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Elections municipales 2020 : comment la candidature de Rachida Dati a assuré la survie de la droite à Paris
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Saveria Rojek publie "Impitoyable : Mairie de Paris : la folle campagne qui a changé la politique" aux éditions Stock. Jamais, dans l’histoire politique française, on n’aura vécu une campagne municipale aussi folle, aussi chaotique, aussi violente que cette bataille pour la Mairie de Paris. Extrait 1/2.

Saveria Rojek

Saveria Rojek

Saveria Rojek est journaliste et éditorialiste politique à France Info. Elle est l'autrice de plusieurs ouvrages, dont Impitoyable sur les élections municipales à Paris. Son prochain livre, Résurrection - Les coulisses d'une reconquête (éditions Stock) sera publié le 11 mai.

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En 2009, Sarkozy l’exfiltre du gouvernement. Il dira ensuite devant le ministre Maurice Leroy : « Rachida, c’est la plus grosse erreur de ressources humaines que j’aie commise. Je l’ai nommée beaucoup trop vite. » Elle entre au Parlement européen. Quand elle y est, peu, elle se fait remarquer, notamment en débarquant dans l’hémicycle avec sa fille Zohra. Ces années-là, c’est encore Sarkozy qui lui offre la mairie du 7e arrondissement. 

Le parachutage fait grincer des dents dans ce temple de la bourgeoisie conservatrice qu’est le 7e. « Au moins vous n’êtes pas juive ! Ça, je l’ai entendu. » Quoique musulmane, Rachida a fait ses études au collège privé des religieuses du Saint-Sacrement. Les codes catholiques, elle les a. Née dans une famille musulmane mais élevée chez les sœurs du devoir, elle est croyante. Il faut la voir chaque semaine assister à la messe à Sainte-Clothilde. « Ici, je ne suis pas en décalage, c’est mon enfance : les curés, le catéchisme, les gna-gna-gna, gna-gna-gna… » Elle organise des partenariats avec le diocèse, va à Saint-Pierre-de-Rome avec Zohra. Elle dit aussi : « Je ne veux jamais qu’on me ramène à l’islam, j’ai fait dix-huit ans chez les carmélites. » 

En 2014, la droite choisit Nathalie Kosciusko-Morizet comme chef de file pour la capitale. Paris, Dati en rêve depuis longtemps. Elle a même tenté de négocier une paix armée avec François Fillon, alors ennemi juré, contre son soutien dans la capitale. Penelope Fillon se souvient encore de Rachida débarquant à 1 heure du matin pour offrir le deal tout en proférant des menaces. Sans succès. Rachida Dati, un temps candidate, se retire, en en gardant une grande rancœur : « NKM a été choisie par le milieu et les médias. » Les fillonistes la soupçonnent même d’être à l’origine du scandale qui pulvérise leur candidat en 2017. Une vengeance encore. À l’époque, les attaques racistes fusent. Claude Goasguen, le baron du 16e, la menace : « Tu vas pas faire ta loi ici, on n’est pas en Seine-Saint-Denis. Ne ramène pas dans la capitale tes mœurs du 9-3. » En représailles, elle renseigne le camp Hidalgo pour savonner la planche de NKM. Dans l’entourage d’Hidalgo, d’ailleurs, on la respecte. Encore aujourd’hui, les deux femmes s’apprécient et s’estiment. 

Pour cette campagne, Rachida fait part de son intérêt très tôt. Depuis des mois, elle a décidé que mars 2020, c’est pour elle. À l’automne 2018, elle réussit une première percée. Dans la capitale, la présidence de la fédération des Républicains est en jeu. Les barons soutiennent Jean-Jacques Giannesini, élu dans le 19e arrondissement. Pas elle : elle roule pour Agnès Évren, une quadra proche de François Baroin, élue du 15e. Évren gagne. En mars 2019, Dati abat une deuxième carte. Les élections européennes approchent. Les Républicains mettent la dernière main à leur liste. Depuis 2009, l’ex-garde des Sceaux siège à Strasbourg. Patron du parti, Laurent Wauquiez fait le choix « de ne pas lui faire la guerre », explique un de ses proches. À ceux qui plaident pour une éviction de Dati, Nicolas Sarkozy répond : « Vous voulez vous débarrasser de Rachida ? Bon courage ! » Finalement, elle prévient Wauquiez : elle ne sera pas candidate. Son objectif : Paris. 

