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Déconfinement : ces zones de flou qui demeurent derrière les efforts de transparence du gouvernement
©Christophe ARCHAMBAULT / POOL / AFP

Plan du 11 mai

Edouard Philippe a dévoilé les derniers détails du plan du déconfinement pour le 11 mai. L'annonce de ces mesures est-elle en adéquation avec les réels enjeux du moment ? Ces mesures peuvent-elles permettre une reprise rapide de l'économie française ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico.fr : Hier, Édouard Philippe a dévoilé, depuis Matignon, les derniers détails du déconfinement prévu le lundi 11 mai. Selon vous l'annonce du plan de déconfinement du Premier ministre pour le 11 mai a-t-elle été en adéquation tant sur sa forme que sur l'enjeu du moment?

Arnaud Benedetti : Il a été conforme au registre communicant qu’il  a adopté depuis le début de cette crise. «  Doucement, nous sommes pressés » en quelque sorte telle pourrait être sa devise. Il nous a offert un exercice de style studieux, contextualisé avec des cartes et des chiffres, collégial, un peu ennuyeux  comme si l’ennui était la condition de la crédibilité, aucunement joué à la différence du Président, ne laissant aucune marge à l’improvisation. Tout était réglé au cordeau. Sur le papier, encore une fois, il y a une cohérence d’ensemble, une technicité revendiquée, des mots choisis “ équilibre ", " ligne de crêtes ", " progressivité ", une sémantique fétichisée sans lyrisme, sans chair autre que celle de la volonté d’apparaître le tâcheron, le porteur d’eau du pays qu’il faut faire redémarrer.

À vrai dire cette annonce était sans surprise. Ce déconfinement à petit pas demeure sous surveillance, très conditionné, fondé pour certaines fonctions, comme les fonctions éducatives, sur le consentement, très encadré. Les mesures annoncées avaient été préparées depuis plusieurs jours par un teasing « pointilliste ». Donc l’opinion était de facto en état de pré-conditionnement. Pour le reste toute la question de la confiance demeure. La copie est propre certes mais faut-il encore qu’elle soit applicable. L’enjeu des moyens n’est pas dissipé à ce stade. La carte verte des capacités de tests par exemple objective la disponibilité de ces derniers, mais la réalité c’est que nous n’avons pas eu de chiffres, pas plus que sur les stocks de masques. L’angle mort de la logistique persiste. Celui de la faisabilité de la gestion des flux dans les transports également. Sans compter un certain nombre de contradictions qui continuent à fragiliser la réceptivité des messages. Les déplacements interdépartementaux sont limités mais les frontières ouvertes à l’intérieur de Shengen. Ce hiatus est au demeurant un angle d’attaque déjà soulevé par le Rassemblement national. Se dégage enfin de toute cette déclinaison de mesures une sensation de micro-management de la société, comme si le risque sanitaire était érigé en légitimation d’une société de la surveillance et des conduites. Cette dimension intrusive pour le moment ne fait pas l’objet, à de très rares exceptions près, d’une critique intellectuelle et politique.  Pourtant la question ne manquera pas de se poser : jusqu’à quand une société et jusqu’à quel degré accepterons nous de la puissance publique qu’elle nous dicte nos comportements ? La puissance du sentiment sanitaire est forte mais le curseur devra un moment être régulé. C’est un enjeu politique, de civilisation même.

Emmanuel Macron s'est exprimé récemment exprimant ne pas souhaiter employer de "grands mots" autour des défis économiques qui attendent notre pays. Edouard Philippe, en anticipant un "appauvrissement général des Français" "ne prend-il pas le contre-pied du président ? Cela est-il révélateur d'un actuel bras de fer dans lequel Edouard Philippe et Emmanuel Macron se seraient engagés ?

