’augmentation des faits antireligieux en 2019. 687 faits à caractère antisémite ont été constatés (soit une hausse de 27% par rapport à 2018) : 151 faits sont des actions (dégradations, violences physiques, etc.), 536 relèvent de la catégorie "menace". 1052 faits antichrétiens ont été recensés : 996 dans la catégorie "action" (atteintes aux biens religieux), 56 dans la catégorie "menace". Le chiffre est stable par rapport à 2018. 154 faits antimusulmans ont été recensés contre 100 en 2018 (soit une hausse de 54%) : 63 dans la catégorie "action", 91 dans la catégorie "menace". Resituons qu’il n’y a environ que 500.000 juifs en France, et donc rapporté proportionnellement à ce nombre l’échelle des actes antisémites est énorme. Les musulmans sont environ 6 millions, une échelle au regard de laquelle les chiffres des actes antimusulmans restent malgré tout relativement bas. Ce qui ne retire rien à la condamnation de chaque acte, mais remet toute proportion gardée, les cris de victimisation des uns vis-à-vis des autres relativement à leur place. Les actes antichrétiens sont les plus importants, car l’Eglise catholique est visée comme symbole de la France, pourtant laïque, qui fait une place égale à tous et donc, aussi aux croyants des divers cultes existant en France, même si les églises sont plus nombreuses que les autres lieux de culte du fait de notre histoire. 

Si on regarde les agressions ou les incivilités, quels sont les Français en colère qui sont le plus influencés et enclins à passer à l’acte ?

Il y a différentes formes, degrés dans cette violence, jusqu’à la radicalisation islamiste qui vise le remplacement de la démocratie par une théocratie par les armes, avec le passage à l’acte terroriste. Si on se réfère à l'évolution récente, on voit la montée de ce que l’on appelle le racialisme, ce discours indigéniste faisant le procès postcolonial de la France, rabattant la question sociale systématiquement sur celle des discriminations, qui fait du ressentiment antiblancs son fer de lance et pousse dans le sens de cette violence, allant jusqu’à s’en prendre à certains monuments. On a en mémoire dans ce climat de rejet violent de la France et de ses symboles, la dégradation de l'Arc de Triomphe en fin de manifestation des Gilets jaunes, qui n’était pas nécessairement l’expression de l’ensemble des manifestants, mais qui a montré en franchissant cette limite qu’il n’y avait plus de tabou. Il y a ceux qui déboulonnent les statues de personnages célèbres, croyant pouvoir effacer ainsi le passé, comme si le présent et le futur pouvaient en faire l‘économie, au lieu d’en recontextualiser le sens dans une histoire commune à écrire ensemble. Au contraire, c’est la mystification du chacun sa tribu selon son origine qui fracture, son histoire fantasmée et son ressentiment, chacun selon sa haine dans sa case, avec son bouc-émissaire des incompréhensions et des malentendus, ce qui présage de graves difficultés à venir. Certaines municipalités en viennent, pour croire régler le contentieux, à proposer de remplacer certaines statues par d’autres, comme celle proposée d’une esclave révoltée sortie d’un livre d’auteur, devant s'installer dans un espace public parisien. Est-ce bien sûr que la pratique de quotas en la matière règle quoi que ce soit ? Mieux encore, on donne à Caen à une rue le nom d’une militante pro-voile, qui s’exprime sur l’événement pour affirmer fièrement, selon le Courrier de l’Atlas : « On veut éradiquer de l’espace public les femmes musulmanes qui portent le hijab et aujourd’hui, l’espace public donne une rue à une femme qui le porte » Quelle formidable victoire pour les droits des femmes effectivement. Rien qui ne puisse apaiser les démêlés identitaires de notre lien social, avec les risques de violence que cela porte. A l’autre, bout si je puis dire, il y a le risque de violences d’une extrême droite identitaire qui a aussi ses ressentiments, au regard d’une immigration qu’elle rend responsable de tous les maux, mais elle fait moins parler d’elle. 

