Comment l’Etat islamique est devenu l’ennemi de la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Terrorisme
Etat islamique daech attentats terroristes France 2015
Etat islamique daech attentats terroristes France 2015
©Reuters

Bonnes feuilles

Jacques Baud publie "Gouverner par les Fake News" aux éditions Max Milo. L'auteur passe en revue les principaux conflits contemporains, gérés par les pays occidentaux à coups de fake news, ces trente dernières années. Extrait 2/2.

Jacques Baud

Jacques Baud

Jacques Baud, colonel, expert en armes chimiques et nucléaires, formé au contre-terrorisme et à la contre-guérilla, a conçu le Centre international de déminage humanitaire de Genève (GICHD) et son Système de gestion de l'information sur l'action contre les mines (IMSMA). Au service des Nations unies, il a été chef de la doctrine des Opérations de maintien de la paix à New York, et engagé en Afrique. À l'Otan, il a dirigé la lutte contre la prolifération des armes légères. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le renseignement, la guerre asymétrique et le terrorisme.

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Les attentats terroristes en France 

Le contexte 

En 2014, l’Occident n’est menacé ni par l’État islamique ni par aucune faction engagée dans la guerre en Irak ou en Syrie et n’a aucune raison pour intervenir en Syrie. C’est ce qui pousse les États-Unis à créer le groupe fictif « Khorasan » en été 2014[1].

L’État islamique et son Califat sont créés le 29 juin 2014. Les combats entre factions rivales sont brutaux et la situation humanitaire se dégrade de manière rapide et visible. Le 10 août 2014, interrogé par France 2 sur l’action de la France en Irak, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius affirme même :

Est-ce que, nous-mêmes, nous allons nous impliquer militairement ? La réponse pour le moment est non, je vous le dis clairement, puisque notre doctrine est que nous n'intervenons pas s'il n'y a pas un feu vert du Conseil de sécurité des Nations unies, et s'il n'y a pas une menace directe pour nos ressortissants. Mais nous saluons le travail que font les Américains. C'est un premier point ; et, de toutes les manières, il n'est pas question d'envoyer des gens au sol[2].

Pourtant, des militaires français sont déjà engagés clandestinement en Syrie depuis 2012. Mais c’est pour renverser le gouvernement syrien et non pour lutter contre l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui partage le même objectif que la France.

Le 5 septembre 2014, en marge du Sommet de l’Otan du Pays de Galles, les États-Unis réunissent neuf pays[3] autour d’eux dans une coalition destinée à lutter contre l’État islamique tout d’abord en Irak, puis en Syrie ; non pas pour protéger l’Occident – qui n’est pas menacé – mais pour préserver la fragile stabilité de l’Irak. Dix jours plus tard, lors de la conférence de Paris, cette coalition est augmentée de 18 pays[4]. Le 18 septembre 2014, le président Hollande annonce que la France frappera des groupes terroristes en Irak, à la demande du gouvernement irakien, malgré que la France n’ait subi aucune menace ou attaque de l’État islamique jusque-là. Le lendemain, il confirme que les premières frappes sont exécutées :

Ce matin à 9 h 40, conformément aux ordres que j’avais donnés, les avions Rafale ont pilonné un objectif et l’ont entièrement détruit […] En aucun cas il n'y a de troupes françaises au sol[5] […]

Lors de la réunion ministérielle de l’Otan à Bruxelles, le 4 décembre 2014, la coalition est élargie de 33 autres pays[6]. Après les images obscènes d’égorgements et de décapitations, le langage de la fermeté plaît. Néanmoins, la décision de mener des frappes en Syrie, sans mandat et sans l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies – et donc, sans légalité internationale – n’était justifiée par aucune menace directe contre l’Occident[7].

"Ne nous y trompons pas : un totalitarisme a frappé la France non pas pour ce qu'elle fait, mais pour ce qu'elle est"[8]

La stratégie des terroristes

Le moment choisi pour les attentats de 2015 n’était pas complètement imprévisible. Il faisait suite à plusieurs articles doctrinaux dans la littérature djihadiste sur les « opérations de dissuasion[9] », selon la terminologie de l’État islamique. Un examen dépassionné des attentats djihadistes en Europe montre qu’ils ont été perpétrés avec la même finalité : pousser les populations à exiger le retrait de leurs troupes du Moyen-Orient, comme en Espagne en 2004. Mais nous refusons de comprendre cette mécanique et le message convoyé par les médias et les journalistes est exactement inverse :

Il est faux de dire que les attentats ont lieu en France en réponse et pour faire pression sur les gouvernements qui interviennent militairement au Moyen-Orient[10].

Pourtant, en 2013, Abou Mu’sab al-Souri, le principal théoricien du terrorisme djihadiste moderne écrivait dans le magazine Inspire :

[La résistance] doit s’efforcer de créer l’impression que son bras est prêt à s’étendre et frapper quiconque envisage de participer à une agression. Généralement, la majorité de nos ennemis, du général au simple soldat sont en fait des lâches. Et la plupart d’entre eux peuvent être dissuadés par un exemple fort, en en frappant et punissant quelques-uns. Cette dissuasion a comme effet recherché, le retrait de ceux qui sont déjà engagés ou de prévenir ceux qui pensent s’engager[11].

