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Négociations avec les syndicats, mesures de soutien de l'économie : la France fait-elle mieux que lors des crises précédentes ?
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Injection de morphine ou shoot d’adrénaline ?

Le modèle social et politique français -qui sait amortir les crises mais peine à en sortir- est-il actuellement piloté de manière à remonter plus rapidement la pente de la récession post-Covid que lors des crises précédentes ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Erwann  Tison

Erwann Tison

Erwann Tison est le directeur des études de l’Institut Sapiens. Macro-économiste de formation et diplômé de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, il intervient régulièrement dans les médias pour commenter les actualités liées au marché du travail et aux questions de formation. Il dirige les études de l’Institut Sapiens depuis décembre 2017.

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Atlantico.fr : Avec la rencontre entre Macron et les syndicats, les plans de relance etc., l’État français se donne-t-il plus les moyens de remonter rapidement la pente de la récession post-Covid que lors des crises précédentes ?

Michel Ruimy : Entrer en crise et la gérer est une chose. En sortir en est une autre. L’incertitude extrême pesant sur l’évolution de la pandémie et l’absence de repère historique - puisque cette crise est inédite - vont très probablement freiner, à la fois, la reprise de l’offre et de la demande, et toucher les secteurs de manière différenciée. L’objectif des politiques actuelles est donc double : aplanir, au plan sanitaire, la courbe des infections et des cas graves et aplanir, au plan économique, la courbe de la récession dont les conséquences sociales peuvent aussi être importantes sur le moyen et le long terme.

L’économie française a redémarré avec du retard par rapport à ses concurrentes allemande, autrichienne, suisse, italienne et espagnole qui sont sorties du déconfinement progressivement et bien avant elle. Il sera donc primordial pour les entreprises d’être réactives car les premières entrant sur le marché pourraient bien prendre un avantage certain et définitif sur les plus lentes. La fragilité des bilans pourrait bien être mortifère pour ces secondes. Pour les autres, elles doivent investir et procéder à des embauches notamment des jeunes accédant, pour la première fois, au marché du travail.

Quant aux ménages, leur consommation doit repartir également au détriment de l’épargne voire la thésaurisation afin de soutenir l’activité des entreprises.

Dans ce contexte, les mesures gouvernementales, quelle que soit l’ampleur des montants dépensés, ne sont pas les seules conditions de réussite pour retrouver le sentier de croissance. Paraphrasant JF Kennedy, je dirai qu’il « ne faut pas se demander ce que le pays fera pour vous, mais se demander ce que nous pouvons faire ensemble ». C’est la conjugaison concertée de l’action des ménages, des entreprises et de l’Etat qui permettra à la France de retrouver un niveau d’activité satisfaisant.

Le plus grand facteur de succès dans les réponses apportées à la crise de 2008 avait été une coopération et une coordination internationale puissante, tant au niveau européen qu’au niveau mondial, avec un rôle leader des États-Unis. Or, aujourd’hui, l’équilibre international a profondément changé, et la crise sanitaire semble renforcer les mouvements de repli sur soi nationaux. Que ce soit pour la politique monétaire ou pour les politiques fiscales et budgétaires, les marges de manœuvre de chaque État, riche ou moins riche, s’en trouvent drastiquement limitées, menaçant l’efficacité des mesures prises pour endiguer le cataclysme sanitaire et absorber les chocs économiques.

Erwann Tison : Depuis le début, l’exécutif s’est montré très volontariste pour amortir cette crise inédite. On peut se féliciter de voir que les leçons de 2009 ont été tirées, et la réaction française a été bien plus rapide et plus efficace que lors des dernières crises. L’amortissement a été puissant et a permis à l’économie française de ne pas totalement sombrer durant le covid.

Néanmoins, les différents plans de soutien égrainés au compte-goutte font pinailler les secteurs qui n’ont pas encore été appelés. Les composantes de notre économie ont besoin d’avoir le tableau d’ensemble pour pouvoir réaliser leurs prévisions et adapter leurs propres stratégies.

Pour ce qui est du dialogue social, il faut là aussi s’en féliciter. Le meilleur plan de relance possible à déployer pour défibriller notre économie sera celui qui remet l’apaisement et la confiance au cœur de notre économie. L’économie française ne pourra pas redémarrer si il n’y a pas un choc de confiance important qui concernera à la fois les consommateurs et les entreprises. Et tout ce qui ira dans le sens de l’apaisement social sera bienvenu pour éviter de relancer une nouvelle bataille sociale qui serait très préjudiciable pour notre pays.

Plus les crises durent, plus le chômage de longue durée s’installe : l’emploi est-il le chantier prioritaire de la sortie de crise ? Les mesures en place (prolongation du chômage partiel) sont-elles efficaces et suffisantes pour résoudre les conséquences de la crise de la Covid sur l’emploi ?

Michel Ruimy : Les crises s’accompagnent traditionnellement de conséquences sociales extrêmement douloureuses (hausse du chômage, de la précarité…). C’est pourquoi, dans une première phase (crise sanitaire), le premier effort économique a été dirigé vers l’emploi pour limiter le nombre de licenciements, conserver, au sein des entreprises, les compétences nécessaires à un redémarrage rapide, une fois la tempête passée et préserver les revenus, quitte à laisser passer quelques effets d’aubaine. C’est le rôle que doit théoriquement remplir le chômage partiel, très utilisé par les entreprises industrielles allemandes à la suite de la crise de 2008. De plus, le gouvernement français a généralisé et facilité l’accès à l’activité partielle non seulement pour les salariés, mais aussi pour les employés à domicile, les assistantes maternelles et d’autres emplois qui en étaient auparavant exclus. Des mesures similaires ont été adoptées dans la quasi-totalité des pays européens, avec des degrés de générosité divers.

