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Sauver l’économie ou sauver les hommes ? Petits éléments de calculs sur la valeur d’une vie en France
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Dilemme

Selon Olivier Veran, le confinement "sauve une vie toute les 8 minutes". En se basant sur l’estimation de l’INSEE (un mois de confinement fait baisser le PIB annuel de 3 points) cela "facturerait" le prix de chaque vie sauvée, à 10 millions d’euros.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Olivier Veran, qui selon mes sources serait ministre de la santé en France, a dit il y a quelques jours que le confinement « sauve une vie toute les 8 minutes » ; ce qui me permet d’affiner un peu mes analyses : en nous basant sur l’estimation assez communément acceptée de l’INSEE (un mois de confinement fait baisser notre PIB annuel de 3 points, puisque l’économie ne tourne plus qu’à 65%), cela facturerait le prix de chaque vie sauvée à 10 millions d’euros, soit plus de 3 fois la « facture ordinaire » d’un Français (je vous avais parlé du bon rapport Quinet, et de la pratique de nos décideurs pour les infrastructures publiques), une facture en dessous du seuil de 15 millions environ où cette valorisation deviendrait probablement « contreproductive » au sens des travaux que nous avions cités de Kip Viscusi, qui font autorité. Pour résumer : si Veran dit vrai (c’est un grand « si » : il est macroniste), nous sommes encore à peu près dans les clous, la vie sauvée est facturée chère mais pas à un point où elle en supprimerait d’autres. Néanmoins, dans un mois, il deviendra assez urgent de déconfiner, sur cette base de calcul coût-bénéfice : car une vie ne sera plus sauvée que toutes les 20 ou 30 minutes environ cependant que le coût humain du chômage deviendra exponentiel (NB : la crise de 2008/2009 a pu générer un surcroît de mortalité de 5 000 personnes soit une perte 15 milliards d’euros). Comme tous ces chiffres sont des proxys d’approximations arrondies, concluons avec Raymond Devos : « comment identifier un doute avec certitude ?? ».

Paul Romer, un des économistes contemporains parmi les plus réputés, a dit qu’au lieu de balancer 2000 milliards de dollars dans un méga-plan de relance il aurait mieux valu investir 100 milliards sur la médecine pour accélérer les tests ; façon de dire, dans notre perspective : on peut sauver des vies à moindre coût, avec un peu de sens des priorités et des ordres de grandeur, et avec des solutions low cost ; ainsi Taiwan, qui est pourtant plus près de la Chine, compte 300 fois moins de morts que la Belgique grâce à son savoir faire épidémiologique ; et les médicaments, même imparfaits, sont sans doute plus « économiques » que la recherche de vaccins (ceci dit, rétrospectivement, l’abandon des recherches vaccinales sur le SRAS il y a 15 ans n’a peut-être pas été très judicieuse). Romer n’a pas été très écouté dans son pays, où la réponse depuis des semaines est bien plus keynésienne que sanitaire. On n’écoute déjà pas les bons économistes aux USA, alors pensez en France. 

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Il devient assez évident, à la lumière de quelques courbes, que pour sauver des vies il faut non seulement un bon système épidémiologique, sanitaire et médical, mais aussi un bon écosystème de la pensée critique, et une structure de décision pas trop concentrée, pas trop consanguine. La France est un pays qui passe son temps à singer un pays fédéral tout en étant géré par 15 énarques autour de l’Elysée ; au lieu de copier les traits les plus puants de l’Allemagne (cogestion, opacité bancaire, banque centrale autiste, écologie hypocrite, pacifisme crétin), nous ferions mieux de lui emprunter enfin ce qui fait parfois son succès, en particulier dans ce type de crise aigue : le capitalisme familial et surtout les contrepouvoirs, en particulier des médias qui ne sont pas détenus par 5 groupes ultra-dépendants des commandes publiques.

