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Après les 30 glorieuses des boomers, les 10 malheureuses des Millennials
©Valery HACHE / AFP

Jeunes générations

Le sort des adolescents ou jeunes adultes est peu évoqué indépendamment de la question de leur scolarité ou de leurs études. Ce confinement se révèle pourtant d’une très grande violence pour toute cette génération.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Atlantico.fr : Quelles peuvent être les conséquences d’un confinement prolongé sur les jeunes ?

Virginie Martin : Les jeunes sont déterminés par l’îlot social et économique de leurs parents. Dans le monde pré-Covid-19, il y avait des modes de consommations de la jeunesse qui permettaient de gommer les inégalités et les disparités sociales. Tout le monde allait plus ou moins chez Zara ou au MacDonalds, tout le monde avait plus au moins un smartphone, tout le monde jouait plus ou moins aux jeux vidéos… Il y avait quelque chose qui masquait. Là tout d’un coup, on se retrouve ancré, fossilisé sur le socle parental. On sait tout d’un coup, d’où l’on vient : économiquement et culturellement. C’est une chose très difficile à encaisser. Il y a une jeunesse qui n‘est plus formée de manière hétérogène par l’Education nationale, qui même si c’est imparfait, tente de lisser les inégalités à l’école. Mais tout d’un coup pendant deux, trois, cinq mois, on est réduit à la portion culturelle de la famille dans laquelle on est. Est-ce qu’il y a des livres ? Est-ce que l’éducation à la maison est possible ? Est-ce que les parents sont en capacité d’aider ? C’est excessivement violent, qui plus est pendant une période de formation. Ce qui n’est pas rien. Sans parler évidemment des éventuelles violences qui engendrent des moments réellement très durs. 

Le confinement va accroitre les inégalités, ou plutôt, il va les révéler. Surtout si l’on a de nouveau des périodes de confinement. Le socle familial devient l’alpha et l’oméga de la vie du jeune pendant ce temps. Le champ des possibles se rétrécit énormément et subitement, et les processus de socialisation sont limités à la sphère du privé ou quasiment. La socialisation secondaire que sont l’école et les amis sont à l’arrêt, sauf par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Les réseaux sociaux sont une altérité qui reste dans votre groupe primaire, ils ne permettent pas la socialisation ouverte : stages, visites scolaires… Pour des jeunes âges c’est encore plus difficile. À l’âge adulte, les humains fonctionnent presque exclusivement sur le mode du socle fermé, mais la jeunesse se nourrit des ouvertures. L’enfant est en passe de devenir un être social, et le jeune va jouer à devenir cet être social. Avec le confinement, cette transformation se dérobe. Il y a plein de rites et de passages de la jeunesse à l’âge adulte qui sont confisqués. Le passage du Bac est par exemple quelque chose de très important dans le passage à l’âge adulte. Tout le monde se souvient où il était, quel résultat il a obtenu… Tout cela est beaucoup plus grave que l’on ne le dit. Il va, bien sûr, y avoir une certaine résilience, une habitude qui va être prise. Mais il y aura, à terme, une appréhension du monde qui sera différente, sûrement de manière plus durable que l’on ne le croit. 

Ces enfants sont bien sûr nés après 1989 et la chute du mur de Berlin. Ils vivent donc dans un monde 100% libre, mondialisé, « ryanairisé », connecté, sans mur… et tout d’un coup ils se trouvent face à un mur, et pas n’importe lequel, celui de chez leurs parents ! C’est très violent. Pour les plus privilégiés d’entre eux on leur a expliqué que le monde était à leurs pieds, avec une année d’étude à l’étranger par exemple. Pour les autres, c’est quand même la possibilité d’aller travailler deux mois dans un restaurant à Bruxelles ou que sais-je… tout était possible ! Partir une semaine en Tunisie pour 300 euros… Ces voyages qui sont aussi des rites de passages sont aussi interdits. Combien d’enfants dans des milieux plus ou moins privilégiés qui partent plusieurs mois en Amérique du Sud pour travailler dans des bars ou dans des familles, tout cela existe, mais n’est plus possible aujourd’hui. Comment se projeter dans un monde qui se ferme ? 

Pour l’emploi, la peur qui était déjà présente pour les jeunes aux formations les plus précaires est renforcée. Les perspectives d’avenir, déjà très faibles, ont été drastiquement diminuées par le confinement. Quels vont-être les besoins d’après ? L’évènementiel par exemple ne va pas être une priorité dans les prochains mois/années… Il va y avoir une redistribution des cartes de manière très angoissante pour ces enfants qui ne peuvent pas passer le bac, qui sont en manque de formation, et qui ne peuvent pas se projeter dans le monde professionnel. Pour les études supérieures le même problème se pose. 

Une autre question doit également être soulevée : que disent les « boomers »? Ces enfants d’après guerre, qui ont bénéficié des Trente Glorieuses, qui n’ont pas connu le chômage, qui ont bousillé la planète et se sont enrichis à ses dépens ? Ils ne disent rien sinon qu’ils regardent la moyenne d’âge des morts du coronavirus et expriment la volonté d’être préservés. Je ne dis pas qu’ils devraient s’exposer inconsciemment, mais n’ont-ils pas un message à délivrer à cette jeunesse ? N’ont-ils pas une responsabilité ? 

Comment le confinement du Covid-19 va-t-il impacter cette jeunesse en mal de repères politiques ? 

