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1945 : l’héritage béni qui a fini par laisser des millions de Français sur le bord de la route
©BERTRAND GUAY / AFP

État providence et modèle social français

L'héritage du programme du Conseil national de la résistance, après la seconde guerre mondiale, a créé le fameux modèle social français. S'il a été efficace lors de l’âge d’or des 30 glorieuses, il s'avère désormais inadapté aux réalités du XXIe siècle.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Claude Posternak

Claude Posternak

Claude Posternak, spécialiste reconnu de l'opinion, fondateur du Baromètre Posternak-Ifop, Président de la Matrice, fondateur de limportant.fr. Auteur de "Le nouveau partage" Editions Fauves"La schizophrénie de l'opinion française" Editions Fauves, "Les expériences de la gauche au pouvoir freinent-elles les luttes populaires?" Université Paris VII.

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L’héritage de 1945, avec la mise en œuvre du programme du Conseil national de la résistance et l’universalisation de la Sécurité sociale, a permis de construire l’Etat providence et ouvert la voie à l’âge d’or des 30 glorieuses. Avec le pacte entre gaullistes et communistes qui l’avait permis, le mythe du socle des conquêtes sociales était né.

Atlantico : L’union nationale des années 1944-1947 a aussi eu un côté moins lumineux avec un partage de facto de pans entiers de la société française entre ce qui tombait sous l’influence des gaullistes et ce qui revenait aux communistes et à la CGT. Quelles en furent les conséquences ?

Jean-Paul Betbeze : L’histoire est un incessant jeu de corrections, pour corriger des drames, quitte à en écrire d’autres, mais plus tard. Ceci ne signifie pas que ceux qui « font l’histoire » à un moment donné n’ont aucune prescience des risques liés à leurs choix, mais ils sont souvent tributaires des rapports de force de l’instant. Il s’agit donc de « faire au mieux », en espérant que les successeurs auront les capacités et surtout le courage de « bien » continuer.

La France de 1944-1947 fait partie du « camp des vainqueurs », grâce aux Alliés. Elle veut à la fois se reconstruire, avec de Gaulle - pour oublier en partie Pétain et avec le Parti communiste - le « Parti des fusillés », pour oublier aussi en partie le Pacte germano-soviétique (les réalités soviétiques n’étaient pas connues). Mais les États-Unis sont de la partie.

L’après-guerre commence ainsi avec le Plan Marshall, pour aider les « vainqueurs » du côté américain et freiner les avancées communistes : ne soyons pas naïfs. Pour les Américains, il s’agit de beaucoup aider l’Allemagne pour éviter un drame nouveau, en la gardant sous tutelle militaire et politique, en lui permettant de reconstruire son industrie mais surtout pas ses Konzerns (cartels qui avaient largement financé le Reich), d’où le souci de la « concurrence libre et non faussée » (qui passera ensuite à l’Europe), d’où la puissance actuelle de ses PME. En Italie, pour éviter un risque mussolinien, la Constitution a été écrite pour donner autant de pouvoir aux deux Chambres, ce qui explique encore la faiblesse politique de ce pays. Pour la France, il s’agit de l’aider mais pas trop, plutôt son agriculture que son industrie, et l’on aura bientôt la PAC (subventionnée) plutôt que des capacités élevées d’industrialisation et d’exportation.

Dans ce contexte qui semble assez prédéterminé : aider la France mais sans trop, de Gaulle doit diriger avec beaucoup de partis politiques, dont le PC, aussi puissant que le RPF mais moins organisé que lui, loin s’en faut. C’est alors le temps des nationalisations, dont Renault – pour faits de collaboration, avec le PC s’installant avec la CGT (sa « courroie de transmission ») dans les lieux d’information (syndicat de la presse, PTT), le rail (la SNCF), les ports et docks, l’énergie (EDF, GDF). Contrôle direct ou indirect de l’information, des grandes entreprises, des moyens de communication et de l’énergie : on aura reconnu Lénine. Toutes les années qui ont suivi, et maintenant encore, portent les traces de ce partage. Le Parti Communiste a certes décliné, vivant grâce à ses alliances avec le Parti socialiste (ex « socio-traîtres ») et se rapprochant parfois de trotskystes ou de « gauchistes ». La CGT aussi a baissé, mais moins. Elle devient le deuxième syndicat français, dépassé par la CFDT dans le privé et concurrencée souvent dans le public par des mouvements plus extrêmes qu’elle. Mais son emprise reste puissante, ne serait-ce que dans les règles et normes qu’elle a pu obtenir, baptisées « avantages acquis ».