Mais parmi les neuf maires de droite que compte la capitale, très peu approuvent cette candidature. « La vieille droite s’est ralliée à Bournazel parce qu’ils détestent Dati. C’est par haine de Dati que tous ces gens ont quitté le groupe LR. Ils se sont dit : “Putain, ça va être elle et on n’en veut pas” », décrypte l’adjoint d’Hidalgo, Jean-Louis Missika. D’autres noms ont d’ailleurs circulé : Édouard Philippe, Nicolas Sarkozy. « On a essayé de chercher Baroin, Pécresse, Douste-Blazy, tout le monde a décliné », confie un cadre LR. Rachida est dangereuse, incontrôlable, radioactive. Dans son camp, on la surnomme « Rachida Data » tant elle joue de la menace et de la délation. Mais cette fois-ci, la situation est différente : la droite exsangue a besoin d’une figure pour séduire l’électorat qui a fui chez En Marche. Résultat, on n’entend plus que cela : « elle a tous les talents » pour Jean-François Copé, « c’est une guerrière » pour Nadine Morano, « elle est responsable, elle a toujours fait des choix courageux » pour Éric Ciotti, le patron de la commission qui la désigne à l’automne.

Dans une droite parisienne sinistrée, Rachida Dati reste une marque. Elle est la seule qui arrive encore dans les réunions applaudie par les militants. Pour cette campagne, Christian Jacob, un proche de longue date, la couve et joue les facilitateurs. « C’est la meilleure », dit-il. Le nouveau patron des LR l’incite à composer avec les barons, notamment les incontournables Philippe Goujon, maire du 15e , et Claude Goasguen, député du 16e . Certains si hostiles à Dati qu’ils seraient prêts à des alliances dès le premier tour avec la macronie ! Selon eux, Rachida est trop clivante, trop bruyante. Elle va faire fuir le maigre électorat qui reste à la droite. Eux ne veulent qu’une chose : jeter les oripeaux des Républicains. Philippe Goujon et Jean-François Legaret, les maires du 15e et du 1er, ont déjà quitté le groupe LR pour rejoindre celui de Pierre-Yves Bournazel, « le candidat du Sacré-Cœur », selon Dati. Delphine Bürkli, la maire du 9e , soutient, elle, officiellement Benjamin Griveaux alors que Florence Berthout, la maire du 5e , soutient également la majorité présidentielle. 

« L’enjeu, c’est la survie de la droite à Paris, analyse Agnès Évren, la présidente de la fédération LR et soutien de Dati. Alors que tout le monde rejette l’étiquette LR, Rachida, elle, la revendique, c’est courageux. » « Elle seule dispose de la stature nationale qui peut permettre de faire exister le match face à Anne Hidalgo, argumente Évren. Notre parti a tout perdu à Paris depuis vingt ans, ajoute-t-elle. Si on ne veut pas disparaître, on a besoin de quelqu’un de fort pour porter le drapeau LR. Et Rachida est plébiscitée par les militants. » Pour le conseiller de Paris, François-David Cravenne, « elle est la pire candidate à l’exclusion de tous les autres ». 

Connue pour sa capacité de nuisance à l’intérieur même du parti, la désigner serait aussi une façon de la canaliser. De fait, Dati n’aura pas les mains libres pour constituer ses listes. C’est Gérard Larcher, inquiet de la situation catastrophique de la droite parisienne et de sa majorité aux sénatoriales, qui a imposé cette liberté de mouvement des maires à Jacob. Le président du Sénat veille à la situation parisienne comme du lait sur le feu. « Évidemment qu’il regarde ça de près parce que si le parti tient la ligne de Dati, à savoir des listes LR partout, y compris face aux maires sortants, il ne restera plus un sénateur LR à Paris ! » note un conseiller de Paris. « Vu où on en est, si en plus on ne se met pas d’accord, ça veut dire qu’on a des capacités au-delà du naturel à creuser en dessous de la piscine ! raille, caustique, le sénateur LR Roger Karoutchi. Franchement, la situation de la droite est calamiteuse, tout le monde doit faire un effort. » Entre les lignes, les Républicains commencent à comprendre qu’ils peuvent être confrontés à une question vertigineuse : sont-ils prêts à ce qu’Emmanuel Macron remporte une victoire essentielle dans la capitale en faisant tout pour battre Anne Hidalgo ?

