Un recul de la mondialisation, on a déjà connu. Et ça nous a mené à... 1914 et 1939<!-- --> | Atlantico.fr
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Nationalisme économique

La deuxième moitié du 19e siècle avait connu une phase de mondialisation poussée des échanges. Suivie d’une phase de retrait et de montée des nationalismes économiques ayant contribué au déclenchement des deux guerres mondiales.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Aujourd’hui, le virus rebat les cartes de la mondialisation mais si on regarde dans le passé de nombreuses phases de retrait sont déjà apparues. Les causes de l'arrêt de la mondialisation ont-elles toujours été les mêmes ? 

Jean-Marc Siroën : Les phases d’arrêt ou de régression  de la mondialisation sont certes nombreuses mais sur une histoire très longue. Les hommes et les marchandises circulent depuis l’antiquité (et même avant !). Les phases de ralentissement viennent alors de l’insécurité des routes terrestres ou maritimes  (brigandage, piraterie, guerres,…).

Les historiens qui veulent éviter  de remonter aux « économies-monde » décrites par Fernand Braudel, se limitent à deux mondialisations seulement qui s’étalent l’une  de la chute du Premier Empire à la première guerre mondiale et l’autre de l’après seconde guerre mondiale jusqu’au début du XXI° siècle si on considère qu’elle est aujourd’hui terminée (ce qui reste à prouver). Ces deux phases de mondialisation, interrompues par la démondialisation de l’entre deux guerre, couvre ainsi deux siècles. Elles  ont été caractérisées par des révolutions industrielles autour d’innovations dans les produits et les processus de production avec à chaque fois des formes de spécialisation qui ont stimulé le commerce. Ce furent aussi des périodes de paix relative autour d’une puissance leader sinon hégémonique (l’Angleterre puis les États-Unis) qui ont non seulement favorisé le « libre commerce » , mais aussi sa régulation (traités de libre-échange, GATT/OMC,…). À contrario le ralentissement de la mondialisation vient d’un dérèglement du système : épuisement des secteurs moteurs, instabilité économique, affaiblissement du leader, attraction des idéologies nationalistes, guerres.

Aujourd’hui la mondialisation est par ailleurs remise en doute par des transitions technologiques, écologiques ou encore démographiques qui, dans le processus schumpetérien de « destruction créatrice », suscitent plus d’anxiété que d’enthousiasme. Les États-Unis rechignent à rester leader tout en souhaitant rester hégémonique, les tentations autoritaires, nationalistes et expansionnistes se réveillent. Ce n’est pas la crise de la Covid-19 qui est à l’origine de ce nouveau cycle, mais elle pourrait en accélérer les effets.

Les deux grandes guerres ont-elles été la conséquence du repli des nations sur elles-mêmes ? 

C’est vrai pour la seconde mais certainement pas pour la première.

Entre la première mondialisation qui s’achève en 1914 et la seconde qui s’engage en 1945, le commerce a fortement régressé et s’est même effondré dans les années 1930. La « démondialisation », dans cette période, a donc été la conséquence de la première guerre plutôt que sa cause.

La première mondialisation s’était en effet accompagnée, en Europe et dans le nouveau monde, d’une paix inédite (les guerres prussiennes -dont celle de 1870- limitées dans le temps, étant l’exception). Certes la dépression qui commence au milieu des années 1870 a favorisé le retour du protectionnisme (comme en France, les lois Méline de 1892) mais celui-ci est resté d’autant plus modéré que le leader, l’Angleterre, ne participa pas à ce mouvement. Non seulement ce très relatif repli sur soi commercial, n’a pas attisé les conflits mais il s’est même accompagné d’une vive reprise économique et d’une forte expansion du commerce international ! Jusqu’au déclenchement de la guerre, la mondialisation s’est poursuivie et même accélérée. Comme le décrit bien Stefan Zweig dans « Le Monde d’hier », à la veille de la guerre l’Europe bénéficiait d’une prospérité qui s’affichait partout. Chaque citoyen  pouvait passer les frontières  sans passeport. Les historiens continuent d’ailleurs à chercher des causes tangibles à cette guerre que personne ne voulait mais que la diplomatie des surenchères a finalement provoqué.

