Ce que son opposition au projet ITER révèle de la véritable nature de Greenpeace<!-- --> | Atlantico.fr
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projet ITER nucléaire industrie Saint-Paul-les-Durance
projet ITER nucléaire industrie Saint-Paul-les-Durance
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Pensées magiques

Considéré comme le projet énergétique le plus ambitieux au monde, l’organisation Greenpeace critique le projet ITER, qui promet pourtant une énergie non polluante, décarbonée et pratiquement sans déchet.

Ferghane Azihari

Ferghane Azihari

Ferghane Azihari est journaliste et analyste indépendant spécialisé dans les politiques publiques. Il est membre du réseau European students for Liberty et Young Voices, et collabore régulièrement avec divers médias et think tanks libéraux français et américains.

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Alexis Quentin

Alexis Quentin

Alexis Quentin est docteur en physique et ingénieur dans l'industrie nucléaire. Membre de l'association les voix du nucléaire.

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Atlantico.fr : Depuis plusieurs décennies maintenant, des scientifiques tentent de maîtriser la fusion nucléaire, une énergie propre, et surtout renouvelable. Que pensez-vous de ce projet ? 

Alexis Quentin : Iter est un réacteur de recherche. Le E signifie d'ailleurs "Experimental". Il s'agit d'un projet collaboratif international, réunissant plus d'une trentaine de pays. Il faut se souvenir qu'à l'origine de ce projet, il y a le souhait de M. Gorbachev d'avoir un grand projet international capable de faire coopérer les peuples entre eux dans une optique de paix, pour aider à mettre fin à la guerre froide. C'est là le point de départ d'Iter. 

La fusion nucléaire est le principe qu'utilise le soleil pour générer son énergie, et par là même la vie sur Terre. C'est un vieux rêve de l'humanité que d'essayer de réussir à produire notre énergie de la même manière, et on ne pourra pas y arriver si on n'essaie pas, si on ne réalise pas de recherches la dessus. Ce projet, si on veut réussir à maîtriser cette technologie, est donc primordial. 

En outre, si jamais on arrive à produire de l'électricité via la fusion, cela résoudra pas mal des inconvénients de l'énergie nucléaire actuelle : pas d'accidents comme ceux de Tchernobyl ou Fukushima, pas de déchets de hautes activités, des réserves de combustibles pour des milliers d'annees, et aucune prolifération possible. 

Ferghane Azihari : L'idéal derrière Iter devrait enthousiasmer tous ceux qui ont les intérêts de l'humanité à coeur. Il explore les possibilités d'une énergie illimitée et beaucoup plus propre. A l'heure où le réchauffement climatique et les craintes malthusiennes récurrentes - quoique fantasmées - sur les pénuries de ressources à court terme rythment le débat public, l'espoir d'une énergie illimitée devrait fédérer tout le monde. D'ailleurs, on constate que ce projet est transpartisan et transnational. Peut-il aboutir ? Je n'en sais rien. Personne ne le sait en vérité. Les plus optimistes tablent sur des résultats probants d'ici quelques décennies. Les plus pessimistes crient à la chimère. N'étant pas un spécialiste du nucléaire, je n'en sais rien et ne m'avancerai pas là-dessus. Toutefois, comme beaucoup de spécialistes et de profanes, je me dis que le pari doit être tenté. En revanche, plusieurs questions légitimes se posent : faut-il engager les deniers d'autrui sur un projet aussi incertain ? Qui est légitime à effectuer l'arbitrage entre l'incertitude de la fusion et la certitude de la fission ? Dans un monde idéal, ce projet serait financé par un consortium d'entreprises, d'investisseurs et de mécènes privés, pour ne pas risquer les ressources du contribuable en allant contre son consentement. L'aversion au risque étant subjective, la décision de participer ou non à ce projet devrait être plus décentralisée.

Dans un tweet, Greenpeace a affirmé que le projet ITER n'était pas la solution pour répondre à l'urgence climatique. En quoi cela va à l'encontre de la recherche et du développement selon vous ? 

Alexis Quentin : Parce que justement Iter est un projet de R&D. Il n'a pas vocation à produire de l'électricité mais à montrer la faisabilité technique de certains éléments nécessaires à la production d'électricité par fusion. Ce seront ses successeurs, notamment DEMO qui doit voir le jour dans la seconde moitié de ce siècle, qui seront chargés de montrer la faisabilité industrielle de la production d'électricité par fusion nucléaire. 