En fait, deux forces expliquent l’évolution du partage politique-économique depuis l’après-guerre :

  • l’économie d’abord, avec la mécanisation, la robotisation, la délocalisation (Espagne, Maroc, Inde et surtout Chine) et surtout la servicisation. La classe ouvrière a largement disparu au profit d’industries plus petites (qui sont souvent sous pression de rentabilité et de compétitivité) et le premier employeur des grandes villes est l’hôpital.

  • la montée spécifique des coûts relatifs des secteurs très syndiqués par rapport aux autres. Ils poussent à des délocalisations, à des concentrations, à des disparitions. « Le France » a disparu depuis longtemps, le premier port français est Rotterdam, une bonne part des revues s’imprime en Belgique et des livres d’art en Italie. Et où ira la presse quotidienne papier ? Contrairement à ce qu’on raconte, la désindustrialisation n’est pas (seulement) un phénomène chinois. On découvre que les coûts salariaux en France sont élevés, notamment dans secteurs abrités, juridiquement ou politiquement. Le drame vient du fait que ces coûts se trouvent souvent face à des compétences insuffisantes : les résultats du budget et du commerce extérieur sont éloquents, le secteur public cherche à vivre hors France (SNCF, ADP…).

Nous vivons aujourd’hui une glissade de l’emploi qualifié, de l’export, des déficits publics. Nos entreprises, sont en général de plus petite taille, notamment que leurs concurrentes allemandes, bien moins rentables et donc plus endettées.

Claude Posternak : Alors qu'en 1936, la gauche victorieuse regroupe un Français sur trois, en octobre 1945, pour l'élection des députés à la Constituante, la gauche rallie pour la première de son histoire jusqu'à un électeur sur deux. Les Français et les Françaises (c'est la première fois qu'elles votent), placent le PCF, fer de lance de la Résistance sur le sol national, en tête. Avec 26% des voix, le parti des fusillés devient le premier parti de France. Ce rapport de force est déterminant pour comprendre la nature du compromis qui va être signé. Tout aussi important, de Gaulle ne fait pas confiance à la bourgeoisie. A ses yeux, elle l'a trahi en faisant le choix de Pétain. Ce contexte éclaire la nature du compromis entre l'homme de la France libre et les communistes. L'accord de la Libération, à l'origine d'extraordinaires avancées sociales, économiques et industrielles, sera fondé sur les bases d’un capitalisme d’Etat à la française - nationalisation de l’énergie, des banques, de Renault. Les grandes entreprises seront contrôlées par des grands commis de l’Etat, les syndicats récupèreront la gestion et la manne des comités d’entreprise. Mais le choix de ce « modèle français », n’est pas sans conséquence.  Alors que l’Europe du Nord se rebâtit avec un pôle social-démocrate et une alternative libérale, la France, elle, donne naissance à des jumeaux : une gauche et une droite étatique. 70 ans plus tard, 75% des Français ne voient plus de différence entre la gauche et la droite (Baromètre de confiance Cevipof janvier 2017). D'où le succès dans l'opinion du slogan l'UMPS et de sa version républicaine, le ni droite, ni gauche. Cette dégénérescence d'un pacte vieux de 70 ans qui n'a pas été renouvelé est la condition objective qui a prévalu à l'élection de Emmanuel Macron. Avec le temps et par manque de garde-fous, les grands commis de l’Etat, ceux qui gagnaient peu mais défendaient avec dévouement l’intérêt du pays, sont devenus, sous l’effet de la révolution néo libérale, une bourgeoisie d'Etat (au sens marxiste du terme). De leur côté, les représentants de la classe ouvrière sont majoritairement devenus une bureaucratie syndicale. Leur point commun, source des frottements au sein du pays, la défense exclusive de ceux qui sont à l'intérieur du système. 

Comment ce partage initial des territoires entre gaullistes et communistes a-t-il fini par contribuer largement aux fractures et aux inégalités de statut de la société française actuelle ?

Jean-Paul Betbeze : La syndicalisation est faible en France, notamment dans le secteur privé. Mais les salariés se vivent protégés par les statuts de certains, les accords sectoriels et d’entreprises, les prudhommes et inspecteurs du travail. Une ombrelle demeure, avec ses surcoûts et surtout ses limites à la mobilité, problématiques dans un temps de mondialisation, de révolution technologique, où la crise sanitaire vient manifester un effet d’accélération. Les grandes entreprises publiques protègent les grandes entreprises privées qui protègent, autant que possible » les PME. Tout se fait « par procuration », en commençant par les grèves.

