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Macron et la religion, de l’irénisme à l’inquiétude : religion islamique et séparatisme
©Jean-Francois Badias / POOL / AFP

Analyse

Deux discours à près de deux années d’intervalle permettent d’y voir aujourd’hui plus clair dans la vision que le président Macron a de la et des religions. Yves Michaud les a analysés en détail et montre quelle évolution a connu la pensée du président de la République sur le sujet. Partie 2.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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A lire aussi, la partie 1 de cette analyse : Macron et la religion, de l’irénisme à l’inquiétude : la religion comme supplément d’âme

Deux ans plus tard, traitant de l’Islam dans un quartier difficile de Mulhouse le 18 février 2020, Le président Macron semble avoir pris une vue un peu plus réaliste et, dieu merci - c’est le cas de le dire – l’humanisme a disparu de l’étagère.

D’abord il est plus précis sur la laïcité. Celle-ci consiste toujours à défendre la liberté d’avoir ou de ne pas avoir de religion mais il y ajoute « le devoir absolu de respecter les lois de la République », qu’il explicite malheureusement en resservant la sempiternelle neutralité des services publics et la séparation de l’Église (il devrait dire « les églises ») et de l’État.

Second point positif : la substitution à la dénonciation des risques communautaristes de la dénonciation du séparatisme religieux.

Le communautarisme reçoit en France tantôt une interprétation lâche (chacun d’entre nous appartient à des « communautés » dont la plupart ne sont pas anti-républicaines – être marseillais ou chti par exemple), tantôt une interprétation stricte faisant primer l’appartenance communautaire sur l’appartenance civique. Les pro comme les contre ne se privent pas de jouer de la confusion. Il me semble donc bienvenu de qualifier de « séparatisme » la version anti-républicaine du communautarisme et de prendre conscience que seuls des fidèles de l’Islam (et pas peu nombreux) refusent la République quand ils refusent de reconnaître le droit à l’apostasie, refusent la primauté absolue de la loi républicaine sur la loi religieuse et refusent la liberté de pensée et d’expression. Bien que Macron dise à de nombreuses reprises qu’il ne veut stigmatiser personne, il reconnaît pour la première fois que beaucoup de musulmans refusent la République (tout en en empochant les bénéfices) en visant clairement l’Islam politique et son action « séparatiste » dans des domaines qu’il énumère ; l’éducation (déscolarisation religieuse), le sport (apartheid hommes-femmes), les prestations médicales, le mariage (certificats de virginité), les activités associatives. C’est enfin dit en toutes lettres : « Dans la République on ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République ».

A partir de là Macron propose quatre fronts de lutte contre ce séparatisme islamique.

Le premier est la reprise du contrôle sur les interventions religieuses étrangères (professeurs étrangers accueillis sans contrôle dans les écoles françaises, imams dits consulaires, financements sunnites wahhabites).

Le second, une nouvelle organisation du culte musulman en France.

Le troisième, la lutte contre les dérives séparatistes.

Le quatrième, le retour de la République dans les quartiers où elle n’est plus présente.

On peut laisser de côté ce quatrième point, invoqué depuis Mathusalem pour expliquer une progression du séparatisme dont nous serions les premiers responsables. Macron n’y insiste d’ailleurs pas trop. Il faut en effet une belle dose de malhonnêteté pour battre cette coulpe : quand un commando de la pègre et du fondamentalisme brûle à la Cité des 4000 à la Courneuve la médiathèque John Lennon, ce n’est pas la médiathèque qui ferme avant déménagement!

A propos du troisième front, Macron énumère avec force données quantitatives les efforts faits pour restaurer l’autorité républicaine contre les dérives de l’islamisme radical : fermetures de mosquées, contrôles d’établissement d’enseignement, lutte contre l’économie souterraine, contre l’éducation à domicile. L’intérêt de ces développements, c’est hélas de faire mesurer à quel point la situation est devenue gravissime et combien aussi ces « contrôles » peuvent être difficiles et peu efficaces – comme remplir le tonneau des Danaïdes.