« Après avoir été RPR, UMP puis LR, certains pensent que se repeindre en LREM va sauver leur tête ! Ça vous semble crédible ? rétorque la candidate. C’est une droite qui depuis que je suis avec Sarko ne veut pas de moi. » Elle est sur une ligne : des listes et des têtes de liste LR dans chaque arrondissement. Or les maires sortants seraient plutôt enclins à y aller sans étiquette, ou même à faire accord avec En Marche ; en clair, des listes LR officielles pourraient se retrouver face aux listes des maires sortants ! Finalement, pour l’instant, Dati a dû plier face à Larcher : une commission désignera en décembre les têtes de liste. Officiellement candidate donc mais sous surveillance. Le maire de Paris n’est pas élu par les Parisiens mais par les cent soixante-trois conseillers de Paris. Rachida sait qu’elle ne peut faire confiance aux barons : elle veut donc que chaque candidat s’engage à voter pour elle au troisième tour, pas à voter pour le candidat à même de battre Hidalgo, non, voter pour elle. Philippe Goujon, le maire du 15e , s’y refuse. Et l’émotion de Rachida après leur réunion ne change rien. Goujon refuse de prononcer ne serait-ce que son nom : « Comment tu peux me faire ça Philippe ? Refuser de dire le nom de mon père, le nom de mon père, tu te rends compte ? » Elle est en larmes.

Et la situation reste explosive : Christian Jabob voulait organiser une réunion des élus parisiens pour préparer la campagne. On l’en dissuade : la dernière fois, en décembre 2018, Goasguen et Dati ont failli en venir aux mains. Les « ta gueule » et « connard » fusent. Depuis, les couteaux sont rangés avec l’indéboulonnable député du 16e . « Aujourd’hui, Hidalgo est gagnante, Griveaux fait beaucoup d’erreurs, il nous la fait grandiose, pire, c’est pas possible ! En Marche a fait une grosse connerie avec lui. Maintenant, si je fusille Dati, on n’a plus de candidat. Dati, c’est un personnage et les Parisiens aiment les gens hors normes. Le vin est tiré, il faut le boire », conclut Goasguen. Et il faut les voir, Goasguen et Dati, les ennemis de toujours, côte à côte dans les réunions publiques enchaîner les amabilités. 

Ainsi va le biotope de la droite à Paris, sanglante, mafieuse, anthropophage. Tous les éléments sont réunis pour que l’élection soit une implosion. « Je me suis déclarée parce qu’ils sont tous contre moi », lance-t-elle, bravache. La machine Dati est lancée. Aujourd’hui, elle est créditée de 14 % dans les sondages. En 2014, NKM avait totalisé 35,64 % des voix au premier tour. Pour échouer ensuite au second. 

La droite parisienne est une poudrière, et Dati de la nitroglycérine. « Une tueuse capable de menacer “j’ai des dossiers sur toi, tu vas voir” », selon une élue LR. Mais la flingueuse s’est un peu assagie, il ne faut pas faire trop peur aux électeurs. Et puis, qui sait ce qu’il se passera d’ici le printemps ? En Marche pourrait avoir besoin des voix de droite au second tour pour battre Anne Hidalgo, des alliances contre nature pourraient se nouer… 

Pour l’instant, en fine politique, elle choisit de ne pas parier sur le rejet de la maire sortante. « Je veux un vote d’adhésion, j’y travaille, c’est comme ça qu’on gagne les élections. » Et y travailler, elle est infatigable. Son axe majeur de campagne ? La sécurité, un thème rassurant et familier pour l’électorat de droite. Elle séduit à la fois les petits commerçants, les mécontents d’Anne Hidalgo et tous ceux qui admirent l’ascension de cette fille d’immigrés. « Ma vie démontre que rien n’est inéluctable, Paris peut être changé. »

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Extrait du livre de Saveria Rojek, "Impitoyable : Mairie de Paris : la folle campagne qui a changé la politique", publié aux éditions Stock 

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