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Radioscopie des armes rhétoriques des discours anti-establishment à la Raoult
©GERARD JULIEN / AFP

Méthode efficace

Philippe Moreau-Chevrolet décrypte et analyse la stratégie et l'attitude du professeur Didier Raoult dans le cadre de ses entretiens aux médias. Philippe Moreau-Chevrolet revient également sur les enjeux politiques et médicaux autour de la figure du professeur Raoult et de la chloroquine.

Philippe Moreau-Chevrolet

Philippe Moreau-Chevrolet

Philippe Moreau-Chevrolet est communicant et co-fondateur de l'agence de conseils en communication MCBG Conseil.

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Face au phénomène médiatique Raoult, il est tentant de procéder par jugement a priori- il est dingue et il raconte n'importe quoi, ou c'est un génie et il dit la vérité vraie. Il est plus intéressant de se pencher sur sa communication et de regarder sa cohérence. 

Ce qui frappe, d'abord, c'est son attitude par rapport aux médias. Il instaure d'emblée un rapport de force, qu'il maintient pendant l'interview, avec des piqûres de rappel - je n'ai pas besoin de vous parler, je fais de l'audience, vous êtes incompétent, les médias nuisent etc. Cette posture est étonnante parce qu’elle détonne dans le domaine médical. On retrouve cette attitude et cette technique de "prise de pouvoir" sur l'interview, assez primitive, plutôt chez des politiques : Bayrou 2007, la famille Le Pen, certains macronistes ou certains LR.

Primitive ne veut pas dire bête : cette méthode marche. Elle décourage les questions difficiles, mais surtout elle "parle" au public. Il n'y a pas, comme Bayrou l'a démontré en 2007, ou Mélenchon d'ailleurs, de brevet plus simple d'"anti-establishment" que d'attaquer la presse. Quand Bayrou s’en prend à Claire Chazal, après voir flanqué une baffe à un gamin qui lui faisait les poches, il se révèle plus sûrement aux yeux du public qu'en publiant une cinquième biographie d'Henri IV. Paris vaut bien une baffe, figurée ou littérale. Donc Raoult utilise ce dispositif. Et ça plaît. L'interview devient un match et d'une certaine façon, il se "passe" quelque chose. Par Pujadas, c'est en réalité tout l'appareil de pouvoir politico-médical que Raoult affronte, comme un héros affronte un monstre.

Pour comprendre que c'est une technique et que c'est assez malin, Il faut faire exactement ce que font les partisans de Raoult : regarder dans le moteur. Quel est le moteur de Didier Raoult ? Il faut d'abord rappeler que Didier Raoult n'est pas un "petit" contre les "gros" de l'industrie médicale. Il dirige un institut qui a un énorme budget, très bien implanté, avec des politiques - LR, mais ça tient à la couleur politique locale - à son conseil d’administration. Son bras droit, qui gère sa communication, est un député suppléant LREM. Ce n'est pas un "société civile". C'est un politique. Ce n'est pas une critique. Par ailleurs, il fait plutôt très bien le job. Mais le fait est que tout cela constitue un socle. Didier Raoult écrit par ailleurs ou a écrit, en masse, dans les revues comme The Lancet. Ou dans les revues médicales en général. Autrement dit, ce n'est en rien un marginal dans son secteur. Il a grandi dans ces institutions.

D'ailleurs, il ne le nie pas. C'est, en réalité, l'un des moteurs de sa popularité : il peut alterner rappels de sa légitimité médicale, qui est bien établie, et attaques contre le système. Comme Macron, en 2017, pouvait à la fois incarner le fils de bonne famille de l'élite et le rebelle amoureux de sa prof de français, prêt à bousculer la technostructure. Cumuler à la fois une position de pouvoir forte et un discours anti-système est un énorme atout : on a une légitimité à la base qui donne encore plus de poids à sa critique.

Et on peut avoir, comme Macron, des réseaux et des financements qui aident pour une présidentielle. Tout en partant en guerre contre les élites qui ne comprennent rien et ont fait leur temps. Mélenchon est un peu dans ce schéma aussi. Ancien sénateur, voyageant en première mais anti-système. C'est ce qui le rend vulnérable à quelqu'un comme Ruffin, par exemple, qui aligne sa réalité (il se paye au SMIC) et ses principes. Pour revenir à Raoult, il a lancé un objet dans le débat, la chloroquine. Et là, ça devient intéressant.