Les statuts et les structures changent très difficilement, par exemple les paliers pour les instances représentatives du personnel, leur nombre, les horaires de délégation… Il faudra des décennies pour que changent effectivement les structures en liaison avec les lois récentes, et encore si les entrepreneurs veulent les mettre en œuvre ! En plus, l’entreprise se charge de plus en plus d’objectifs : écologiques, sociétaux et ses responsables sont de plus en plus poursuivis en justice, ou menacés de l’être. En même temps, cette entreprise est de plus en plus concurrencée de l’extérieur et menacée dans son existence même : disruptée. Le consommateur regarde les prix sur Internet et souvent achète en direct. Dans l’habillement et la chaussure, 60% des ventes se font pendant les soldes. Le livre ou le journal se dématérialise… Comment sortir de ces évolutions, si l’on est déjà plus cher et ne veut rien changer ?

Quand l’environnement change de plus en plus vite et que les structures dominantes, pour les normes et les salaires, promeuvent la continuité, on sait ce qui se produit : les entrepreneurs et les entreprises vont croître ailleurs, naître ailleurs. Le site français devient moins compétitif, le chômage s’installe. Mais il aura fallu des années pour que cette érosion menace l’édifice.

Claude Posternak : J'ai résumé cette fracture en une image dans mon livre "Le nouveau partage". Le 11 juin 2013, lors de ses obsèques, un hommage national est rendu à Pierre Mauroy. Dans la cour d’honneur des Invalides, toutes les composantes de la bourgeoisie d'Etat : politiques, grands patrons, hauts fonctionnaires et tous les leaders syndicaux viennent saluer la mémoire de celui qui aimait à rappeler : « Ouvrier, ce n’est pas un gros mot ». Aux premiers rangs, on distingue : François Hollande (ENA, promotion Voltaire), Laurent Fabius (ENA, promotion Rabelais), Alain Juppé (ENA, promotion Charles de Gaulle), Ségolène Royal (ENA, promotion Voltaire), Jean-François Copé (ENA, promotion Liberté-Egalité-Fraternité), Martine Aubry (ENA, promotion Léon Blum), Pierre Moscovici (ENA, promotion Louise Michel), Edouard Balladur (Promotion France Afrique), Elisabeth Guigou (ENA, promotion Simone Weil), Michel Sapin (ENA, promotion Voltaire), Lionel Jospin (ENA, promotion Stendhal), Jean-Pierre Chevènement (ENA, promotion Stendhal), Jacques Toubon (ENA, promotion Stendhal), Dominique de Villepin (ENA, promotion Voltaire), Laurent Wauquiez (promotion Mandela), Aquilino Morelle (ENA, promotion Condorcet)…La plupart ne le savent pas, mais Pierre Mauroy, lui-aussi a fait l’ENNA. Une ENNA avec deux N, l’Ecole Normale Nationale d’Apprentissage. Ce 11 juin 2013, l’Ecole Nationale d’Administration crée par de Gaulle et Thorez à la Libération enterre l’Ecole Normale Nationale d’Apprentissage, où Pierre Mauroy, fils d’instituteur, a fait ses classes. La bourgeoisie d’Etat enterre les ouvriers, les employés, les artisans, les petits commerçants et les agriculteurs. Elle enterre les classes populaires, tous ceux et celles qui n’ont plus leur mot à dire, tous ceux et celles à qui on a confisqué le droit de faire de la politique. Le constat ne date pas de ce 11 juin 2013, mais ce jour là, il saute aux yeux. La bourgeoisie d’Etat triomphe, elle a tout raflé. Elle est à l’Elysée, dans les ministères, dans les cabinets, dans les instances des principaux partis, elle dirige les principales entreprises. Quelques pas derrière les politiques, plus discrets et moins connus du grand public, les managers des grandes entreprises françaises.  Un quart d’entre eux a fréquenté l’ENA. Aux feux de la politique, ils ont préféré le parcours qui mène de l’ENA à la Direction du Trésor, de la Direction du Trésor aux cabinets ministériels, des cabinets aux présidences prestigieuses. Ils sont nombreux, ces hauts fonctionnaires, à avoir emprunté ce parcours. Tellement que l’ENA est devenue la sixième école au monde à former le plus de PDG. Une performance d’autant plus surprenante que rien dans les missions de l’ENA ne correspond à cet objectif. Pour rappel, je cite : « La mission de l’ENA est de recruter et de former les hommes et les femmes qui feront vivre et évoluer les administrations, tout en leur transmettant l'éthique du service public, fondée sur des valeurs de responsabilité, de neutralité, de performance et de désintéressement. » Le modèle vertueux issu de la Résistance a fait naître, faute de contrôle, une classe dominante qui a la main mise sur tout ce qui concerne la conduite des affaires. Autre pièce du puzzle ; les représentants des grandes organisations syndicales. Depuis la Libération, la proportion des salariés syndiqués est passée de 30% à 25 % en 1970, 20 % en 1980, 10 % en 1990, pour tomber à moins de 7% aujourd’hui. Le nombre de syndiqués à la CGT a été divisé par 6. Cette désaffection qui touche plus particulièrement les jeunes, les classes populaires, les salariés du privé et les chômeurs est révélateur du fossé qui s'est créé. Il tient au conservatisme de la plupart des dirigeants syndicaux qui privilégient (hors syndicats réformistes, CFDT en tête) les intérêts de leurs organisations à celui de la société française. La France est le pays d’Europe qui compte le moins de syndiqués mais c’est aussi celui qui compte le plus grand nombre de permanents syndicaux rapporté au nombre d’adhérents. A défaut de savoir redonner un emploi à 6,6 millions de personnes, bourgeoisie d’Etat et bureaucratie syndicale s’entendent pour abandonner les plus défavorisés au profit de ceux qui sont à l'intérieur du système. Aucun garde-fou n’existe pour réguler les excès. On ne plus continuer avec d’un côté, les gagnants sur tous les tableaux et de l’autre, les perdants sur tous les tableaux.  

