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Ce que Machiavel pourrait recommander à Emmanuel Macron pour relancer son quinquennat
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Le Prince et nous

Les journaux sont remplis des réflexions supposées d'Emmanuel Macron et de son entourage pour trouver la feuille de route qui lui permettrait de produire un effet whaouh sauvant à la fois la fin de son quinquennat et ses perspectives de réélection. Que recommanderait Machiavel ?

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico.fr : Les journaux sont remplis des réflexions supposées d'Emmanuel Macron et de son entourage pour trouver la feuille de route qui lui permettrait de produire un effet whaouh sauvant à la fois la fin de son quinquennat et ses perspectives de réélection. Si Machiavel vivait aujourd'hui, que pourrait-il recommander au Président : miser sur le fond... ou miser sur l'habileté pure et la manipulation de l'opinion ?

Christophe de Voogd : Les journaux ont raison de se poser la question car nous sommes à une croisée des chemins après la phase (ou la première phase ?) sanitaire de la crise du COVID 19 : le moment est propice à une initiative présidentielle avec les municipales de ce jour, la restitution de la convention citoyenne sur le climat demain et l’approche des vacances. Bref les planètes sont alignées et tout le monde ressent, à commencer par le Président, la nécessité d’un second souffle. 

Quant à la référence à Machiavel, elle s’impose doublement : puisque Le Prince est d’abord un guide du maintien au pouvoir – en l’occurrence assurer, en effet, la fin du quinquennat et préparer la réélection - ; et puisque notre président hypermnésique doit connaître par cœur son Machiavel, auquel il a consacré son mémoire de maîtrise. 

Comment donc rebondir ? En termes machiavéliens comment saisir “dame Fortune”, cette chance changeante qui fait et défait les régimes ? Je ne sais évidemment pas ce que va faire Emmanuel Macron ; mais Machiavel lui conseillerait sûrement - vu sa popularité en panne, la crise patente de son autorité et surtout le complet bouleversement des perspectives socio-économiques- un mouvement très hardi. Il DOIT nous surprendre ! Cela passe par un changement d’hommes, de politique (du moins dans “les voies et les moyens” pour parler comme Emmanuel Macron) et de style personnel. Quand il déclare vouloir “se réinventer” lui-même, je ne peux qu’y voir un écho direct du chapitre XXV du Prince : 

“Changer ainsi à propos, c’est ce que les hommes, même les plus prudents ne savent point faire, soit parce qu’on ne peut agir contre son caractère, soit parce que, lorsqu’on a longtemps prospéré en suivant une certaine route, on ne peut se persuader qu’il soit bon d’en prendre une autre”. 

Toute la question est donc de savoir si Emmanuel Macron est vraiment capable de “changer de système”, comme dit encore Machiavel. Il est clair en tout cas que le discours de “l‘indépendance” - soigneusement opposée au “repli proposé par le RN”- va être désormais dominant et qu’il peut convenir à beaucoup.

Mais la référence au Prince a ses limites : si le leader démocratique contemporain a ceci de commun avec “l’entrepreneur politique” de la Renaissance que son pouvoir n’a pas la légitimité des monarchies de droit divin, il doit passer, lui, pour se relégitimer, par le suffrage populaire. C’est pourquoi Emmanuel Macron pourrait recourir à un référendum, consensuel, habilement énoncé et à questions multiples (sur le mode de scrutin et sur l’écologie par exemple) pour désarmer la très forte tentation du “non”. L’issue de la convention citoyenne, au vu des déclarations antérieures du Président, offre, à cet égard, une opportunité évidente. 

L’une des questions centrales qui se pose à Emmanuel Macron est celle du maintien ou non d'Edouard Philippe à Matignon. En bon machiavélien et indépendamment des mérites du Premier ministre, quelle est la configuration qui maximise l'intérêt du Président ?

