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Tsunami de licenciements en vue : quel destin pour les chômeurs du Covid-19 ?
©LOIC VENANCE / AFP

Crise économique

En France, le chômage a tendance à durer plus longtemps qu’ailleurs et quand il monte il met plus de temps à redescendre.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : Les chiffres d'après épidémie inquiètent, entre faillites et licenciements, certains prévoient jusqu'à un million de chômeurs supplémentaires en septembre et ce, même si l'activité partielle se maintient. Alors que le gouvernement annonce une hausse du coût pour les entreprises de ce chômage partiel, comment expliquer ces projections ? 

Gilles Saint-Paul : Les mesures sur le chômage partiel visent avant tout à protéger l’infrastructure économique des grandes entreprises en le dissuadant de détruire des postes de manière permanente. Mais le chômage évolue sous l’effet de deux forces. D’une part la destruction d’emplois, que le gouvernement s’efforce de mitiger avec ces mesures sur le chômage partiel. D’autre part la création d’emploi. Or celle-ci est en panne ; les mesures de chômage partiel évitent des licenciements mais ne stimulent pas les embauches. Ces dernières représentent une part considérable des mouvements de main d’œuvre et le chômage peut donc augmenter très rapidement sous le simple effet d’une panne dans les embauches. 

L’ampleur de la crise est tel qu’on peut s’attendre à une chute importante des embauches alors même que nombre de jeunes diplômés vont bientôt se déverser sur le marché du travail. Et comme vous le faites remarquer, faillites et licenciements augmentent, car même si une entreprise peut bénéficier du chômage partiel, elle préfèrera fermer ou licencier si elle ne s’attend pas à une reprise rapide de son activité. Le chiffre d’un million est donc réaliste, on peut s’attendre à un taux de chômage au moins égal à 15 % d’ici un an. 

Si l'activité partielle a permis, pour l'instant, de prévenir une forte hausse du nombre de demandeurs d'emplois comme aux États-Unis ou en Australie, notre économie a plus de mal à les réintégrer au marché du travail que ces pays-là. Parmi les 8,6 millions de "chômeurs partiels" quelle part viendra rejoindre les rangs de demandeurs d'emploi et pourquoi cette spécificité française ?  

Gilles Saint-Paul : Cette spécificité française est à rapprocher des pratiques allemandes en matière de réduction négociée du temps de travail pour encaisser le choc d’une récession. Ce type de mesure n’est pas forcément une mauvaise idée. Les Etats-Unis laissent jouer pleinement la flexibilité du marché du travail mais pour en compenser l’effet sur le chômage ils stimulent l’économie en laissant filer les déficits publics et en fragilisant à long terme leurs comptes publics. En principe, convaincre les entreprises de maintenir une activité réduite peut s’avérer une meilleure idée. Mais ici, il y a deux problèmes. D’une part, cette politique n’a de sens que si la crise est passagère et si l’on s’attend à ce que la structure de l’économie, au moment de la reprise, soit comparable à ce qu’elle était avant la crise. Or, cette crise va avoir des séquelles profondes et durables et l’économie aura profondément changé du fait de l’évolution des normes sanitaires et des relocalisations. Cela suggère que bien des emplois maintenus grâce au chômage partiel risquent de finir par néanmoins disparaître. D’autre part, l’indemnisation du chômage partiel est généreuse et son coût pour les finances publiques tout aussi abyssal que celui des mesures américaines de stimulus. C’est parce que le choc est d’une telle ampleur que le gouvernement ne pense pas sans sortir à meilleur compte. Mais cette logique a des limites, d’une part parce que la dette publique augmente très rapidement, d’autre part parce que les incitations pour revenir au travail à plein temps, à ce niveau d’indemnisation, sont très faibles. Le gouvernement risque fort de se trouver dans une impasse : soit continuer dans une trappe à temps partiel, avec ce que cela implique sur l’explosion des déficits et les menaces que cela fait peser sur l’Euro, soit inciter les gens à retravailler à temps plein en réduisant l’indemnisation, ce qui risque de déclencher une nouvelle vague de licenciements due aux emplois que le chômage partiel maintenait sous perfusion. 

Donc, je m’attends à ce qu’une bonne partie des chômeurs à temps partiel, peut-être la moitié d’entre eux, viennent rejoindre les rangs des chômeurs « plein pot » dans les mois qui viennent. La vraie question est : vont-ils rapidement retrouver un emploi dans les nouveaux secteurs d’activité, ou bien allons-nous nous enfoncer dans la dépression ?

Quelles seront les conséquences si la crise produit des chômeurs "longue durée" en France ? Comment remédier à ce drame économique et humain qui se profile ? 

Gilles Saint-Paul : Les conséquences seront dramatiques. Les français qui s’imaginent à l’abri du besoin grâce à leur statut, leur convention collective, leur retraite ou leurs aides se bercent de douces illusions. Les recettes publiques sont en chute libre et la dette explose. Quel que soit le scénario envisagé, l’Etat, la Sécurité Sociale, les partenaires sociaux, se verront dans l’incapacité de tenir leurs promesses. On peut donc craindre l’effondrement du modèle social français, dans un scénario comparable à ce qu’ont connu la Grèce ou, avant elle, l’ex-URSS. Les récipiendaires de ce modèle social (retraités, chômeurs, fonctionnaires, intermittents, milieu associatif, handicapés, salariés prétendument protégés par de généreuses conventions collectives…) se retrouveront alors brutalement paupérisés, du fait que le financement de leurs droits aura disparu du jour au lendemain. Un scénario avec 20 à 30 % de chômeurs et des réductions dans les retraites et salaires de près d’un tiers est parfaitement possible. La Grèce l’a déjà vécu, dans une situation où la conjoncture internationale était pourtant bien plus favorable. 