La chloroquine est d'abord apparue, comme à chaque épidémie, comme le remède miracle qui allait nous sauver. C'est une constante dans toutes les épidémies : un homme, souvent contre le système, propose quelque chose pour nous sauver, et on a envie de le croire. C'est l'un des moteurs du film "Contagion", où Jude Law incarne cette figure à la marge, proposant un remède en apparence simple, peu coûteux, et que tout le "système" veut nous cacher. Jude Law est un blogueur sans légitimité médicale. La comparaison s'arrête là. Mais ça veut dire une chose : on est "câblés" pour avoir ce type d'espérances, en temps de crise. Donc Didier Raoult, en proposant la chloroquine, répondait à un schéma à la fois universel et fondamental dans notre façon de "gérer" émotionnellement une crise de ce genre.

L'attitude des pouvoirs publics vis-à-vis de Didier Raoult a, par ailleurs, été parfaitement incompréhensible, et ils ont fait beaucoup pour sa popularité. Et celle de la chloroquine. Au lieu d'avoir une attitude ouverte, en accueillant sa proposition et en accompagnant l'émotion populaire, les dirigeants politiques ont attaqué frontalement Raoult dans un premier temps, allant jusqu'à remettre en cause la nécessité de faire des tests sur la population. Comme le faisait Raoult. On a donné le sentiment qu'on refusait son traitement par principe.

Et dans un deuxième temps, d'une manière tout aussi incompréhensible, le Président s'est rendu chez Raoult. Ce n'est pas anodin : les chefs de partis sont convoqués à l'Elysée. Là, en pleine crise, c'est l'Elysée qui va chez Didier Raoult. Ce qui envoie un message contradictoire. Pourquoi l'Elysée va-t-il voir Raoult, si Raoult dit n'importe quoi ? La réalité est assez prosaïque : Macron veut tenter de récupérer politiquement ce qu'il peut du "mouvement" Raoult et il a une politique systématique de "couverture" de ses adversaires. C'est ce qu'on appelle le "baiser de l'araignée" : je te rencontre, je te nomme ministre ou je te fais député, pour affaiblir ou diviser ton camp et diminuer ta "charge" politique, voire récupérer toute cette belle énergie ;) Macron est un champion de la discipline. 

Sauf que là, en réalité, les conséquences étaient aussi médicales. La "politisation" du débat a fait que des élus LR, par ailleurs proches de Raoult ou à son conseil d'administration, donc solidaires, l'ont soutenu. Et la chloroquine est devenue un objet politique. En réalité il y a 2 façons de voir la chloroquine : comme un objet médical ou comme un objet politique. Soit on considère que c'est un objet politique. Et il ressemble au mur de Trump : c'est un objet magique, que Raoult répète comme un mantra, en le parant de toutes ses vertus. La chloroquine est présente depuis la nuit de temps - argument classique du paramédical -, elle n'est pas dangereuse, elle guérit à la fois au début de l'infection et dans les cas graves. Elle va nous débarrasser de l'épidémie. Le preuve, regardez Marseille et nos 4000 malades. Il faut noter que, face à Apolline de Malherbe, Didier Raoult insiste sur le fait que la chloroquine guérit aussi les cas graves. Réécoutez l'interview, c'est un même un passage qui a été caricaturé par Canteloup - "la chloroquine ramène l'être aimé", etc.

Donc c'est un objet politique, un peu comme le "mur" de Trump : il est magique, il est beau, il est grand et va résoudre nos problèmes. Pour ceux qui s'intéressent à cette technique réthorique, une excellente vidéo :

Ou la chloroquine est un objet médical et là, on a un problème. Parce qu'il existe 2 systèmes d'évaluation concurrents : le système officiel, un peu discrédité par l'agressivité injustifiée et paradoxale (je t'aime pas /je t'aime) du gouvernement au départ, et le système Raoult.

Dans un contexte où l'OMS et les médecins se sont trompés au début - c'est une "grippette" -, ce qui est normal mais laisse des traces, et où les politiques en France ont donné pour la 1ère fois le sentiment que l'Etat ne pouvait pas tout... C'est une vraie concurrence. La question ne sera pas résolue même si Raoult perd sur le terrain médical. Il est trop tard. La question est: que va faire Raoult de ce capital médiatique ? Il explique ne pas avoir besoin de la presse. Mais en réalité, comme beaucoup de personnalités qui critiquent la presse. Il donne des interviews sans arrêt. Il nie avoir des ambitions politiques mais un parcours de communication qui passe par BFMTV, LCI, l’Express... est aussi un parcours politique. Comme avec tous les profils de ce type qui émergent en ce moment, on regardera avant tout les actes.

Retrouver le thread de Philippe Moreau Chevrolet sur Twitter : https://twitter.com/moreauchevrolet/status/1265559516525068289

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