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Amazon, Fnac - Darty... La crise révèle les incohérences françaises face aux défis du e- commerce
©ERIC PIERMONT / AFP

Atlantico Business

Pendant que les tribunaux français bloquent Amazon, l’administration pose des perfusions d’argent public sur Fnac-Darty pour sauver les magasins alors qu’on devrait les aider à accélérer la transformation digitale.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Quand on voit Amazon bloqué par les tribunaux sur injonction de quelques syndicats ultraconservateurs, et en même temps Bercy garantir 500 millions de prêts à Fnac-Darty pour sauver ses magasins, on a du mal à discerner quel est le sens de la modernité défendue par l’administration française aux frais du contribuable.

Le Covid-19 va réussir à étouffer l’activité de production, mais visiblement ne va faire aucun mal à l’administration qui se complaît à caresser ses vieux démons dans des nœuds de contradiction. Dans le seul secteur de la grande distribution, le pouvoir de régulation est capable de tout et de n’importe quoi.

En pleine crise liée au confinement et alors que nous aurions besoin d’inventer des nouveaux modes de distribution grâce au miracle des technologies numériques, on ne fait rien pour faciliter le E-commerce.

En très peu de temps, la France s’est mise en situation assez ubuesque dans deux affaires qui coûtent cher au contribuable comme d’habitude.

La première affaire concerne Amazon, le champion mondial du E-commerce.

Quand Amazon se retrouve contraint de fermer ses entrepôts sur plainte des syndicats qui considèrent que les salariés ne sont pas assez protégés, on croit rêver. Il ne s’agit pas de défendre Amazon pour le plaisir de polémiquer, il s’agit de regarder les faits.  

1er point, Amazon était déjà plébiscité par les consommateurs avant le confinement. Depuis que nous sommes assignés à résidence, Amazon est le lieu privilégié pour faire du shopping. The place to be puisque les galeries marchandes et les grands magasins sont fermés.

2e point, les syndicats ont considéré que les salariés d’Amazon n’étaient pas assez protégés contre le virus. Les tribunaux ont demandé à Amazon de se mettre aux normes, et surtout de limiter leur commerce aux produits de première nécessité.. Or, il faut ne jamais avoir été au sein d’une plateforme ou d’un entrepôt d’Amazon ce que beaucoup de préfets ont fait dans les 3 régions où Amazon s’est installé pour s’apercevoir que les conditions de travail sont autrement meilleures que dans beaucoup de supermarchés (qui n’ont eu des masques que très récemment par exemple). Mais le comble, c’est qu’un tribunal puisse décider pour le consommateur ce qu’on peut acheter ou pas. Ce qui est de première nécessité ou pas. Des produits alimentaires ou d’entretien, c’est nécessaire, mais des maillots de bain pour profiter du soleil sur son balcon, non, des produits de beauté ou des outils de bricolage non plus, encore moins des préservatifs ou des DVD qui peuvent pourtant calmer beaucoup de violences familiales dans une espace de confinement réduit et éviter un drame. Quoi dire et quoi faire quand on sait qu’Amazon a été la première entreprise en France à vendre des masques et du gel qui faisaient cruellement défaut partout ailleurs dans l’hexagone?

3e point. Menacée d’une amende de 1 million d’euros par jour et par infraction en cas de non respect de cette décision judiciaire, Amazon a donc préféré fermer ses entrepôts, faire appel de la décision qui sera connue vendredi et mettre au chômage partiel les salariés. Ce qui, pour les syndicats, était peut-être le véritable but de l’opération.

En attendant, l’administration française a créé une situation surréaliste : Amazon réussit à continuer de travailler et servir les clients français à partir des plateformes étrangères (les délais de livraison sont peu rallongés) et pourrait se retrouver indemnisé pour avoir mis au chômage ses salariés.

La deuxième exemple dimbroglio à la française concerne Fnac-Darty.

FNAC-Darty, c’est un peu notre Amazon à nous. On le retrouve dans le tiercé gagnant des grands sites de E-commerce. On pouvait croire qu’une entreprise comme celle-ci s’en sortirait très bien dans un contexte où les Français sont bloqués chez eux et ne peuvent faire du shopping qu’en ligne.

Pourtant, la réalité est tout autre. Fnac-Darty n’a aucunement profité de cette évolution digitale à marche forcée par le coronavirus. Plus grave, Fnac- Darty s’est retrouvée en risque de trésorerie. Obligée de demander l’aide de l’Etat comme une petite mercerie de quartier. Fnac-Darty est donc la première des très grandes entreprises, celles qui sont cotées en bourse et multinationales, à demander un prêt bancaire garanti par l’État, le fameux PGE, pour assurer sa trésorerie et préparer à la reprise de la distribution physique.

