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Ivg interruption volontaire de grossesse
Ivg interruption volontaire de grossesse
©DR - stock.adobe.com

Allongement du délai légal

Les députés ont adopté en commission des affaires sociales une proposition de loi visant à allonger de 12 à 14 semaines de grossesse le délai légal pour recourir à l'avortement. Le texte sur l’allongement du délai de l’avortement sera examiné à l’Assemblée nationale le 8 octobre.

Israël Nisand

Israël Nisand

Israël Nisand est un gynécologue obstétricien aux hôpitaux universitaires de Strasbourg et professeur en sciences humaines à la faculté de médecine de Strasbourg.

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Caroline Roux

Caroline Roux

Caroline Roux est déléguée générale adjointe et coordinatrice des services d'écoute d'Alliance VITA.

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Atlantico.fr : Ce mercredi 30 septembre, les députés ont adopté en commission des affaires sociales une proposition de loi visant à allonger de 12 à 14 semaines de grossesse le délai légal pour recourir à l'avortement. Que contient cette proposition de loi ? Est-ce applicable par les médecins et le personnel médical ? 

Israël Nisand : Cette Proposition de Loi comporte trois articles qui, loin d’améliorer les droits des femmes dans notre pays, vont contribuer à les détériorer :

•  L’allongement du délai légal d’accès à l’IVG de 14 à 16 semaines d’aménorrhée ;

•  La suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG ;

•  L’ouverture du droit pour les sages-femmes de pratiquer des IVG chirurgicales jusqu’à 12 semaines d’aménorrhée.

Les sages-femmes n’ont pas de formation chirurgicale. L’IVG chirurgicale qui ne représente que 35% des IVG est d’autant plus dangereuse qu’elle concerne des âges avancés que de toutes façons les SF ne pourraient pas pratiquer. Bien sûr, on pourrait les former mais il s’agirait donc d’éviter à quelques médecins de pratiquer des IVG plus précoces ce qui ne modifierait en rien l’accessibilité à l’IVG. On ne peut prétendre « changer les mentalités des médecins » et les dispenser en même temps de ce service aux femmes. Il y a des médecins qui demandent ce transfert de compétences, mais c’est pour de mauvaises raisons. A ces stades de grossesse, les sages-femmes, avec beaucoup de compétences et de qualités professionnelles, participent aux IVG médicamenteuses dont la proportion d’ailleurs ne cesse d’augmenter d’année en année.

Comment en est on arrivé là  ?

Caroline Roux : C’est une orchestration de députés minoritaires qui tentent de faire du forcing pour faire exploser l’encadrement de l’avortement. Ils relaient les revendications des associations militantes spécialement celles du planning familial pour qui l’avortement « fait partie de la vie des femmes », un droit absolutisé auquel on ne doit pas mettre de limites.

Ce sont les mêmes qui ont fait passer un amendement au projet de loi bioéthique dans une Assemblée nationale désertée, la nuit du 31 juillet au 1er août en ajoutant le critère flou de « détresse psychosociale » pour avorter pendant les neuf mois de la grossesse. Cette mesure a d’ailleurs créé un électrochoc chez des personnes de tous bords, choquées par ces avortements tardifs de fœtus en pleine santé, véritable «  euthanasie » du foetus comme l’ont pointé certains. Cette disposition devrait être retoquée par les sénateurs. D’où cette offensive sur plusieurs fronts simultanés.

La dialectique est bien huilée : l’avortement serait un parcours du combattant, des milliers de femmes vont à l’étranger pour avorter hors délai. En réalité, nous ne disposons d’aucune analyse fiable ni sur les chiffres ni sur les raisons pour lesquelles un certain nombre de femmes iraient à l’étranger. Ces données pourraient éclairer sur les carences éventuelles des politiques publiques et les politiques de prévention à conduire. C’est ce qu’ont d’ailleurs reproché certains députés de différentes tendances politiques.

Dans ces conditions, allonger les délais revient à condamner les femmes soumises à des difficultés à avorter coûte que coûte, alors que toute proposition d’alternative et de soutien est absente de ce texte.

En quoi cet allongement peut être inquiétant ?

Israël Nisand : Aucune femme ne demande, ni n’espère, que l’IVG dont elle a besoin soit tardive. Ce qu’elles demandent c’est que les choses aillent vite lorsqu’elles le décident. Or, certains hôpitaux, tout particulièrement dans les grandes métropoles, sont saturés et donnent des rendez-vous à 3 semaines, voire plus, lorsqu’ils sont sollicités. Plutôt que d’allonger le délai légal, donnons les moyens aux hôpitaux de gérer toutes les IVG comme des urgences (il suffit pour cela de modifier la tarification des actes et de contrôler l’efficience de cette modification). Augmenter le délai légal parce qu’on n’a pas été capable de recevoir les femmes en demande d’IVG au moment de leur demande, est-ce améliorer le droit des femmes ? C’est au contraire leur proposer un geste lourd et dangereux là où il aurait été simple et moins risqué si on avait réagi tout de suite. Cet allongement du délai légal n’est pas dans l’intérêt des femmes que ce soit sur le plan psychologique ou physique. Si toute femme en demande d’IVG était prise en charge tout de suite, il n’y aurait que peu de femmes en dépassement de délai dont on pourrait d’ailleurs prendre en compte la situation particulière au travers de l’IMG pour cause psycho-sociale.