Dans tous les cas, il faut partir de l‘idée que le Prince machiavélien vise avant tout à se maintenir au pouvoir. Or ce maintien passe par le vote du centre droit, face au “repoussoir” RN et vu l’état moribond de la gauche. Edouard Philippe convient parfaitement à cet électorat et cela peut pousser le Président à le garder. Un changement de premier ministre est encore moins facile au vu de la popularité transpartisane du titulaire. Mais l’opposition de celui-ci à un referendum sur l’écologie, l’usure du pouvoir après trois ans d’épreuves intenses, les accrocs récents avec le Chef de l’Etat et enfin, sauf erreur, son vœu profond qui serait de partir “souffler” au Havre, font penser que l’équipe va changer. Avec un (ou une) premier ministre inattendu(e) - donc davantage à la main du Président- et des nominations fortes aux grands postes régaliens pour compenser le départ de Philippe et rassurer ce fameux centre droit, désemparé par la crise actuelle de l’autorité et, encore une fois, clef de 2022. 

Quel que soit le scénario retenu, soyons sûrs qu’il visera d’abord à couper l’herbe sous le pied de la droite républicaine, seule vraie alternative à Macron, mais qui est toujours en mal de positionnement et de leader. On ajoutera une grosse couche rhétorique de “vert” et de gadgets sociétaux qui plaisent à tout le monde et qui peuvent attirer des voix utiles en 2022. Après tout, pourquoi pas un(e) “Ministre d’Etat à la Cause Animale”, un(e) autre à la “Parité Réelle” et un(e) troisième au “Respect des Mémoires”? Cela frappera les esprits et ne portera guère à conséquence sur la localisation réelle du pouvoir d’Etat en France.

L'un des conseils les plus célèbres de Machiavel à Laurent de Medicis était de préférer pour le Prince d'être craint qu'être aimé. Emmanuel Macron a toujours beaucoup joué de son charisme et de son pouvoir de séduction. Devrait-il affermir son autorité ?

Certes, c’est là un chapitre essentiel du Prince ; mais n’oublions pas que Machiavel considère que l’idéal est de combiner amour et crainte. Il met en garde dans un autre chapitre contre la haine du peuple et précise que le bien-être de celui-ci est la meilleure garantie du Pouvoir. En quoi, encore une fois, Machiavel n’est pas “machiavélique”. Mais ceci est autre chose que de chercher à être “aimé” de tous, comme le voulait Nicolas Sarkozy. Quant à la séduction, Machiavel ne cesse de la recommander, notamment pour tromper les rivaux potentiels. Le moins que l’on puisse dire est qu’Emmanuel Macron a parfaitement suivi ce conseil : il suffit de le demander à François Hollande, François Bayrou ou Nicolas Hulot... 

Il reste, et on l’oublie souvent, que Le Prince s’achève par une ode à l’unité italienne où l’auteur se désole de la fragmentation du pays, de la fracturation du peuple et de l’impuissance des dirigeants, en des termes qui s’appliqueraient aisément à la France d’aujourd’hui, mutatis mutandis.

La crise actuelle de l’autorité de l’Etat, de la dérive des banlieues au découragement de la police, des errements de la justice à la prime donnée à la surenchère victimaire, est de fait l’un des gros défis du président. Mais n’oublions pas que tous ces problèmes alimentent d’abord le vote RN, et que la droite parlementaire, chiraquisme oblige, reste inaudible. Ce qui, encore une fois, ne peut totalement déplaire à Emmanuel Macron dans la perspective de 2022... 

Certes, “la politique du pire” pourrait conduire au pire pour le Président. C’est pourquoi je reste convaincu que les ministres contestés et assimilés au laxisme et à l’échec vont disparaître ou être mutés au prochain remaniement. Et que le Président va chercher à se remettre au centre du jeu. Ce qui, là encore, plaide en faveur d’un changement du Premier ministre actuel qui lui vole la vedette. Son caractère et sa jeunesse feront le reste car, comme le pense encore Machiavel, la Fortune “est toujours amie des jeunes gens, qui sont moins réservés, plus emportés, et qui commandent avec plus d’audace”.  

Mais je suis historien et non devin...

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