Tout ce qui se passe en Occident ces derniers temps ressemble à un grand galop d’essai pour le revenu universel, une autre façon de raisonner sur le prix de la vie. Je sais qu’il est de bon ton de s’en moquer. On juge cette voie socialiste (alors que c’est une invention de Milton Friedman). On dit que c’est un fantasme technophile d’Elon Musk (qui, parti de rien, révolutionne les transports et l’énergie, et fait voler des fusées réutilisable : autrement dit, un rigolo qui a beaucoup à apprendre de nos élites). On dit que c’est la porte ouverte à un gargantuesque aléa moral (qui bien entendu n’existe pas dans le labyrinthe du système social actuel, et qui est dénoncé par des banquiers qui ne profitent jamais du revenu universel instauré pour eux par la BCE). Pourtant, on fait déjà massivement des chèques, pour demander aux gens confinés de rester sur leurs canapés à regarder Netflix, et cependant les deux tiers de l’économie continuent, selon l’INSEE : la preuve qu’un certain nombre de salariés sont déjà franchement peu utiles (ce que savent déjà tous les gens qui ont une expérience concrète de l’entreprise), et qu’à la prochaine avancée technologique (5G, robots, AI, un peu de tout ça mêlé) il faudra bien trouver un système pour que toute la société ne saute pas. Il est vrai que nous ne sommes pas engagés à solutionner les crises de demain, que nous sommes dans une période de l’urgence, que l’outil de 1er rang me semble être plutôt une cible de PIB nominal pour la banque centrale, et que le revenu universel fait l’objet de divers projets gauchistes qui ternissent son attrait ; mais il va falloir y réfléchir, au lieu de critiquer bêtement. « Le pouvoir n'a qu’un seul devoir : de garantir la protection sociale du peuple », disait Benjamin Disraeli, qui a rarement été accusé de socialisme.  

Et maintenant, ils parlent tous de monnaie hélicoptère, et d’annulation des dettes, pour que nous ne passions pas notre vie à devoir la rembourser !! Même les élites européennes sclérosées et à demi-lettrées qui depuis des années disaient pis que pendre de toutes ces choses ! Cette crise transforme un certain nombre d’athées profonds qui, sur leur lit de mort, acceptent enfin le Seigneur. Toutefois, dans leur enthousiasme de nouveaux convertis, ils s’emmêlent un peu les pinceaux. C’est ainsi qu’ils s’extasient sur les initiatives massives de la FED, alors qu’il y a là le meilleur (QE, lignes de swaps) et le pire (des véhicules spéciaux dirigés de facto par le Trésor pour faire du crédit à grande échelle et de préférence en direction de gens proches du pouvoir). A court terme, peu importe, il fallait agir en urgence face aux pressions déflationnistes ; mais si la crise se tasse, et si Trump repasse, et comme il est du genre à ne pas démanteler ses nouveaux pouvoirs… attention. Et c’est une colombe de la politique monétaire qui vous le dit.   

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Autre exemple. Il est beaucoup question d’annuler les dettes. Le pape en parle, après tout c’est dans la Bible et dans la doctrine sociale de l’Eglise depuis bien longtemps. Même Macron, ce drôle de paroissien, en parle. Mais, dans les deux cas, pour l’Afrique, pas pour nous !! Pourquoi ? 76 pays africains ont un service annuel de la dette souveraine de 32 milliards d’euros (contre 42 milliards pour la France), ce n’est pas un gros effort à faire : au rythme actuel d’activité de la FED, c’est moins de 2 jours de travail (entre début mars et fin avril, elle accroit son bilan de 1500 milliards de dollars). Très bien, mais pourquoi les seuls africains ? Croyez-vous que le gros de la dette italienne (bientôt 150% du PIB italien) est légitime (un gros paquet est un boulet trainé depuis la période clientéliste des années 70 et 80, un autre vient des crises de 2008 et 2011 qui sont le fruit de la BCE, et enfin la crise du coronavirus) ? Ou soutenable, même avec des taux en dessous de 2% ? Puisque 27% des dettes souveraines de la zone euro sont déjà logés dans le bilan de la BCE, qu’ils y restent, facturés à 0%, et à des fins d’annulation, et le plus vite et le plus explicite sera le mieux. Cela ne coûte rien à personne (ces dettes ont déjà été achetées), et cela évitera une nouvelle décennie perdue à notre continent, pour un risque d’aléa moral assez faible (un pays comme la France secrète des déficits comme les glandes secrètent des hormones, en se foutant bien des taux d’intérêt appliqués par la BCE ou par les marchés). Bref, où est-il écrit que les jubilés des dettes ne doivent concerner que des pays dictatoriaux d’Afrique et pas des républiques bananières comme la nôtre ?     

En 2019, la peste porcine en Chine avait conduit à l’abattage rapide et sans pitié de 300 millions de bêtes. Un entrainement, diront les mauvaises langues. Je remarque qu’on en avait assez peu parlé en Occident, en dépit de l’activisme pro-animaux qui a le vent en poupe, sauf pour noter que cela avait provoqué là-bas une inflation statistique (en fait, une déformation des prix relatifs, au pire une petite inflation passagère). Je ne sais toujours pas combien vaut exactement la vie d’un chinois, ou d’un américain, ou d’un français, mais dans cette crise de coronavirus elle vaut manifestement plusieurs milliers de fois celle d’un porc. Ce qui est au final une promotion par rapport à certaines périodes de l’histoire de ces pays, et plutôt rassurant sur la fonction de réaction de nos dirigeants (même s’ils nous prennent pour des imbéciles), non ?

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