Arnaud Benedetti : L’existence de divergence d’appréciations et d’approches dans un moment de crise est un phénomène consubstantiel à toute organisation humaine. Il vaut mieux en effet que ça ne se voit pas, ne serait-ce que pour rassurer la société mise à l’épreuve sur l’unité de commandement . Un pouvoir divisé est forcément un pouvoir anxiogène. À la question qui lui a été posée sur les tensions entre les deux têtes de l’exécutif, le Premier ministre a opposé une "punchline " manifestement préparée en amont. En affirmant que ce n’était pas la priorité des français, que cette tension était un artefact médiatique, et que de ce point de vue il se sentait très français, Édouard Philippe a balayé par la forme un problème de fond qui est celui du contraste de plus en plus apparent entre son propre agenda et celui du Président. Il y aura, à défaut d’un « monde d’après ", un après politique à cette crise . Tous les observateurs, mais des segments de l’opinion aussi, ont discerné la " distanciation communicante " entre les deux têtes de l’exécutif. Quelles en seront les conséquences sur l’architecture de la majorité ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais il est clair que le Chef du gouvernement est dans l’immédiat, c’est à dire dans une entreprise de sanctuarisation de sa position pour éviter la mise en cause de sa responsabilité dans la gestion erratique de la crise. Il lui faut réussir le déconfinement, pour remettre la société en état de marche, afin d’estomper les effets négatifs des controverses qui ont pollué la perception de l’action publique jusqu’à maintenant. Institutionnellement il est en première ligne. Cultivant la sobriété, le flegme, il se démarque nécessairement d’un Macron dont la dimension allergisante, clivante est plus forte. L’animal politique de Matignon se sait dans la maîtrise, il impose son rythme "prudentiel “au déconfinement, tatillon même. Il se constitue un capital politique par différenciation du Président. Il ne l’ignore pas. Le chef de l’Etat fait-il de son côté le pari d’une société qui encaissera mal la lenteur d’un retour à la normale de son existence quotidienne et profitera-t-il de l’impatience de l’opinion pour changer de braquet, le moment venu, c’est toute la question. Sur le fond les jeux endogènes à la majorité traduisent le doute existentiel qui s’est emparée de cette dernière. Cela peut être également interprété comme les signaux annonciateurs d’une fin de partie...

N'y-a-t-il pas une discrète retraite du gouvernement en laissant la main aux maires sur les questions des plages ou du transport ?

Arnaud Benedetti : Le Parlement sur la question des plages allait vraisemblablement voter des dispositions favorables à leur réouverture à l’initiative du local. Le gouvernement a préféré entériner, anticiper une mesure qui l’eut, si tel n’avait pas été le cas, mis en difficulté en lui infligeant un camouflet parlementaire. Ce n’était pas le moment de fragiliser l’exécutif. Concernant les transports, c’est plus complexe. Si l’objectif consiste à faire redémarrer, et c’est compréhensible, la vie économique, il convient de faire remonter en puissance l’offre de transports. Ici nécessité fait loi. Reste à savoir si la partition entre l’enjeu sanitaire et celui de la mobilité est déclinable, interopérable, si la gestion épineuse des flux permettra le respect des gestes-barrières et de la doxa de la distanciation sociale... Des images de transports bondés viendraient vite, ou de troubles à l’ordre public, dérégler le bel ordonnancement de ce "jardin à la française" du déconfinement que tente d’esquisser l’exécutif...

Ces mesures annoncées par le gouvernement peuvent-elles permettre une reprise rapide de l’économie française ? Renoncer aux charges sur les entreprises suffira-t-il à leur reprise ? 

Michel Ruimy : Jusqu’à présent, l’action économique du gouvernement (prise en charge des frais de personnel via le chômage partiel, aides aux TPE, crédits de trésorerie garantis par la BPI…) a visé la préservation des capacités de production. Mais cet ajournement des dépenses et l’accroissement des dettes reportent sur les trimestres suivants les problèmes aigus de trésorerie. Les risques de redressement judiciaire et de dépôts de bilan sont particulièrement importants, parmi les PME de service notamment, en dépit des mesures de soutien public. 

Les mesures d’ajournement voire d’effacement de la dette fiscale et sociale par l’État sont décisives pour atténuer le choc, mais elles ne sont pas nécessairement suffisantes au regard des conséquences d’un arrêt total de la production dans certains secteurs spécifiques et déjà fragilisées par la séquence des attentats, puis des mouvements sociaux.

Ces mesures suffiront-elles ? Difficile à dire pour le moment car tout dépend de la durée de la pandémie. 

L’ampleur de la crise économique à venir en France dépendra aussi largement de l’attitude des consommateurs. Si, à la fin du confinement, les ménages français rattrapent un certain nombre de dépenses, cela permettra de limiter les pertes liées à la mise à l’arrêt de l’économie durant huit semaines. En revanche, s’ils continuent à craindre l’avenir (précarisation de l’emploi, dévissage des bourses…) et qu’ils préfèrent épargner par précaution, la situation sera très difficile et il sera beaucoup plus compliqué de remonter la pente. D’où l’absolue nécessité de bien réussir la sortie du confinement.