La jeunesse va avoir encore plus de mal à se repérer dans le monde politique. Leurs jeunes parents qui ont 35-40 ans sont déjà très dépolitisés, leur socialisation politique ne se fait pas de manière très forte. L’engagement politique a baissé depuis de nombreuses années avec la désyndicalisation ou la baisse des adhésions aux partis politiques qui s’est quasiment réduite à 1 ou 2 % de la population. 

Il est difficile pour cette jeunesse de savoir où est la droite, où est la gauche et elle se demande à quoi sert l’État. Lorsqu’elle se renseigne en regardant les grandes chaînes d’infos, il n’y a aujourd’hui que de la propagande gouvernementale. Il y a une absence de diversité de point de vue. Ces enfants vont être élevés au discours d’État officiel. Cela va être compliqué pour eux de trouver une pluralité médiatique. Pour qu’ils le fassent, il faudrait qu’ils soient engagés et que naisse chez eux une envie de trouver de nouvelles sources d’informations. 

Comment les jeunes comprennent et analysent la situation actuelle ? 

En terme de repères, nous n’avons rien connu d’équivalent. Les seuls référents existants sont culturels comme 1984, Brasil ou Black Mirror. Ces références qui sont culturelles sont pour la jeunesse une réalité. Elle n’est même pas passée par le rite de la lecture pour les amener à se dire que cela était possible. Ils sont passés de Black Mirror sur Netflix à leur réalité. Nous vivons dans un savant mélange de Contagion et de 1984. 

La jeunesse apprend que l’on peut être verbalisé si l’on va dans la forêt ou que des drones définissent son périmètre. L’autoritarisme s’applique aujourd’hui uniformément sur le territoire alors que les cas sont différents. Ce n’est pas une bonne autorité et comme celle des parents il faut qu’elle soit juste. Ils sont réduits aux murs de leur famille et de surcroît, ils ont un État qui n’a pas une autorité juste. C’est perturbant pour le jeune adulte. 

Il n’y a rien eu de comparable par le passé pour établir un parallèle. Leurs ainés ont connu les années Sida, tout d’un coup lorsque vous aviez 20/25 ans vous aviez le monde à vos pieds et le Sida fermait la porte. Le virus pose un problème d’altérité, on ne peut plus être dans l’intimité. Cela a fermé le champ des possibles. Les boomers avaient connu la libération sexuelle et le coup d’arrêt. Mais aujourd’hui, cela va plus loin, il ne suffit même plus de coucher avec quelqu’un pour attraper le mal, il suffit de s’approcher un peu trop près. Dans les processus de construction, l’altérité est un ennemi. L’autre est devenu un problème.

La jeunesse a-t-elle besoin de nouvelles idéologies pour croire à la politique ? 

Nos gouvernants ont annoncé que c’est la fin des idéologies alors que c’est la fin du commun et non celle des idéologies. Elles sont toujours là et on en a toujours besoin car sinon on ne sait pas où l’on va. C’est ça la réponse que l’on donne à la jeunesse aujourd’hui : individualise-toi ! Sois un super individu. Fais preuve « d’empowerment », reprends le pouvoir et remets le au centre.

On va vers une grande indifférence de la politique. On pourrait penser que la jeunesse est nihiliste mais pas du tout car il y a au moins une posture dans le nihilisme, c’est le fruit de quelque chose. Ici, c’est l’ère du vide politique car ce président a voulu vider le politique. L’État n’est pas une entreprise, les citoyens ne sont pas des consommateurs et des actifs toute leur vie. Si c’était le cas, que ferait-on des enfants qui ne servent à rien ?

Est-il possible de ramener la jeunesse à la politique ? 

La politique consiste à aller chercher le plus grand nombre pour le mettre à l’intérieur. Il faut ramener la jeunesse des banlieues en prenant ce qu’elle peut apporter. La politique est un art majeur de notre société mais si elle ne va nulle part idéologiquement elle n’a rien à nous dire. Le monde politique fait de la communication à notre époque mais on ne voit pas un enfant de la télé gérer un monde du spectacle. Ce vide est pourtant frappé de l’économie et cette jeunesse s’intéresse à ce qui marche et non ce qui ne marche pas.

Le discours politique de Macron consiste à dire qu’il n’y a plus de valeur politique, ni de gauche, ni de droite. On voit bien à quel point le management ne sert à rien. La notion d’État a été beaucoup niée car Macron ne croit pas aux idéologies mais à une sorte de « New Public Management », une chose hybride entre le privé et le public. Où est l’État aujourd’hui ? Le politique de manière collective ne répond pas au mal ou il est impréparé. 

Lors des débats « post-confinement », les replis vont se faire vers l’îlot familial qui a constitué une valeur refuge. Quel est son pendant politique ? C’est l’État-Nation beaucoup plus fermé, plus fort, replié sur lui même, qui ferme ses frontières. Au prétexte de la sécurité, la réponse ne sera-t-elle pas le grand repli ? Il peut y avoir un repli nationaliste mais espérons qu’une ouverture plus forte vers les valeurs écologiques est possible.

La génération 1995-2005 a une unité de destinée collective, ce n’est pas les « trente glorieuses » c’est les « dix malheureuses ». 

La politique est un art majeur, c’est du commun. Relier tout le monde, aller chercher le plus grand nombre et le mettre à l’intérieur, aller jusqu’aux marges de la jeunesse, des banlieues etc… Il faut les ramener non pas en les faisant taire, mais en prenant ce qu’ils ont à apporter. À force d’avoir vidé l’État de sa mission politique, la société et sa jeunesse ne savent plus où ils vont. 

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