En mai 2018, dans sa vidéo d’allégeance et de revendication, avant de commettre une attaque au couteau, Khamzat Azimov transmet exactement le même message :

[…] C’est vous qui avez commencé à bombarder l’État islamique, là je m’adresse à la France et à ses citoyens, c’est vous qui avez commencé à tuer les musulmans, et après quand on vous donne une réponse, quand on riposte, vous pleurez. Si vous voulez que cela s’arrête, faites pression sur votre gouvernement ! Je ne suis pas le premier à vous le dire. D’autres frères avant moi avant d’agir, qui sont sur place là-bas, vous l’ont déjà dit, mais vous avez refusé d’écouter[12] […]

Les djihadistes ont bien compris que l’opinion publique américaine – toutes tendances politiques confondues – est très « militarisée » et généralement favorable aux interventions extérieures. En revanche, en Europe, la situation est assez différente : les populations sont plus critiques par rapport à ces aventures militaires… et donc plus vulnérables. C’est la notion de « ventre mou », que Gilles Kepel associe – à tort – à une hypothétique révolution islamique mondiale… En Espagne en 2004[13], puis en Grande-Bretagne en 2005, le faible soutien populaire du gouvernement a été un facteur de décision pour les terroristes. Mais en dix ans personne n’a tenté de comprendre leur logique.

En 2013, 68 % des Français étaient opposés à une intervention en Syrie[14] et à la fin 2014 la cote de popularité du gouvernement se situe à 15-20 %[15]. En intervenant dans ces conditions en Irak et en Syrie, le gouvernement Hollande a littéralement fait un « appel du pied » aux terroristes. Le 12 septembre 2014, six jours avant la déclaration du président Hollande pour s’engager en Syrie, le Washington Post affirmait :

Une analyse plus précise montrerait que l'intervention militaire américaine a une énorme valeur de propagande pour l'État islamique, l'aidant à rallier d'autres djihadistes à sa cause, peut-être même des salafistes qui ont jusqu'ici rejeté sa légitimité[16].

C’est exactement ce qui s’est passé. Par ailleurs, notons que l’expert n’associe pas automatiquement le salafisme au djihadisme comme le font les médias en France.


[1] Voir le chapitre consacré à la Syrie.

[2] Laurent Fabius dans le JT de 20 Heures, Franceinfo, 10 août 2014 (07’29’’)

[3] Allemagne, Australie, Canada, Danemark, France, Italie, Pologne, Royaume-Uni, Turquie.

[4] Arabie Saoudite, Bahreïn, Belgique, Chine, Émirats Arabes Unis, Égypte, l'Irak, Japon, Jordanie, Koweït, Liban, Oman, Qatar, République tchèque, Pays-Bas, Norvège, Russie et Espagne

[5] Premier bombardement français contre l'État islamique en Irak, Le Monde.fr/AFP/Reuters, 26 septembre 2014.

[6] Albanie, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Corée du Sud, Croatie, Estonie, Finlande, Géorgie, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Kosovo, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Macédoine, Moldavie, Monténégro, Maroc, Nouvelle-Zélande, Portugal, Roumanie, Serbie, Singapour, Slovaquie, Slovénie, Somalie, Suède, Taïwan et Ukraine.

[7] Jacqueline Klimas, « Islamic State no threat to U.S. homeland : Air Force general », The Washington Times, 14 juillet 2015.

[8] Manuel Valls, 19 novembre 2015

[9] Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience : The Strategy of Deterring with Terrorism », Inspire Magazine, n° 10, Spring 2013, p.22.

[10] Philippe Cohen-Grillet, Journaliste, dans « Le Grand Réferendum », Sud-Radio, 23 mars 2017

[11] Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience : The Strategy of Deterring with Terrorism », op. cit.

[12] Extrait verbatim de la vidéo d’allégeance et revendication de Khamzat Azimov, Agence de presse Amaq, 13 mai 2018

[13] Voir Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience – The Strategy of Deterring with Terrorism », op.cit., p 23

[14] Antoine Goldet, « Les opinions publiques opposées à une intervention en Syrie », www.liberation.fr, 11 septembre 2013

[15] Kocila Makdeche, « INFOGRAPHIE. La popularité de François Hollande à un niveau inédit depuis septembre 2012 », francetvinfo.fr, 2 décembre 2015

[16] Ramzy Mardini, « The Islamic State threat is overstated », The Washington Post, 12 septembre 2014

A lire aussi : Syrie : comment l’Occident a tenté de remettre en cause la légitimité du président Bachar Al-Assad

Extrait du livre de Jacques Baud, "Gouverner par les Fake News - Conflits internationaux : 30 ans d'intox utilisées par les pays occidentaux", publié aux éditions Max Milo

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