Pour autant, afin de faire face à la situation, les gouvernements et banques centrales vont devoir également coordonner étroitement leurs actions. Les banques centrales devront se mobiliser bien au-delà des mesures mobilisées lors de la crise des subprimes. Dans la situation actuelle, il ne s’agit plus simplement de faciliter les crédits, il va falloir combler, dans une certaine mesure, les dépenses budgétaires engagées par les Etats.

Quels pans de l’économie française seraient le plus à même de repartir plus rapidement ?

Michel Ruimy : L’histoire des crises montre qu’il faut plus d’1 an au secteur industriel pour récupérer une perte de production, même dans un contexte de demande et de revenus très favorable comme en 1968. C’est pourquoi, il faut envisager une récupération graduelle et presque complète des niveaux d’activité prévalant avant-crise, à l’horizon fin 2021.

Les effets de rattrapage sont contrariés par la dynamique des revenus et des dettes. Le choc est largement centré sur les services, une partie des dépenses perdues n’est donc pas récupérable, hormis quelques effets isolés de « rush » à la sortie du confinement. Mais mêmes ces derniers sont peu probables, tant la période qui s’ouvre exige le maintien de la discipline de distanciation sociale. 

Le scénario de rebond est également contrarié par le caractère asynchrone des processus de résolution de crise dans les différentes régions du monde. Le choc du COVID 19 et les mesures de confinement prises sont d’une ampleur inédite pour une période de paix. Il comporte des effets amplificateurs importants via le commerce international. Un choc d’une telle brutalité interroge donc nécessairement sur la résilience des économies.
Pour ce qui concerne la France, on peut envisager le socle stabilisateur des secteurs qui s’adressent à des besoins structurels incompressibles (administration, santé, éducation, agriculture, industrie agroalimentaire…) ou ceux qui, dans le contexte actuel, bénéficient d’effets particuliers (pharmacie, télécommunications…). C’est près de la moitié de l’économie qui joue ce rôle d’assise et garantit une certaine résilience et stabilité à moyen terme de l’économie.

Edouard Philippe a anticipé un « appauvrissement général des Français ». Partagez-vous ce constat ?

Michel Ruimy : La crise sanitaire a montré que le modèle de développement actuel était vulnérable. Alors que beaucoup de responsables politiques raillaient encore récemment la « collapsologie » (pensée qui voit dans les catastrophes environnementales et sanitaires des signes annonciateurs de l’effondrement de notre civilisation industrielle), certains estiment désormais que ses défenseurs avaient de bonnes intuitions. Ce serait l’occasion de faire table rase. La crise sanitaire serait salvatrice. 

Ceci dépendra, entre autres, des politiques menées sur le long terme par le gouvernement. Une récession n’est pas simplement un ralentissement de la production. Elle est aussi une destruction du potentiel de production car si certaines entreprises produisent moins, d’autres, trop fragiles, disparaissent. Dans ces conditions, il est compliqué de faire repartir la croissance sur sa trajectoire initiale. 

En fait, outre la possibilité, pour lui, d’user d’un certain « principe de précaution » (Je vous l’avais bien dit mais vous ne m’avez pas écouté), Edouard Philippe nous informe qu’il nous faut absolument retourner au travail sinon la situation économique risque de devenir catastrophique. En ce sens, il a raison. Face au coup de frein économique, il n’a d’ailleurs pas fermé la porte notamment à d’éventuelles mesures d’allongement du temps de travail. 

Pour s’en sortir et retrouver une certaine prospérité, il nous faut faire preuve de solidarité, d’agilité et « penser collectif » face à cette situation inconnue. Serions-nous le seul pays où l’on a gravé, dans notre esprit collectif, que l’Etat doit tout savoir, tout prévoir et tout pouvoir ? L’« Etat-Providence » n’est-il devenu qu’une société du « dû » ? Serions-nous devenus le seul pays où l’on ne remercie pas pour les bienfaits mais où l’on considère que tout est dû ? Comment dans ces conditions, être unis ? Ce sera essentiel dans les mois à venir.

Pour retrouver l'analyse du Dr Guy-André Pelouze sur le plan de déconfinement du gouvernement et sur la stratégie de lutte contre le Covid-19, cliquez ICI

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