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Bonne nouvelle ou trompe l’œil ? Cette mauvaise nouvelle qui se cache derrière le pic de créations d’entreprises post-Covid-19
©PHILIPPE MERLE / AFP

Les chiffres et les faits

Après deux mois de confinement, la France a connu une hausse de plus de 38% des créations d'entreprises au mois de juin.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico.fr : Comment expliquer la forte hausse de création d'entreprises en France alors même qu'une crise économique sans précédent s'annonce ?

Gilles Saint-Paul : Cette hausse est en trompe-l’œil. Rappelons que l’activité économique a été littéralement sabotée depuis le 15 mars, date du confinement. On observe une croissance forte du nombre d’entreprises créées en mai par rapport à avril, puis en juin par rapport à mai. Mais c’est parce que le nombre d’entreprises créées en avril est lui-même très faible, du fait du confinement. D’une part les tribunaux de commerce, contraints de passer au télétravail, étaient perturbés dans la gestion des dossiers. D’autre part, créer une entreprise pendant le confinement présentait évidemment toutes sortes de difficultés connexes, en plus de l’effet « keynésien » de l’incertitude macroéconomique sur la confiance des entrepreneurs et les incitations à créer des entreprises.

Prenons un exemple simple. Si je produis 100 et que ma production chute de 50 %, je ne produis plus que 50. Si ensuite ma production remonte de 50 %, je me retrouve à 75, très en-deçà du niveau initial. L’utilisation des pourcentages est donc trompeuse, la reprise étant exprimée relativement à un niveau de référence faible, apparaît artificiellement gonflée.

Cette illusion d’optique explique en partie les bons chiffres de création d’entreprise en juin. L’autre élément d’explication est l’effet de report, ou de rattrapage : une partie des entreprises que leurs patrons voulaient créer en mars ou avril n’a vu le jour qu’en juin à cause du confinement, d’où à nouveau un effet de gonflement artificiel.

Si l’on regarde les chiffres de manière rigoureuse, on constate qu’en mars 2020 il y a 20 % de moins d’entreprises créées qu’en mars 2019, qu’en avril la perte s’élève à 50 %, et qu’en mai, à nouveau, l’économie française crée 24 % d’entreprises de moins qu’un an auparavant. Au total, de mars à mai, il y a 140000 créations d’entreprises contre 200000 au cours de la même période de 2019. A cause de l’effet de report, on crée 14000 entreprises de plus en juin 2020 qu’en juin 2019, ce qui ne représente que le quart du déficit accumulé pendant la période du confinement.

Ajoutons que ces comparaisons sous-estiment l’effet de la crise, parce que les données de création d’entreprise pour janvier et février suggèrent une accélération de l’activité en 2020 relativement à 2019. On peut donc supposer qu’en l’absence de pandémie, on aurait eu plus de créations d’entreprises entre mars et mai 2020 qu’à la même période de 2019, qui est notre élément de comparaison.

Il faut donc éviter de se réjouir de cette hausse. Elle indique une reprise mais elle suggère également que revenir au niveau d’activité pré-covid prendra un temps considérable.

Quelles structures ont été privilégiées par les nouveaux chefs d'entreprises ? Est-ce une bonne nouvelle pour l'emploi à court, moyen, long terme ?

Relativement à 2019, on observe une hausse de la part d’auto-entrepreneurs dans les entreprises créées pour avril, mai et juin. Les auto-entrepreneurs sont des travailleurs indépendants, pas des entreprises. Si je les inclus dans les statistiques, la France a créé 19 % de moins d’entreprises de mars à juin qu’à la même période de 2019. Mais si j’exclus les auto-entrepreneurs, pour ne prendre en compte que les « vraies » entreprises, la chute monte à 23 %. Par ailleurs, cette hausse de la part d’auto-entrepreneurs nous indique une montée de la précarité et de l’incertitude. D’un côté, des chômeurs deviennent auto-entrepreneurs faute de mieux ; de l’autre, des entreprises préfèrent recourir à des prestataires extérieurs ayant ce statut plutôt qu’au salariat, à cause des mauvaises perspectives économiques.

Comment peut-on imaginer la situation de l'emploi en France à la fin de l'année 2020 ?

La situation est catastrophique. D’après la Dares, il y aurait eu 6.3 milliards d’heures chômées entre le premier mars et le 6 juillet, ce qui représente environ la moitié du nombre total d’heures fournies en temps normal par les salariés du privé. A cela il faut évidemment ajouter les chômeurs proprement dits. Tout se passe comme si le taux de chômage, exprimé en nombre d’heures, était de l’ordre de 60 % de la population active depuis le début du confinement. De plus, le nombre de demandes de chômage partiel continue à augmenter début juillet. Soit le gouvernement continue à imprimer des euros pour financer le chômage partiel, ce qui implique le bon vouloir des Allemands et comporte le risque d’une forte dérive inflationniste, soit il tente de remettre en cause ce « socialisme monétaire » en cessant les subventions exceptionnelles au chômage partiel, et l’on observera des faillites en cascade et une brutale hausse du nombre de demandeurs d’emploi. Même dans le premier cas, la France risque de s’enfoncer dans la dépression. Le chômage partiel permet aux entreprises de « tenir » en évitant des plans sociaux coûteux ainsi que le coût de réembaucher si la situation se rétablit. Mais, plus la situation se prolonge, plus les entreprises (comme Airbus ou Air France) comprennent qu’elles ne reprendront pas l’activité au même niveau qu’avant. Dans ce cas, profiter du chômage partiel ne les intéresse plus et elles se tournent vers les licenciements massifs.

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