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L’Europe tente de dépasser le chacun pour soi initial
©FRANCOIS LENOIR / POOL / AFP

Eurogroup

Les ministres des Finances de la zone euro vont échanger, ce mardi, sur la question des mécanismes permettant d'aider les pays les plus durement touchés par la pandémie. La réunion de l’Eurogroup doit permettre d'élaborer des solutions communes de relance de l’économie européenne.

Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Atlantico.fr : Alors qu’une réunion de l’Eurogroup doit se tenir ce mardi dans un moment où les failles de l’UE ont été mises en pleine lumière par la crise du Coronavirus, à quoi peut-on s’attendre concrètement ?

Guillaume Klossa : Dans leur déclaration commune du 26 mars, les dirigeants européens ont affirmé qu’ils étaient « pleinement conscients de la gravité des conséquences socioéconomiques qu'entraîne la crise du COVID-19 » et qu’ils feraient « tout ce qui est nécessaire pour relever ce défi dans un esprit de solidarité ». C’est une déclaration politique très forte qui doit se traduire concrètement dans la réalité, sinon la crédibilité de l’Union sera remise en cause auprès des citoyens mais aussi des marchés avec pour conséquence une défiance qui risque d’accentuer les conséquences néfastes de la crise économique et sociale qui s’annonce.

Les chefs d’Etat et de gouvernement ont donc missionné l’Eurogroup pour traduire concrètement ce que la solidarité signifiait. On est en droit d’attendre une vision partagée des différents scénarii de sortie de crise et une proposition scenario par scenario des stratégies à mettre en œuvre pour y répondre.  Concrètement, l’Eurogroup, se réunit non pas à 19, mais à 27 dans un format élargi à l’ensemble des membres de l’UE et pas seulement donc au 19 de la zone euro, ce qui est déjà en soi un signe fort de solidarité. Sur les mesures de court terme, l’Eurogroup devrait notamment confirmer la mobilisation des fonds européens pour soutenir les PME-PMI via la Banque européenne d’investissement, la possibilité pour les Etats membres de mobiliser avec des conditionnalités réduites les lignes de crédits du mécanisme européen de stabilité financière qui viennent compléter les 750 milliards d’euros par la BCE. Ces mesures doivent permettre de limiter le risque de crise de liquidité. L’Eurogroup doit aussi se pencher sur la stratégie de redémarrage économique et le sujet du financement de la relance, c’est dans ce cadre que se pose la question de développer une capacité d’emprunt commune pour faire face à des besoins considérables.   Tout ça n’est pas rien : rappelons-nous qu’il avait fallu 4 ans après le début de la crise de 2008 et attendre le Conseil européen de juin 2012, pour arriver aux décisions qui ont été prises lors du Conseil européen du 26 mars dernier après quelques semaines de crise. Après un retard à l’allumage, l’Union européenne se mobilise comme jamais, mais ceci semble peu audible tant au niveau des citoyens que dans les médias. Il y a sans doute un défaut de parole européenne suffisamment incarnée, même si je me réjouis qu’Ursula Von der Leyen et Charles Michel commencent à intervenir dans les mass médias nationaux comme ils l’ont fait sur Europe 1 et France inter il y a peu.

Sur un plan plus théorique, quel pourrait être le scénario d’action européenne idéal ? Y-a-t-il un sens à vouloir sauver à tout prix une zone monétaire commune si la solidarité entre ses États membres n’existe plus que dans les mots ?