Le réseau de soins existant dans le domaine de l’orthogénie, certes fragile du fait d’un manque structurel de moyens dans les maternités, risque d’enregistrer une désaffection importante des professionnels de santé qui réalisent aujourd’hui ces gestes, à l’instar de ce qui s’était produit lors du précédent allongement de 12 à 14 semaines d’aménorrhée en 2001. Trente pour cent des gynécologues avaient alors cessé de participer aux IVG. L’absence de concertation préalable avec les sociétés savantes et les associations professionnelles de la discipline témoigne d’une certaine forme d’indifférence des parlementaires à la réalité de gestes qu’ils ne connaissent pas et qui seront, de fait, demandés à ces mêmes médecins. Le précédent allongement du délai n’est toujours pas accepté par nombres de ces professionnels qui refusent encore de les pratiquer.

Caroline Roux : C’est un signe supplémentaire de l’abandon total de toute politique de prévention. Avorter tardivement à plus de trois mois de grossesse est très violent pour les femmes, d’autant que sur un plan médical, l’IVG est rendue plus complexe compte tenu de la plus grande taille du fœtus.

Il est essentiel de revenir à la réalité de l’avortement. Les statistiques de l’avortement qui viennent d’être publiées pour 2019, révèlent que le nombre d’avortements est au niveau le plus élevé en France depuis 30 ans avec 232 200 avortements. Pour la première fois, les données sur l’IVG ont été appariées avec des données fiscales. Il en ressort que les femmes aux revenus les plus faibles y ont davantage recours.  Autant dire que l’IVG est un marqueur d’inégalité sociale qui devrait alerter les pouvoirs publics. 

La loi a été revue une dizaine de fois depuis 1975 en levant les cadres censés protéger les femmes : le délai de réflexion notamment a été supprimé, comme la notion de détresse pour avoir recours à l’IVG. Dès 2001, la proposition des aides et droits des femmes enceintes a été supprimée du livret remis lors de la consultation d’IVG.

Tout se passe comme si la société se dédouanait de ce que vivaient les femmes. Les conséquences sur la vie des femmes sont occultées. Pourtant, à Alliance VITA, nous sommes témoins dans notre service d’aide aux femmes enceintes des hésitations douloureuses de femmes à propos de leur grossesse. Si la question est à vif, c’est que des vies sont en jeu. On passe sous silence les violences que constituent les pressions – souvent masculines mais aussi sociales – pour les femmes les plus vulnérables qui les poussent trop souvent à avorter à contrecœur, ainsi que les conséquences qui peuvent laisser des traces psychologiques difficiles à vivre par la suite.

Pourquoi n’y a-t-il plus dans le champ politique des gens capables de s’en inquiéter de manière raisonnée et modérée ? Mis à part Thibault Bazin qui a jugé que le texte soulevait des «questions bioéthiques pour le fœtus et la femme », personne à droite n’a réagi. Où est-elle passée ?

Caroline Roux : Il s’agit d’un examen en commission des affaires sociales avec très peu de députés. Il faut rappeler que le débat a été confisqué depuis longtemps par des associations militantes qui sont subventionnées par l’Etat. Les parlementaires, comme d’ailleurs la société tout entière a du mal à pouvoir émettre des positions nuancées face à des partis pris idéologiques qui constituent un véritable terrorisme intellectuel. Si les partis de droite parlementaires se sont dits opposés à ce texte, aucun parti politique n’a jamais brillé par son engagement à ouvrir un véritable débat sur cette question sociale et sanitaire majeure. La seule réponse apportée depuis des années est une surenchère de politique contraceptive qui a fait preuve de ses limites, compte tenu du grand nombre d’échec de contraception. L’IVG s’impose alors souvent comme une « solution de fatalité ».

L’examen de cette proposition de loi est programmé le 8 octobre prochain dans l’hémicycle dans la niche parlementaire Ecologie Démocratie Solidarité. Ce groupe minoritaire, formé en mai 2020  par 17 députés, est composé en quasi totalité par d’anciens membres du groupe La République en Marche, issus de son aile gauche et écologiste.

Le gouvernement n’est pas tenu de suivre. Pour le moment il ne s’est pas prononcé, mais il se pourrait qu’il repousse ce texte qui n’émane pas ni de son initiative, ni de sa majorité.

A ce stade, la priorité est de conduire une véritable étude épidémiologique impartiale, qui analyse les causes, les conditions et les conséquences de l’avortement pour la mise en place d’une réelle politique de prévention de l’avortement.

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