La partie la plus détaillée du discours de Macron contre le séparatisme islamique concerne la reprise en main des secteurs sous l’influence du prosélytisme musulman étranger (envoi de professeurs, d’imams et financements) et la structuration d’un Islam de France sous l’égide du CFCM (Conseil français du culte musulman) – les fronts 1 et 2.

C’est la partie du discours qui a été la plus détaillée dans la presse et je ne reviens pas sur le détail des mesures envisagées pour reprendre le contrôle sur les enseignements de langue arabe et les prêches dans les mosquées et durant le ramadan, sur la validation par le CFCM des imams.

Toutes ces mesures sont bien intentionnées.

Il faut cependant s’interroger sur leur portée et leur efficacité.

Pour commencer, il y a des raisons de s’inquiéter de leur caractère « progressif » si souvent répété par Macron dans son discours. Il est vrai qu’il y a des accords diplomatiques à revoir, des lois à préciser, des organisations à mettre en place et mobiliser et que tout cela prend du temps, mais la progressivité est contraire à l’exemplarité et, dans un pays aussi bureaucratique que le nôtre, un gage quasiment assuré d’enlisement.

L’ordre républicain aurait plutôt besoin de réaffirmations exemplaires, visibles et même, pourquoi pas, brutales. En 1902, l’application par le petit père Combes de la loi de 1901 sur les associations entraîna les fermetures massives de collèges puis l’expulsion par la force de très nombreux religieux. La crise fut violente et longue mais au moins tout le monde avait compris. Un coup d’arrêt similaire à l’Islam politique serait bien préférable à des mesures indéfiniment annoncées et différées. Quand on veut couper la queue à son chien, il vaut mieux le faire en une fois.

Il y a aussi un paradoxe patent à vouloir organiser dans un pays « laïc » le culte d’une religion sans organisation comme l’Islam. Et d’ailleurs, organiser quoi et avec qui ? On parle d’organisation du CFCM depuis quand ? Depuis Joxe en 1990 et Chevènement en 1997 ! Et rien n’a avancé – surtout pas sur la question cruciale du droit inconditionnel à l’apostasie. Négocier indéfiniment avec des gens dont la stratégie est de négocier pour ne pas bouger est vain. Négocier avec des gens qui jouent double jeu n’a aucun sens. La manière dont Abdallah Zekri, délégué général du dit CFCM, a condamné les menaces de mort contre Mila tout en estimant qu’elle devait «assume(r) les conséquences de ce qu’elle a dit» devrait avoir fait réfléchir Macron. Citons cet honorable père de famille fondamentaliste : «Si, je le dis ! Elle l’a cherché, elle assume. Qui sème le vent récolte la tempête.» N’avons-nous pas déjà entendu ce refrain hypocrite et patelin après la publication des caricatures du prophète par Charlie Hebdo en 2007 ? Avant d’en voir les conséquences le 7 janvier 2015 !

Enfin il est douteux que la loi seule puisse venir à bout de dérives qui utilisent subtilement les ressources de l’État de droit pour arriver à leurs fins. Que l’on songe à la manière dont un prétendu Comité contre l’islamophobie en France (CCIF), dont le président sera bientôt maire de Garges les Gonesse, accrédite peu à peu à coups de procédures abusives jamais sanctionnées par des magistrats veules l’idée qu’un tel délit existe ? Serait-on pour autant réduit à l’impuissance ? Probablement pas. La réponse n’est pas dans la complication de la loi mais dans son application violente – je souligne, oui, violente et résolue – pour que la sanction soit exemplaire. Monsieur Zekri aurait dû être poursuivi illico pour justification d’appel au meurtre et le CCIF devrait depuis belle lurette être dissout – on a poursuivi Dieudonné pour moins que ça et dissout des associations d’allumés frontistes pour encore moins.

Bref, en matière de religion, le président Macron semble avoir appris en deux ans que toute religion n’est pas un sympathique supplément d’âme et de questionnement. Voilà donc un bon point.

Il lui reste à savoir être décidé et résolu autrement qu’en paroles : au lieu de nous servir des platitudes de Ricoeur, qu’il lise John Locke dans sa Lettre sur la tolérance : pas de tolérance pour les ennemis de la tolérance.

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