Une élite médiatique acquise au multiculturalisme n’hésite pas à relayer le moindre frémissement victimaire, comme pour le Comité Adama dont la cause a été assimilée de façon odieuse et manipulatrice à celle d’un Georges Floyd, pour ne cesser de faire la Une. Dans ce prolongement, on tourne le dos à toute lecture rigoureuse de l’histoire, comme l’émission sur France 2 d’hier consacrée au colonialisme français a pu en être l’expression par ses déséquilibres, avec un discours à charge prenant la tournure d’un procès d’une France intimée par le journaliste de devoir présenter des excuses, paraphrasant le candidat Macron lors de la campagne des dernières présidentielles. Une France d’aujourd’hui qui n’a plus rien à voir pourtant avec le colonialisme, qui porte une égalité de tous devant la loi ayant balayé devant l’histoire l’impasse des rapports de domination entre peuples. La question n’est donc pas de s’excuser, mais de comprendre le pourquoi pour que cela ne se reproduise jamais. Le voilà le bien commun qui seul est susceptible de nous faire nous élever ensemble par-delà nos différences pour ne faire qu’un peuple, et non d’humilier les uns aujourd’hui au nom de la blessure des autres d'hier, qui ne fait que des perdants devant l’histoire, au risque de violences des uns contre les autres. En attendant, on se demande bien pourquoi tant de personnes émigrent en France de ces anciens pays colonisés et autres, si notre pays est si infréquentable autant qu’un véritable enfer. Personne lors du débat qui suivra le film ne rappellera la chance que nous avons de vivre dans un pays de liberté où ne se sépare pas selon nos différences mais, au contraire, en raison d’être d’abord des égaux où on se mélange plus qu’ailleurs. Evidemment, ce n’était pas dans le schéma de la soirée.

On l’a vu aussi lors de la manifestation contre l’islamophobie du 10 novembre 2019, se justifiant par une victimisation à outrance à mille lieux de la réalité des chiffres des actes antimusulmans, se terminant sur des Allah Akbar. Une démesure poussant dans le sens de la haine de l’autre, des autres, et de de l’affrontement, ce qui ne peut être sans conséquence sur les comportements.

Le nombre de faits racistes et xénophobes a très fortement augmenté en 2019, avec une hausse de plus de 130% selon le bilan annuel du ministère de l'Intérieur, et 1142 faits comptabilisés en 2019 contre 496 précédemment. L’explication qui en est donné a de quoi surprendre : Selon Frédéric Potier délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, cela serait le fait d’« une montée des extrémismes identitaires, un climat de tension anxiogène. » Voilà qui doit alerter et modérer la tendance actuelle au soutien tous azimuts des revendications identitaires.

Le projet de loi sur les séparatismes prend-il en compte le problème de l’incitation à la haine dans son entièreté ?   

Je ne crois pas, car il continue de jouer sur l’idée de l’accompagnement par l’Etat de l’organisation d’un culte, pour espérer le contrôler, contrairement au principe de laïcité qui est celui de la séparation du pouvoir politique de l’influence des Eglises. Il continue de mélanger République et religion, comme l’ont fait ses prédécesseurs avec l’insuccès que l’on connait, un mélange de plus en plus explosif. Rappelons ici que selon l’enquête de l’institut Montaigne « Un islam français est possible », près de 30 % des musulmans interrogés portaient la charia au-dessus du droit civil et qu’autant considéraient leur religion comme un instrument de révolte contre la société. Parallèlement, 24% des femmes se déclarant comme musulmanes disaient porter le voile en 2003, alors qu’elles sont aujourd'hui 31%, selon une étude de l'Ifop (septembre 2019). A côté d’un islam pratiquant raisonné se sont développés le fondamentalisme et l’intégrisme, dont le salafisme, jusqu’à la radicalisation religieuse qui conduit au djihadisme.

