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Les Français sont-ils capables de relancer leur économie par la consommation ?
©JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Nouvelles habitudes

Pendant la crise sanitaire du Covid-19, les supermarchés ont été les principaux commerces à rester ouverts. Les consommateurs s'y sont rendus en masse. Cet épisode annonce-t-il un changement dans les pratiques des consommateurs et un signe positif pour la relance de l'économie ?

Nathalie  Damery

Nathalie Damery

Nathalie Damery est présidente de l'OBSOCO (l'Observatoire société et consommation) et spécialiste des études qualitatives et lexicologiques.

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Atlantico.fr : Pendant la crise sanitaire, les supermarchés ont été les principaux commerces à pouvoir rester ouverts. Les consommateurs s'y sont rendus en masse et ces derniers ont dû se réorganiser pour faire face à une demande amplifiée.

Cet épisode annonce-t-il un changement dans les rapports entre les consommateurs et les supermarchés ?

Nathalie Damery : La grande distribution alimentaire s’est trouvée en première ligne dans la capacité d’approvisionnement des Français . Ainsi dans notre dispositif  « le jour d’après » mis en place dès le début confinement et qui consiste a suivre quotidiennement une cinquantaine de Français et à les sonder régulièrement jusqu’à mi juillet , 76 % des répondants partagent l’idée que, dans le contexte de la crise sanitaire, la grande distribution alimentaire a été « au rendez-vous ». Elle a rempli une mission de service public.  Le sentiment des personnes interrogées oscille entre gratitude, empathie à l’égard du personnel de première ligne et défiance envers les enseignes perçues comme les grandes gagnantes de la situation.

Ainsi la défiance reste de mise.  La grande distribution est toujours perçue comme prédatrice (les relations avec les producteurs, les marges extraordinaires supposées …). Dans un contexte où nombre de secteurs de l’économie subissent de plein fouet la conséquence de la crise (notamment les petits commerces non alimentaires, la restauration, une partie des agriculteurs…) et où les employés de la distribution, « en première ligne », prennent des risques pour leur santé, la grande distribution  est en train de contracter une dette à l’égard de ses salariés, mais aussi des petits producteurs, et de la société dans son ensemble. Il existe ainsi une attente latente pour que, à l’heure du déconfinement, et alors que la crise économique aura fait suite à la crise sanitaire, la grande distribution fasse montre de solidarité et joue un rôle actif dans l’effort de relance.

L'habitude de préparer soi-même ses repas en se rendant au supermarché va-t-il laisser des traces dans les pratiques de consommation ?

Le temps libéré par le confinement a pu faire apparaître la cuisine comme une occupation épanouissante, voire résiliente. Un moment de plaisir conjugué à la satisfaction de pouvoir prendre soin de soi même et de sa famille en s’investissant dans le « manger mieux » (produits plus sains, moins de gras et de sucre) et surtout peut être de prendre véritablement le temps de manger seul ou à plusieurs. Cette situation qui pour beaucoup rappelle celle des vacances se heurte néanmoins à deux écueils. D’une part la charge mentale d’avoir à préparer deux repas par jour a beaucoup affecté les femmes (même si de nombreux hommes se sont investis durant cette période). Le « fait maison » pour les télétravailleurs ou les travailleurs, pour les femmes confinées avec leurs enfants a pu, au bout d’un moment, être perçu comme une contrainte et rappelle que  le « tout prêt » reste une aide dans la gestion du temps. Les plats cuisinés, notamment surgelés ont été largement consommés. D’autre part, un retour des contraintes matérielles dues à la reprise du travail font que les courses, préparation, nettoyage… sont difficilement compatibles avec la vie active. Certain(e)s le déplorent et souhaitent autant que faire ce peu continuer à s’investir dans les bonnes pratiques du manger sains et mieux, d’autres vivent comme un soulagement d’avoir la possibilité, à nouveau, de recourir aux plats cuisinés, à emporter ou à livrer.

L'abondance de choix offert par les supermarchés, cumulée au spectre de pénuries, peut-il créer un nouvel attachement des consommateurs vis-à-vis de grandes surfaces ?

Nos enquêtes montrent que la proximité géographique a été le premier critère. La question du choix des produits a été secondaire, tant faire les courses est apparu comme des moments pénible, dangereux et angoissant. Au fur et a mesure de l’approche du déconfinement et du déconfinement réel, grâce aux nouvelles pratiques sanitaires déployées, les grandes surfaces ont été perçues comme  permettant de respecter la distanciation physique et autorisaient à réaliser des « grosses courses » pour une ou deux semaine(s).

Ainsi le  plaisir de faire ses courses dans un hypermarché « en présentiel »  renoue-t-il avec l’avantage d’une offre de diversité de choix de produits et de marques, un meilleur arbitrage du rapport qualité-prix et le bénéfice de promotions avantageuses. 

Pour d’autres participants, l’hypermarché (dont la pratique n’a jamais été abandonnée), constitue un des modes d’approvisionnement parmi d’autres. Les grandes surfaces permettent de faire les « grandes courses » en produits de base pour lesquels un avantage comparatif existe en termes de prix et qui justifie la « tâche fastidieuse » de se rendre en grande surface.

De nouvelles habitudes ont été prises lors du confinement (fréquentation des petites surfaces, pratiques du direct producteur …) peuvent d’autre part renouveler la question du choix. Des nouveaux arbitrages sont à l’œuvre et peuvent influencer durablement les pratiques : le frais versus l’industriel, le soutien économique aux producteurs locaux ou au commerce de proximité sont autant de nouvelles versions du « choix » auxquels les consommateurs aspirent.

Les supermarchés ont-ils prévu des stratégies pour maintenir la hausse de la consommation de produits alimentaires causée par la crise du Coronavirus ?

Chaque enseigne développe sa propre stratégie et a su tirer des enseignements de ces dernières semaines. D’ailleurs nombreuses étaient celles qui s’étaient engagées dans la transition alimentaire en développant des offres plus en phase avec les nouvelles aspirations des consommateurs, ce dont elles bénéficient aujourd’hui. L’essentiel des préoccupations actuels restent celle de la protection sanitaire et de la question des prix.

Dans nos enquêtes il apparait que les enseignes qui ont su rassurer leurs clients par un ensemble de mesures sanitaires exigeantes sont plébiscitées (matériel de protection des professionnels de contact marquage au sol, distanciation physique, mise à disposition de gel et de gants, nettoyage des caddies et des paniers) . C’est un élément majeur aujourd’hui dans le choix du circuit de distribution et en ce sens véritablement stratégique.

L’autre question concerne les prix. Les consommateurs ont dans l’ensemble perçus une hausse des prix alimentaires (ce que les analyses relativisent par ailleurs). Cet attachement au prix, rendu d’autant central que le pouvoir d’achat s’est fortement contracté pour un grand nombre et que la crise économique s’annonce,  va s’avérer déterminant d’un point de vue stratégique. Il y a un véritable chantier de réflexion à conduire sur le lien entre le prix et la qualité. Le prix bas, on le sait est destructeur de valeur et peu vertueux vis-à-vis des producteurs ou des PME de l’agroalimentaire. Il s’agit aujourd’hui de conjuguer prix juste, qualité des produits et solidarité envers les acteurs de l’alimentaire. Vaste chantier, mais véritable enjeu pour favoriser une « bonne » consommation.

La dette envers la société évoquée plus haut peut être un axe stratégique majeur et fortement générateur de confiance envers la grande distribution.

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