Il est clair que dans les deux premières semaines de la crise sanitaire en Europe, le chacun pour soi a prévalu. Mais, au final, à une ou deux exceptions près, tous les Etats membres ont convergé vers des mesures sanitaires comparables dans l’intérêt de tous. On a réanimé le mécanisme d’achats publics conjoints permettant d’acheter des masques, des respirateurs et des médicaments qui avaient été créé lors de la crise du H1N1. On est en train de se mettre d’accord pour un plan de soutien au chômage partiel partout dans l’Union et les pays qui ne disposaient pas de ce dispositif l’ont créé ou sont en train de le créer en urgence. Des essais cliniques communs sont menés pour accélérer la mise au point de vaccin. L’Europe est en train de se redresser moralement et pratiquement dans cette crise alors que le far ouest prédomine aujourd’hui dans des Etats fédéraux comme les Etats-Unis ou le Brésil et qu’elle n’a pas le dixième des moyens de ces pays au niveau communautaire. Dans ces deux pays, les Etats fédérés agissent de manière non coordonnée au niveau sanitaire, c’est aussi la concurrence entre les riches et les pauvres pour acheter des masques et du matériel, avec un doublement voire un triplement des prix. Si l’esprit de solidarité est aujourd’hui en cause, c’est moins en Europe, bien que nous ayons une capacité d’autodénigrement remarquable, qu’aux Etats-Unis ou au Brésil.

Maintenant, le sujet théorique mais aussi concret pour l’Europe, c’est de se donner les moyens de sortir de cette crise dans les meilleures conditions dans un monde où la coopération internationale et les valeurs de démocratie libérale et de libre-marché, fondatrices de l’identité européenne moderne, n’ont jamais été aussi fragiles. La question pratique que pose cette crise à l’Europe est simple : nous Européens voulons-nous faire de l’Union une puissance publique qui puisse peser sur le cours de la mondialisation ? ou préférons-nous développer le modèle autrichien à l’échelle continentale, c’est-à-dire le modèle d’un pays qui concilie aujourd’hui un conservatisme fort et un écologisme de confort. Si nous faisons le choix collectif de la puissance publique européenne, il faudra en tirer les conséquences pour la zone euro : 1/ l’étendre à tous les membres de l’UE ; 2/ doter l’Union d’un budget minimal de 3% du PIB européen permettant un bon fonctionnement de notre zone monétaire et 3/ développer une capacité d’emprunt collective dans la durée et non pas de manière exceptionnelle et temporaire comme on risque de la faire dans les prochaines semaines.    

L’équipe actuelle de dirigeants des institutions de l’UE actuelle est-elle à la hauteur du défi historique de la crise du Coronavirus ?

L’équipe actuelle (Ursula Von der Leyen, Charles Michel et Christine Lagarde) vient d’arriver. Elle est par définition moins expérimentée que la précédente. En outre, elle fait face à une difficulté inattendue : les rencontres physiques sont remplacées par la téléconférence, ce qui rend beaucoup plus difficiles l’émergence de décisions collectives. Si elle a pris du temps à réagir au démarrage, elle se mobilise comme jamais.

On a plus de recul pour parler de l’équipe précédente : Jean-Claude Juncker avait 30 ans d’expérience de gestion de crise et le sens inné de la méthode européenne fondée sur l’esprit de fédération, l’empathie, l’humilité et la créativité. Donald Tusk avait fait sa carrière politique dans un pays en pleine transition dans la foulée de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement du communisme et était habité par la défense des valeurs démocratiques et un sens profond de l’unité du continent. Mario Draghi a été un grand dirigeant de la BCE avec un sens aigu du pragmatisme et de la parole publique. L’Europe a besoin de personnalités fortes, créatives et non conformistes pour avancer.

Si les dirigeants des institutions européennes peinent à se montrer à la hauteur, les chefs d’Etat des 27 sont-ils « meilleurs » ? Y-a-t-il encore un (bon) pilote dans l’avion ?

Donnons aux dirigeants de l’Union la chance de se montrer à la hauteur de l’histoire. C’est dans les grandes crises que les hommes et les femmes d’Etat se révèlent. Il est clair que le fait que la plupart des dirigeants des Etats-membres soient dans des situations politiques nationales fragiles ne facilite pas la donne. En même temps ils ont l’opportunité d’être collectivement à la hauteur du défi historique que nous devons relever : se préparer à la plus grande récession de l’après-guerre et peut-être de l’histoire moderne et en profiter pour inventer un avenir meilleur comme Roosevelt l’a fait avec le New Deal. Nous avons besoin d’une « Nouvelle donne ». 

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