 Un prêt de 500 millions d’euros lui a donc été accordé par un pool de banques françaises. 70% de ce prêt est garanti par l’État en cas de défaut de Fnac et les conditions sont plutôt favorables (possibilité d’allonger l’échéance).

Les fameux PGE, prêts garantis par l’État, s’inscrivent dans le paquet de mesures prises par le gouvernement, mais qu’on imaginait plutôt destiné à des secteurs comme l’automobile ou l’aérien, très gourmand en capital et totalement à l’arrêt aujourd’hui. Pour l’instant, toutes ces entreprises sont restées en retrait du processus.

Alors, de voir une entreprise qui aurait dû normalement prendre le virage du digital demander l’aide de l’Etat dans une période où l’on n’a jamais eu autant besoin du digital, est assez déroutant mais peut s’expliquer par des raisons, à la fois internes et externes à l’entreprise.

1ère explication : A la différence dAmazon, Fnac-Darty n’est pas née dans le numérique, mais se l’est approprié au fur et à mesure que celui-ci s’est imposé. L’entreprise a dû apprendre les codes et les pratiques (site internet clair et complet, retour simplifié et gratuit etc…). Le rachat de Darty par la FNAC en 2016 a permis de réaliser des synergies et de créer des passerelles entre les deux entreprises, qui figurent toutes deux parmi le top 10 des sites de e-commerce visités en France, la Fnac complétant même le podium. Alexandre Bompard, qui est resté 6 ans à la tête de la FNAC, a géré avec brio à la fois le redressement de l’enseigne, qui périclitait dans les années 2010 face à l’avènement d’Amazon, et le rachat de Darty. Le groupe surfe même sur la vague écolo en signant l’acquisition en 2019 de Nature & Découvertes.

Mais évidemment, les enseignes ont gardé un modèle économique hérité de l’ancien temps, avec des frais fixes importants et des magasins nombreux partout en France qui sont certes devenus des show-room, mais des show-room très chers à faire fonctionner. D’autant que l’emprise physique très forte et les mesures sanitaires contre le Covid-19 ont conduit à la fermeture de tous les sites, la hausse de la vente en ligne n’a pas permis de compenser les pertes de chiffres d’affaires en magasins. Aussi, 80% des salariés de l’entreprises sont aujourd’hui pris en charge par le chômage, donc par l’État.

2ème explication : Ce besoin de liquidités est dû à un choix de gouvernance passée, alors que l’entreprise est déjà endettée. L’agence de notation Standard & Poor a d’ailleurs dégradé la note de crédit de l’entreprise, à BB, note qui stipule que l’entreprise est solvable, mais dépendante des conditions économiques et avec une grande incertitude quant à la capacité à se désendetter.

« Dans cet environnement de stagnation, il se trouve qu’en 2018, le groupe a décidé un programme de rachat de ses propres actions, c’est une manière de rendre de l’argent aux actionnaires» note Guy de la Fortelle, analyste, dans sa note aux investisseurs. De l’argent utilisé ni pour investir, ni pour se désendetter. C’est un choix de gouvernance difficile à justifier aujourd’hui et qu’il lui sera d’ailleurs impossible de réitérer en 2020 puisqu’il a été exigé par Bercy que les entreprises bénéficiant de ce genre de prêts ne distribuent pas de dividende ou ne mettent pas en place des rachats d’actions.

3ème explication : l’écosystème actuel n’est pas forcément favorable à la vente en ligne si on n’est pas né dans un berceau numérique. A première vue, on s’imagine que les clients qui auraient dû faire leurs achats en magasins décident de commander en ligne pendant la période de confinement. Le problème est que ni la logistique, ni le transport ne sont capables de suivre.  La Poste s’est mise au ralenti, certains transporteurs privés qui utilisent les petits commerces à l’arrêt (Mondial Relay par exemple) sont devenus inopérants. Les transports et l’acheminement sont donc fortement perturbés, ce qui impacte les commandes de l’entreprise.

On pouvait s’attendre à ce que l’Etat fasse l’effort d’inciter le groupe à évoluer, à abandonner ses vieux habits pour revêtir les costumes digitaux. Pris dans l’urgence, l’argent de l’Etat risque de ne servir qu’à protéger les structures d’antan et les modèles qui viennent de bugger sérieusement.

Écosystème français qui n’est pas plus favorable à Amazon. Le géant mondial en la matière a rencontré aussi des problèmes sur le territoire français, mais il, a su utiliser sa propre logistique et ses propres réseaux de transport.

La plus grosse difficulté qu’a rencontrée Amazon, c’est évidemment au tribunal de Nanterre après assignation des syndicats. On a du mal à penser qu’Amazon doive ses déconvenues au seul hasard du calendrier judiciaire.

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