Alors que les débats et prises de positions sur le monde d’après le Coronavirus se multiplient, le risque de reproduire ou d’aggraver les fractures nées de 1945 n’est-il pas sous-estimé faute de prise de conscience sur les erreurs initiales ?

Jean-Paul Betbeze : Le monde de « l’après », je ne sais ce qu’il sera. En revanche, le monde de « l’avec COVID-19 » est là : reprise en Chine et en Asie, chômage et marasme dans les pays avancés. Il y aura, ici, une séquelle, un manque à produire, donc un surplomb de chômage. Il sera payé par les seniors qui ne trouveront plus d’emploi et pire, par les jeunes, pour lesquels les offres seront plus rares, les salaires plus faibles, les promotions espacées.

Les arrangements de 1945 ont aidé à la reprise et à l’organisation des nouvelles structures productives, mais elles ont fait naître dans le temps un écart grandissant entre insiders et outsiders. Selon l’Insee, en 2016, tous statuts confondus, un salarié gagne 2505 euros dans la fonction publique de l’état, 2258 dans la fonction hospitalière et 1902 dans la fonction territoriale et 2314 dans le privé en 2017. Les insiders sont donc bien protégés, n’ont pas de gros risque et une carrière tracée, avec longue retraite. Les outsiders sont plus ballottés, à partir de différents chocs : 68, pétrole, révolution des nouvelles technologies, entrée de la Chine à l’OMC, crise des subprimes, crise des dettes publiques en zone euro et maintenant crise sanitaire. Chaque fois, la croissance potentielle française, son PIB possible baisse sans remonter : 6%, 5… nous en sommes à 1%, 1% avec une montée de nos coûts de structure publics, plus les retraites, ce qui fait monter la dette publique à 120% du PIB, sans plus penser à voir comment la rembourser.

Nous ne pensons pas en termes de « sentier de croissance », sans mesurer les coûts structurels de toutes nos mesures, sans voir comment ils vont s’ajouter aux autres. Pire, avant de penser à des dépenses, nous ne pensons jamais à des recettes.