Si la première guerre ne fut pas précédée  d’un repli sur soi des nations, il en fut autrement pour la seconde. Aux États-Unis, l’internationalisme du Président Wilson s’est métamorphosé en isolationnisme avec une politique délibérément protectionniste engagée dès le début des années 1920 et aggravée en 1930 (loi Smoot-Hawley). Les grandes puissances -France, Angleterre,…- se repliaient sur leur Empire quand les puissances totalitaires ou dictatoriales -Allemagne, Italie, URSS, Japon,…- adoptaient les politiques expansionnistes qui ont amené la guerre.

La comparaison de ces deux périodes montre donc que le repli sur soi des nations -d’ailleurs relatif du fait des alliances- n’est une condition ni nécessaire, ni même suffisante  pour déclencher des guerres même s’il y prédispose. Les guerres sont la conséquence d’un « jeu » de rapport de force qui n’est pas parvenu à trouver son équilibre.

Connaissons-nous actuellement une situation similaire aux grandes phases de ralentissement de la mondialisation avec ce que cela implique ? 

Jusqu’à la crise de 2008, le commerce international a cru deux à trois fois plus que le PIB mondial. Avant même la crise du Covid-19, ce n’était plus le cas, les deux agrégats croissant à peu près au même rythme. C’est un ralentissement mais pas, comme dans les années 30, une régression. De fait, croissance et mondialisation sont (plus ou moins) corrélées et l’effondrement du commerce dans les années 30, tout  comme en 2008 et en 2020, est davantage due à la chute de la production qu’au repli sur soi des nations.

Il n’en est pas moins vrai que le rythme de cette mondialisation tirée par la croissance (et réciproquement) dépend aussi de phénomènes structurels. Après la guerre, le commerce fut d’abord entrainé par les échanges entre pays industriels puis par le commerce avec les pays émergents, essentiellement asiatiques et, à partir des années 1990, par  la Chine. Ce pays  eut la bonne idée de se spécialiser au stade aval de la chaine de valeur très demandeur de main-d’œuvre (le montage de composants souvent importés). C’est principalement  cette forme de division internationale du travail qui est aujourd’hui remise en cause non seulement parce qu’elle a atteint ses limites –« les arbres ne montent pas jusqu’au ciel » disent les Chinois- mais aussi parce que cette forme de spécialisation « verticale » a accentué la désindustrialisation et l’interdépendance des producteurs, ce qui est perçu comme une vulnérabilité menaçante : une seule défaillance au stade amont du processus de production remet en cause la disponibilité du produit final.

La crise de la Covid-19 n’a pas créé ce doute mais il l’a accentué.  Elle a souligné cette dépendance des économies et amplifié l’instinct d’ « autosuffisance » par ailleurs réactivé par les courants écologistes . Elle aurait  rationnellement dû être limitée aux produits qui ont manqué (masques, respirateurs, anesthésiants, etc.) mais elle pourrait s’élargir à une multitude d’autres produits, notamment alimentaires même si rien ne prouve que l’autosuffisance aurait été en mesure de mieux répondre à des situations de crise (au contraire même puisque les importations peuvent aussi répondre à des pénuries).

Que la crise actuelle achève l’illusion d’une « mondialisation heureuse » est une chose. Qu’elle implique un brutal retour en arrière de type années 1930 et qu’elle soit même à l’origine de nouvelles guerres en est une autre. Différents scénarios sont possibles assez liés d’ailleurs au rythme de la reprise. On peut certes anticiper une accélération des évolutions inquiétantes apparues avant la Covid-19 notamment le retour d’un nationalisme expansionniste (Russie, Chine, Turquie, Iran…) ou isolationniste (États-Unis). Mais on peut tout autant espérer que cette crise mondiale tombée du ciel finira par réhabiliter une coopération internationale pour l’instant très délaissée.

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