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Azerbaïdjan / Arménie : la guerre d'influence fait rage
©Narek Aleksanyan / AFP

Conflit armé

Face à une situation qu’ils décrivent comme "grave", les dirigeants européens appellent au cessez-le-feu au Haut-Karabakh et dénoncent toute "ingérence extérieure". Les affrontements entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ont déjà fait de nombreuses victimes ces derniers jours.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Paris et Moscou accusent Ankara d’avoir dépêché quelques centaines de mercenaires syriens en Azerbaïdjan. Erevan parle de plus d’un millier qui proviendraient de Libye où ils étaient déployés depuis la fin 2019 mais aussi du front syrien. Pour le président Macron, des renseignements dont état du passage des mercenaires venus de Syrie par Gaziantep ce qui est logique quand on regarde une carte. De là, ils ont pu rejoindre Bakou par la voie des airs. 

Mais cela appelle plusieurs questions :

  •  pourquoi l’Azerbaïdjan a besoin de ces mercenaires généralement formés comme des fantassins de base ; en effet, les forces armées terrestres azéries seraient fortes de quelques 60.000 hommes sous les armes (7.900 dans l’aviation) qui peuvent puiser, en cas de besoin, dans une réserve de 300.000 réservistes qui ont effectué leur service militaire (de 12 à 18 mois) depuis moins de 15 ans (ce chiffre est vraisemblablement exagéré mais cela constitue néanmoins un vivier intéressant en cas de besoin) ? La réponse serait que les recrues - ni la population pourtant préparée psychologiquement à une guerre de reconquête - ne seraient pas enthousiastes pour affronter les Arméniens réputés pour leur combativité et qu’il conviendrait mieux de mettre en première ligne des mercenaires "consommables" sans créer de mouvements de mécontentement.
  • Qui sont vraiment ces mercenaires vraisemblablement recrutés pour partie par la société militaire privée turque SADAT AS International Defense Consulting dont le chef est un proche du président Recep Tayyip Erdoğan ? On parle de "combattants de groupes jihadistes". Il est peu probable que ce soit le cas car l’Azerbaïdjan est un pays majoritairement peuplé de chiites que les salafistes-jihadistes (sunnites) considèrent comme des apostats, c’est-à-dire des "traîtres à l’islam" qu’ils abhorrent encore plus que les chrétiens (les Arméniens) qui sont des "gens du Livre" qui, sous certaines conditions, peuvent être épargnés. Il est probable qu’il s’agit majoritairement de miliciens turkmènes qui épaulent l’armée turque dans le nord de la Syrie depuis le début de la guerre civile. Pour ces spadassins des temps modernes qui combattent depuis une petite vingtaine d’années, la religion n’est plus leur motivation première mais l’appât du gain.
  • Quel est le rôle réel de la Turquie dans les affrontements ? Si Ankara se garde à engager directement son armée régulière en dehors de ses moyens de surveillance et de renseignements, ce théâtre constitue un terrain de jeux pour ses services secrets (MIT). De plus, la Turquie peut apporter une expertise dans le domaine de la guerre électronique comme on l’a vu en Libye mais aussi dans celui les drones, Bakou ayant touché au moins dix TAI Anka S et dix Baraktar qui ont fait leurs preuves sur le terrain en Syrie et en Libye.

À propos des drones, le pays le plus en pointe dans ce domaine en Azerbaïdjan est Israël qui fournit depuis des années des matériels de ce type : Orbiter 1K et 3, Aerostar, IAI Searcher et Harop, Elbit Hermes 450 et 900, SkyStriker, Thunder B… La société d’armement azérie AZAD system co fabriqué sous licence le Pegasus 120. Israël aurait aussi livré à Bakou des missiles semi-balistiques Lora dont un exemplaire aurait déjà été mis en oeuvre pour détruire un pont jugé stratégique. L’objectif de l’État hébreux est clair: tant que l’Azerbaïdjan reste opposé à l’Iran, ce pays constitue un observatoire privilégié sur la République Islamique.

Tous les pays appellent à un cessez-le-feu et à des négociations sauf la Turquie qui comme partout où elle intervient fait monter la pression jusqu'au moment où elle résigne à négocier, mais en position de force. Moscou et Téhéran se disent disponibles pour accueillir des délégations des deux partis sur leur sol.

Il est de notoriété publique que l’Iran soutient directement l’Arménie contre l’Azerbaïdjan depuis le déclenchement du conflit en 1991. Mais, une autre question se pose : est-ce que la position de Téhéran n’est pas en train d’évoluer ? À savoir que l’Ayatollah Khamenei fait circuler le message dans le clergé azéri que le Nargorno-Karabakh revient de droit à l’Azerbaïdjan ce qui n’est pas totalement faux sur le plan du droit international, mais qui se préoccupe vraiment de ce dernier depuis des années ?

La guerre de positions avec des bombardements erratiques va se poursuivre sans qu'aucun des deux pays ne puisse emporter la décision militaire. Par contre, la guerre d'influence va encore croître. 

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