Quand à l'urgence climatique et au fait que l'argent serait mieux utilisé ailleurs, quelques chiffres. La contribution de la France sur la totalité du projet sera de l'ordre de 1,5 milliards d'euros, le tout sur 30 ans. A titre de comparaison, le soutien public aux énergies renouvelables, c'est de l'ordre de 5 milliards d'euros chaque année. 

Iter pris seul n'est pas une solution au changement climatique, mais c'est une pierre nécessaire pour avoir à l'avenir un moyen de production d'électricité sûr, abondant, et sans émissions de gaz à effet de serre. 

Ne pas vouloir travailler dans ce sens, c'est refuser le progrès, c'est refuser d'avoir de nouvelles connaissances, c'est refuser d'évoluer comme l'être humain le fait depuis ses débuts. 

Si on prend ce raisonnement, on ne construirait pas non plus le LHC au Cern, ni le VLT au Chili. En fait, on ne construirait plus de grosses infrastructures de recherche. 

Ferghane Azihari : L'innovation est par nature imprévisible. Elle nécessite une prise de risque pour obtenir des résultats qui, au début, sont tout à fait incertains. Etrangement, les écologistes - dont Greenpeace fait partie - n'ont aucun problème à assumer une part d'incertitude en promouvant les énergies renouvelables. Après tout, leur crédibilité dépend aussi de ruptures technologiques incertaines, notamment dans le stockage de l'électricité. Je remarque néanmoins que, pour les écologistes, le pari en faveur d'énergies intermittentes et voraces en matière d'espace est plus respectable que celui en faveur d'une énergie illimitée. On ne peut pas comprendre cette dissonance si on ne la met pas en lien avec la haine de la modernité technicienne qui caractérise le mouvement écologiste depuis son émergence dans la seconde moitié du XXe siècle. L'écologie politique se définit moins par une préoccupation pour l'environnement (qui a toujours accompagné les civilisations) que par l'attitude à l'égard des solutions que nous devrions mobiliser. Pendant longtemps, l'humanité a placé sa confiance, voire, pourrait-on dire, sa foi, dans le progrès des arts, des sciences et des techniques. Pour les écologistes, qui s'inscrivent dans une filiation rousseauiste, le progrès des techniques est un péché. De fait, beaucoup d'écologistes admettent la possibilité que l'innovation puisse assurer la pérennité de la civilisation industrielle. En 1975, l'écologiste Paul Ehrlich écrivait que donner à l'humanité une énergie illimitée serait moralement irresponsable. L'innovation salvatrice n'est donc plus reléguée au rang des chimères inaccessibles. Elle est redoutée. Derrière la peur du progrès se cache la haine de la condition bourgeoise, de la figure cartésienne de l'homme maître et possesseur de la nature, et in fine, le vieux ressentiment anticapitaliste qui refuse à l'humanité le droit d'améliorer perpétuellement son confort et sa prospérité.

Pourquoi, au contraire, la fusion nucléaire pourrait être une avancée évidente pour le monde scientifique  et la planète ? 

Alexis Quentin : Comme expliqué dans une des réponses précédentes, elle permettrait d'avoir une production d'électricité sûre, abondante, non proliferate (et donc messagère de paix) et sans émissions de CO2. Elle n'interviendrait pas assez vite pour régler le problème des 2 degrés de réchauffement global, mais serait pour après une grande avancée. 

Ferghane Azihari : Je ne maîtrise pas tous les tenants et les aboutissants scientifiques d'un tel projet. En revanche, sur le plan industriel, l'hypothèse d'une énergie illimitée et peu polluante est passionnante. Si cela devait aboutir, le nucléaire pourrait devenir la pierre philosophale de l'humanité. Nous pourrions accélérer le combat contre la pauvreté, et ceci d'une manière universelle. Alimenter de puissantes technologies de dépollution de l'environnement. Nous pourrions favoriser l'expansion spatiale de l'humanité. Nous pourrions imaginer les choses les plus ambitieuses en fonction de la créativité des uns et des autres au service de la prospérité de notre espèce. Oui, l'abondance est un objectif noble. C'est la raison d'être de nos sociétés et de nos civilisations. Sachons retrouver la confiance dans notre ingéniosité au service d'un monde meilleur. 

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