Aux euros distribués généreusement dans le cadre du plan de soutien, ne correspond aucune contrepartie en termes de bien et de services. Si les gens se mettent à essayer de les dépenser, il faut s’attendre à une hausse rapide du niveau des prix et à un appauvrissement généralisé. En effet, dans bien des secteurs, la productivité a chuté du fait des mesures de distanciation sociale et de la mise à mal de la chaîne de valeur globale. Ces secteurs augmenteront leur prix, car ils ne seront pas en mesure de faire face à un niveau de demande comparable à celui qui prévalait avant le COVID. Qu’on songe à un restaurant parisien contraint de maintenir une distance d’au moins un mètre entre les clients. La capacité de la salle est divisée par 4 et pour rentrer dans ses frais, le restaurant doit facturer l’addition à 200 euros eu lieu de 50. Je vous laisse imaginer le nombre de restaurants qui vont survivre dans ces conditions.

Si le gouvernement, sous pression de la BCE, essaie d’éviter une telle dérive inflationniste, il devra empêcher la demande intérieure d’augmenter trop rapidement, en augmentant les impôts (TVA, CSG…) qui sont déjà pratiquement les plus élevés du monde ; cela se traduira également par un appauvrissement et une réduction supplémentaire des incitations économiques, donc de l’offre. 

Si le pessimisme est tel que la demande intérieure ne redémarre pas, alors l’économie s’enfoncera dans le marasme et les chômeurs mettront des années à retrouver du travail.

Quelles sont les causes du taux de chômage en France qui ne baisse pas ou peu depuis des décennies et désormais promis à une forte augmentation suite à la crise post-CoVid 19 ?

Michel Ruimy : Le débat sur les chiffres du chômage français est récurrent, notamment en raison de son fort taux, particulièrement chez les jeunes. Alors que nous avions atteint, à la fin de l’an passé, le niveau le plus bas depuis la crise financière de 2008 (8,1% de la population active), il est à craindre son élévation dans les mois à venir. Il retrouverait alors une situation structurelle, dont les causes sur les quatre dernières décennies sont multiples, variées et imbriquées. Ceci constitue, d’ailleurs, une des difficultés majeures de son traitement. 

Parmi ces causes, nous pouvons citer - à moduler toutefois selon les circonstances - l’insuffisance de l’activité mais également un coût du travail élevé (rémunération + charges sociales patronales), une certaine rigidité du code du travail (procédures de licenciement relativement contraignantes et coûteuses), la progression constante de la population active, l’inadéquation de l’offre à la demande sur le marché du travail due, dans une certaine mesure, à un système d’éducation et de formation déficient (200 000 offres d’emplois non pourvues et certains secteurs d’activité en peine à trouver du personnel), la mondialisation et la multiplication des délocalisations pour les industries de main d’œuvre… Toutes ces raisons, qui ne sont pas exhaustives, sont un frein à la compétitivité des entreprises.

Comment expliquer que notre taux de chômage soit particulièrement difficile à faire baisser contrairement aux pays anglo-saxons par exemple ?

Michel Ruimy : L’économie française se caractérise par un important sous-emploi - personnes actives à temps partiel souhaitant travailler davantage, au chômage technique…- par rapport à des pays de dimensions plus ou moins comparables (Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis, Autriche, Pays-Bas, Suède, Danemark…). Ainsi, en France, le nombre total d’emplois est d’environ 27 millions pour une population totale de 67 millions d’habitants alors qu’il est de 32 millions au Royaume-Uni pour une population de 63 millions, de 41 millions en Allemagne pour une population de 81 millions d’habitants et de l’ordre de 162 millions aux États-Unis pour une population de 325 millions d’habitants. On observe donc un taux d’emploi proche de 50% par rapport à la population totale dans ces pays et de 40% en France. 

Même en tenant compte de différences démographiques qui peuvent contribuer à expliquer ces écarts de taux d’activité, le nombre de travailleurs devrait atteindre 33,5 millions. Ainsi, c’est le sous-dimensionnement de l’économie française qui expliquerait le chômage de masse spécifique à la France, la plupart des pays de l’OCDE étant aujourd’hui proches du plein emploi. En d’autres termes, sans porter de jugement sur les personnes concernées, il y a environ 6,5 millions de personnes qui vit exclusivement de l’aide de l’Etat via les transferts sociaux et l’accès aux services publics, payés par les impôts de la France qui travaille. 

Il est donc absolument vital de renouer avec une politique de croissance qui ramènera la France vers un taux d’emploi plus satisfaisant, seule solution réaliste pour améliorer le niveau de vie des Français déjà au travail - et des Français dans leur ensemble - mais aussi de pouvoir améliorer la situation des finances publiques. Il convient donc de permettre à nos entreprises de regagner en compétitivité.

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