Rien dans ce que propose le Président de la République ne semble pouvoir freiner les tensions actuelles. Des mesures parcellaires peuvent apparaitre comme une avancée, contrôle des écoles hors contrat, interdiction des horaires de piscine pour des pratiques non-mixtes, suppression des imams détachés ou encore l’obligation de signer pour les associations subventionnées une Charte de la laïcité, mais il ne prend pas en réalité la mesure du problème. Il négocie les conditions de ralliement d’un culte en lui offrant par son estampillage d’Etat, via le Conseil français du culte musulman (CFCM) et l’Association des musulmans pour l’islam de France (AMIF), une officialité qui y assigne l’ensemble de nos concitoyens de confession musulmane, contrairement à leur liberté de choix. C’est à la fois trahir cette liberté de la République et en même temps encourager le communautarisme. C’est ne faire au final que des mécontents. En réalité, il met un bouchon sur la cocotte-minute, ce qui ne l’empêchera pas d’exploser, alors qu’il s’agirait sous elle de couper le feu. Cela n’est possible qu’en rétablissant la République dans son rôle qui est, loin de toute neutralité, de veiller au respect absolu des règles de vie en société que définissent nos principes communs et les valeurs qui y sont attachées, sur quoi aucun empiètement d’une religion ne devrait se faire jour. Alors que précisément, c’est au regard de ces empiètements multiples aux accommodements déraisonnables que le discours du président avait contradictoirement du sens, parce que l’on a pratiquement tout laissé faire. Nous vivons depuis une trentaine d’années, et les premiers voiles dans une école à Creil en juin 1989, dans une dérive concordataire. L’idée de l’égalité de traitement des cultes domine l’action de l’Etat et donc, de procurer à l’islam, perçu comme en retard sur les autres, les moyens de se faire une place, comme si cela était l’élément fondamental de l’intégration de certains de nos concitoyens, au lieu de leur citoyenneté.

On soulignera aussi le « en même temps » présidentiel qui consiste à dénoncer, en sortant d’un certain déni, pour immédiatement après jeter en pâture des concessions folles aux thèses ennemis, comme celle selon laquelle « Nous avons concentré des populations en fonction de leurs origines », qui est une contrevérité. Le parc social aujourd’hui est essentiellement occupé par des populations immigrées en raison d’un niveau de revenus qui leur permet d’en bénéficier. Et si certains sont des ghettos sociaux, c’est avant tout du fait de la crise économique que nous traversons, qui touche les moins bien qualifiés et formés, sachant qu’un quart des parents d’immigrés n’a jamais été à l’école. Et si on veut être complet, au lendemain de la décolonisation, le PCF qui tenait « la banlieue rouge » a accueilli à bras ouvert et peut-être un peu trop, les immigrés d’alors, qui furent ravis de découvrir des appartements avec tout le confort, venant d’un pays où il n’en avait même pas l’idée pour la plupart. L’Etat n’a jamais eu une politique de ségrégation de cette sorte. L’accueil massif d’immigrés a, par contre, rendu parfois certains choix d’accueil inévitables, créant indirectement du repli communautaire, ce qui devrait interroger à l’avenir. Par ailleurs, c’est la politique du surloyer qui a chassé les classes moyennes des logements sociaux pour accentuer cette ghettoïsation, par le fait de gouvernements pratiquant une politique démagogique de lutte contre la pauvreté complètement erronée, détruisant toute mixité sociale. Un discours donc, au « en même temps » dangereux.

La République a su dépasser ses contradictions en raison de ses propres principes, de la place qu’y occupe l’idée de liberté, ce avec quoi à l’épreuve des faits le colonialisme était devenu à un moment donné plus justifiable et même insupportable. C’est sur ces principes humanistes et solides, dont la laïcité de l’Etat qui fait qu’il soit impartial à ne se réclamer d’aucun culte, garantissant ainsi l’égal accès aux droits de chacun, qu’il faut s’appuyer pour faire aimer la République, et non en les compromettant à chercher à jouer au plus fin avec une religion ou une autre, au risque demain de la démultiplication de la violence.

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