Claude Posternak : La première erreur serait de considérer que le compromis de la Libération vieux de 75 ans, pensé dans un monde de plein emploi et de forte croissance, hors mondialisation, ne puisse être amendé. Depuis la fin de la guerre, notre modèle social a fonctionné sur la certitude que demain serait meilleur qu’aujourd’hui. La décennie écoulée a montré la difficulté de continuer à croire en cette promesse de Progrès.  La crise que connaît le pays, les divisions qui la minent, la haine qui monte ont encore augmenté d'un cran avec la crise sanitaire. Tout milite pour convoquer l'Histoire afin de changer la donne qui désunit les Français. La crise sanitaire met sur le devant de la scène les sujets de souveraineté. Ces sujets qu'ils concernent le numérique, la défense nationale, l'alimentation, l'industrialisation du pays, le réchauffement climatique, la biodiversité, la fiscalité, le partage des richesses...étaient déjà évoqués par beaucoup et depuis longtemps. Malheureusement une urgence qui n'est pas d'actualité n'est pas une urgence. L'actualité de la crise sanitaire permet enfin de faire de tous ces sujets une urgence. Paradoxalement, ce ne sera pas la pertinence des réponses à ces urgences qui permettra de faire émerger un nouveau contrat unissant les Français. Mais la capacité des Français à y adhérer pour faire ce que nous ne sommes plus depuis trop longtemps, une nation. Au lendemain de son élection, Emmanuel Macron aurait pu convoquer l'Histoire et proposer un nouveau contrat aux Français, comme le souhaitait La Transition, premier mouvement de la société civile à l'avoir soutenu. Il ne l'a pas souhaité. L’absence d’un nouveau contrat, plus la suppression de l’ISF, comme premier marqueur, plus la relation devenue « difficile » du Président avec une majorité de Français, a accouché du « Président des riches ». Ce qui rend les choses compliquées lorsque l’on a fait de la transformation du pays sa priorité. L’émetteur « Président des riches » ne peut réformer. Il y a doute. D’autant que pour les Français, le mot réforme est devenu synonyme de « ça va être moins bien ». On l’a vu au moment de la réforme des retraites. 65% des Français sont pour la suppression des régimes spéciaux, en même temps, 60% soutiennent les grévistes (Elabe. 6 janvier 2020). La condition objective qui a prévalu lors de l’élection d’Emmanuel Macron, une crise politique profonde, n’a pas disparue. Au contraire, elle s’est renforcée, comme c'est renforcé le pouvoir de la bourgeoisie d’Etat. C’est pourquoi la qualité de l'émetteur en charge d'apporter les réponses, dans un pays aussi profondément divisé, est fondamental. Le monde d'après, si on veut sincèrement un monde d'après, ne peut être porté que par le seul émetteur légitime, les Français eux-mêmes. Le modèle français issu de la reconstruction a atteint ses limites, et ne peut plus être régénéré de l'intérieur. A l’image du Conseil National de la Résistance à la Libération, les Français, les acteurs de la société civile, les corps intermédiaires doivent prendre leurs responsabilités. Bien sûr, nous ne sortons pas de la guerre mais le pays est profondément divisé et va connaître une crise sociale et économique post-covid profonde. Les menaces d’aujourd’hui : dislocation du corps social, montée de la haine, généralisation de la résignation, communautarisme, nécessitent de réagirAux Français et à leurs représentant élus, je pense que le département est le bon échelon pour garder un maximum de proximité, de décider du monde d'après. C'est le seul moyen pour transformer le pays. C'est aussi le moyen de mettre les Français face à leurs responsabilités et à leurs contradictions. Je mettrai le partage des richesses au coeur de ce nouveau contrat. Je recommanderai également trois garde fous. Une méthode : ne plus faire POUR les gens mais faire AVEC les gens. Donner une échéance à ce nouveau contrat : 10 ans pourrait être un horizon qui laisse le temps de transformer sans se fossiliser. Un organe de contrôle pour limiter les dégénérescences, même si une durée de 10 ans en limite la portée.

Comment ne pas reproduire les erreurs de 1945 tout en préservant l’aspiration à un partage plus juste au sein de la société française ?

Jean-Paul Betbeze : Nous ne percevons pas l’avantage stratégique de la zone euro dans le monde actuel, pour se reprendre face à la crise sanitaire, pour exister entre États-Unis et Chine. En 1945, nous étions avec les riches États-Unis face à l’URSS. Et aujourd’hui ? Les États-Unis sont moins riches et nous ne sommes plus un allié aussi utiles qu’avant. Or, la zone euro pèse actuellement en termes de PIB autant que la Chine (14 trillions de dollars) face aux États-Unis (24). Voulons-nous profiter de ce poids, de cette organisation, de cette crédibilité pour nous allier à l’Afrique et la soutenir, pour peser plus ensemble ? Ou préférons-nous nous endetter pour rien, implicitement garantis par l’Allemagne – le temps que ceci durera ? En 1945 de Gaulle, puis les signataires du Traité de Rome en 1957, quelques années après la proposition inouïe de Robert Schuman de mettre en commun l’acier et le charbon allemand, pour ne plus se battre et créer une nouvelle puissance (fédérale)… en 1950 faisaient l’histoire. Elle a partout avancé depuis et la nôtre, faute d’objectifs et de réformes, risque de s’embourber. La « valeur ajoutée » n’est pas un «avantage acquis » et le partage ne pourra être plus juste que si nous voulons plus de « valeur à ajouter », autrement c’est l’inverse qui aura lieu.

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