Pour autant, ce n’est pas suffisant. Dans une seconde phase (reprise d’activité), à court terme, il faudrait faire repartir l’activité des entreprises afin qu’elles retrouvent, au plus tôt, leur niveau, au moins, de fin 2019 et limiter ainsi le chômage. Ceci est le plus dur car les affaires ont été totalement stoppées durant 2 mois et ne repartent pas sur un claquement de doigts. Elles ont besoin de confiance dans l’avenir et de visibilité.

Les conditions d’accession au chômage partiel seront moins souples. Cela ne remet cependant pas en cause son caractère nécessaire et adapté à une crise conjoncturelle telle que nous la vivons. L’employeur devra participer à son financement pour contrer cette possible désincitation. Le chômage partiel, utilisé à mauvais escient, pourrait, à l’inverse, ralentir la reprise, et coûter à la collectivité un supplément inutile.

À moyen et long terme, l’activité économique devrait subir une catalyse, plus ou moins prononcée, en liaison avec la digitalisation forcée lors du confinement. De nouveaux métiers et de nouvelles opportunités risquent d’apparaître.

Erwann Tison : La lutte contre le chômage est la mère des batailles, elle doit mobiliser toute notre énergie dans les mois à venir. La France a longtemps payé la facture de la crise de 2009 sur le front de l’emploi, à tel point qu’il a fallu attendre le début de l’année 2020 pour retrouver une situation semblant tendre vers un (léger) retour à la normal. Le covid a balayé 10 ans d’efforts et de réformes structurelles sur le marché du travail. L’annonce des mesures soutenant l’activité partielle pendant les deux prochaines années est une bonne chose, car ce dispositif va permettre aux entreprises en convalescence de conserver une grande partie de leurs effectifs. Le fait de coupler ces mesures avec un plan de formation est une excellente chose, on favorise une montée en compétences des actifs ce qui leur sera bénéfique à termes, ainsi qu’à leurs entreprises. Cette ambition de formation systématique des actifs en chômage partiel doit être étendue à tous les demandeurs d’emplois pour accélérer la décrue du chômage et s’attaquer au problème endémique du chômage des actifs peu qualifiés.

Pourquoi la France est généralement rapide à amortir les chocs mais plus lente à sortir de la crise ? Quel modèle doit-elle adopter pour enrayer cette habitude ?

Michel Ruimy : Durant les crises précédentes, la structure socio-économique de la France la protégeait. Être le pays ayant une dépense publique la plus élevée du monde apporte, en effet, quelques amortisseurs. Une partie non négligeable de la demande - fonctionnaires (5,7 millions), retraités (15 millions), chômeurs indemnisés (2,4 millions) - ne voit pas ses revenus impactés lors des perturbations économiques. Cet amortisseur social, constitué de 23 millions de personnes, soit 1/3 de la population française, dont un peu plus de 25% de la population active, est rémunéré par l’État. Par conséquent, la demande française reste relativement soutenue.

Les stabilisateurs automatiques (variations dans les recettes et les dépenses de l’État qui permettent automatiquement de diminuer l’ampleur de la crise : les impôts qui varient selon le revenu, les prestations sociales…) jouent ainsi à plein, sont mis à rude épreuve et se révèlent même insuffisants quand le choc est violent comme aujourd’hui. Car nous ne savons pas encore, à ce jour, si les résultats pour maintenir l’économie « sous cloche » et soutenir les revenus des personnes seront probants, ni s’il sera possible de les maintenir si la crise sanitaire vient à durer. Il apparaît cependant, de façon claire, que les chocs, aussi inédits soient-ils, révèlent l’importance des filets de sécurité sociale et remettent, sur le devant de la scène, l’importance d’un État providence solidement ancré et financé.

Les expériences américaine et, dans une moindre mesure, britannique, où les filets de sécurité sociale sont plus distendus, laisseront sûrement apparaître des failles aux conséquences bien plus durables. Les inquiétudes les plus grandes peuvent être exprimées pour les pays les plus en difficulté, dont le système de santé est embryonnaire, les stabilisateurs automatiques quasi-inexistants et les canaux de soutien à l’activité et aux revenus des plus fragiles extrêmement limités.

Onze ans après la crise financière qui a balayé la planète, la population, et dans une certaine mesure le monde, a redécouvert les bienfaits du modèle social français qui permet d’encaisser les chocs de conjoncture les plus violents. Et, pourtant, que n’a-t-on pas entendu en période de croissance sur le système d’assurance-chômage le plus généreux d’Europe, le régime de retraite par répartition dispendieux qui coûte 4 points de Produit intérieur brut de plus qu’outre-Rhin, la pléthorique fonction publique tricolore plus prompte qu’une autre à se mettre en grève au moindre problème… Emmanuel Macron le premier, n’avait pas ménagé ses critiques contre un modèle social jugé coûteux et inefficace. Mais c’était avant la crise du coronavirus.

Erwann Tison : La France amortie mieux les chocs grâce à son système social caractérisé par des allocations généreuses financés par d’importants prélèvements.  Au rayon des stabilisateurs automatiques, la France fait figure de modèle au niveau européen. Néanmoins cette force en cas de conjoncture défavorable est également une faiblesse en cas de reprise : lors des crises, la France tombe moins vite et moins bas que ses partenaires, mais elle repart plus lentement et moins haut. On pourrait qualifier cet effet de syndrome de la guimauve, un bel amorti mais qui entrave un beau rebond. Changer cette logique impose de changer de modèle social, adopter une logique moins protectrice mais plus frugale sur le plan des prélèvements obligatoires. Un virage à 90 degrés qui ne doit pas être envisager dans l’instant, pour laisser la part belle à une reprise forte dans un climat social serein et apaisé

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