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Comment la crise financière de 2008 et la crise de défiance ont contribué au retour des nationalismes
©Thierry Zoccolan / AFP

Bonnes feuilles

Anaïs Voy-Gillis a publié "L'Union européenne à l'épreuve des nationalismes" aux éditions du Rocher. Du Brexit aux élections européennes de 2019, en passant par la qualification de Marine Le Pen pour le second tour de l'élection présidentielle de 2017, les partis nationalistes-identitaires ont le vent en poupe dans toute l'Union européenne. Extrait 1/2.

Anaïs Voy-Gillis

Anaïs Voy-Gillis

Anaïs Voy-Gillis est docteur en géographie de l'Institut Français de Géopolitique. Ses recherches concernent la montée des nationalismes et des droites extrêmes en Europe.

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À l’échelle européenne, le retour des nationalismes s’explique par de multiples facteurs, mais ne constitue pas un mouvement uniforme en raison des histoires nationales propres à chaque État membre et de l’histoire de la construction européenne. En outre, il s’explique également par trois crises successives qu’a connues le continent européen au cours de ces dix dernières années. La première est la crise financière et économique de 2008 qui est venue bousculer les certitudes économiques établies en créant un univers instable et incertain avec pour résultat la mise en œuvre de plans d’austérité dans certains pays sous l’influence de la troïka . Ces événements, alliés au sentiment que les nations ne sont plus protectrices de leurs citoyens du fait du cadre supranational, sont venus alimenter une conviction diffusée par les partis nationalistes selon laquelle l’échelon national serait le plus pertinent pour conduire les politiques publiques et le plus protecteur. Autrement dit, la crise économique et la crise de l’euro ont participé à la construction d’un discours du déclin, du repli sur soi et de la volonté de voir se développer des îlots nationaux protecteurs de la mondialisation et de ses dangers. La crise de 2008 a renforcé le sentiment anti-européen dans une partie de l’électorat. Dès lors, certains partis nationalistes se sont approprié ce sentiment et en ont fait un cheval de bataille. Par ailleurs, le rapport au progrès a évolué. Dans les trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les mutations technologiques et les évolutions sociétales ont été vécues comme positives. Désormais, elles sont perçues comme inquiétantes. Les récents progrès techniques, notamment le développement de l’intelligence artificielle et de la robotique, questionnent la place de l’humain dans la société, induisant une perte de repères et de sens. D’autres éléments peuvent être pris en compte pour comprendre le repli en cours : montée en puissance de la Chine et d’autres nations induisant de nouveaux rapports de forces mondiaux, vitesse des révolutions technologiques, peur de ne pas suivre le mouvement, sentiment d’une perte de contrôle lié aux flux de personnes, de produits et de capitaux, etc. Le cadre de la nation et le souhait pour certains d’un État fort est lié à cette peur. De ce discours du déclin ressort l’idée suivante : « Si je ne sais pas où je vais, je préfère idéaliser le passé, quand l’horizon était proche et l’État très présent. » Néanmoins, comme le rappelle Johan Norberg, cette nostalgie est également liée à un mécanisme psychologique et pas uniquement à l’effacement de l’État. 

La deuxième crise a débuté en 2015 avec l’arrivée de nombreux migrants en Europe. Elle est venue, dans l’esprit de certains citoyens, matérialiser les discours des partis nationalistes-identitaires sur « l’invasion migratoire » et la mise en danger des identités nationales et européenne. La représentation des partis nationalistes-identitaires et des partisans de l’illibéralisme est celle d’une Europe blanche et chrétienne. Pour eux, il n’est pas concevable qu’il en soit autrement, ce qui les conduit à rejeter toute forme de multiculturalisme. Les attentats commis sur le sol européen ont été également un catalyseur dont ont profité ces partis. Ils sont une matérialisation, pour une partie de l’électorat, des mises en garde réalisées par les mouvements nationalistes-identitaires. En outre, la situation démographique de nombreux pays européens alimente ce sentiment « d’envahissement » et valide, aux yeux de certains, la théorie du grand remplacement popularisée par Renaud Camus, notamment dans les pays d’Europe centrale et orientale (PECO). Dans ces États, le rejet de l’immigration est fort et il est impensable de combler les besoins de main-d’œuvre par l’immigration. Elle est perçue comme un « suicide de l’Europe ». Ces craintes trouvent un écho dans le discours de rejet de l’Autre, ennemi à la fois intérieur et extérieur des partis nationalistes-identitaires. 

La troisième crise est celle de la représentativité qui se traduit par une perte de confiance et un rejet des élites dirigeantes. Il s’y mêle différentes considérations : sentiment que le discours des élites est éloigné des réalités et qu’il n’entre plus en résonance avec l’expérience quotidienne des citoyens, stagnation sociale avec la réalité que les générations actuelles vivront, à certains égards, moins bien que leurs parents, perte de repères liée à la mondialisation (avec toutefois des définitions très variables d’un citoyen à l’autre de ce qu’est cette dernière), creusement des inégalités et sentiment que les nations ne peuvent plus jouer leur rôle car elles ont été « vendues » par leurs élites dirigeantes à des intérêts supranationaux (Union européenne, multinationales, etc.).

Enfin, des événements tels que le référendum de 2005 viennent accroître le sentiment selon lequel l’Union européenne serait une entité en dehors de tout contrôle démocratique qui ne respecterait pas les opinions de ses citoyens. Il est vrai que si l’Union européenne et ses institutions ne sont pas responsables de tous les maux du continent, certaines critiques peuvent être émises et permettent de comprendre le rejet dont elles souffrent. En outre, il n’existe pas de récit européen ou, s’il existe, il est très faiblement diffusé, alors que chaque nation a construit son récit national. Les symboles, les grandes figures et les valeurs de l’Union européenne sont méconnus d’une majorité des citoyens européens. Les représentations sur les euros sont très certainement moins évocatrices pour un Européen que celles sur les dollars pour un Américain. Par ailleurs, il est à noter que la France a été l’un des pays qui a le plus prôné l’approfondissement de l’Union européenne plutôt que son élargissement. Les traités de Maastricht (1992), d’Amsterdam (1997) et de Nice (2000) s’intégraient dans cette vision et la Constitution européenne devait en être l’aboutissement. Or, la France est venue freiner l’approfondissement de l’Europe politique en invoquant le rejet de l’élargissement. Par ailleurs, jusqu’au traité de Maastricht, le soutien à la construction européenne était plutôt fort. Or, ce dernier traité a concerné des sujets symboliques comme la monnaie, attribut de la souveraineté nationale, ce qui a alimenté le rejet de l’Europe. En effet, l’objet central de ce traité était d’instaurer une union économique et monétaire et l’abandon des monnaies nationales au profit d’une monnaie commune, l’euro. L’ouverture des frontières qui suivra en 1995, résultat des accords de Schengen, a très certainement également contribué à attiser les peurs de certains en permettant l’émergence de représentations comme celle de l’« Europe passoire ».

Extrait du livre de Anaïs Voy-Gillis, "L'Union européenne à l'épreuve des nationalismes", publié aux éditions du Rocher. 

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