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Inflation en chute libre : la déflation est en marche et nous ne réagissons pas (assez)
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Ralentissement

Selon l'Insee, le rythme de l'inflation sur un an a ralenti plus que prévu en France en mars alors que le confinement décrété par le gouvernement pour ralentir la propagation du coronavirus a entravé l'activité économique. La déflation est-elle en marche ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico.fr : L'Insee a annoncé ce mardi un fort ralentissement de l'inflation en mars. Si cela n'est pas une surprise, en raison des mesures de confinement, s'attendait-on à ce que le ralentissement soit aussi marqué ? 

Mathieu Mucherie : Je vais renverser votre question : ce qui est très curieux, c'est que l'appareil statistique n'enregistre pas une déflation intense, c'est même anormal. Mais ce n'est pas une problématique nouvelle puisque ça fait douze ans que je travaille sur ce thème et donc des années que j'en parle. Seulement, effectivement, depuis le début du confinement c'est encore plus marquant.

Si aujourd'hui, alors qu'il n'y a plus de consommateurs et qu'il n'y a plus de producteurs, l'appareil statistique n'enregistre pas de déflation intense, quand est-ce qu'il le fera ? Si maintenant, on n'enregistre pas une chute verticale de l'indice des prix à la consommation (CPI) -le panier de la ménagère- on ne l'enregistrera jamais.

On a éradiqué le consommateur et le producteur. Il n'y a plus une banque qui peut créer massivement de la monnaie. Et les mesures de la BCE ne sont qu'une toute petite compensation par rapport à ce capharnaüm de destruction monétaire. Donc, avec des agents économiques qui épargnent en masse puisqu'ils n'ont même pas accès aux magasins, comment peut on encore penser qu'on n'a pas une déflation de 5% ou de 10% ? A cause de l'indicateur statistique.  C'est cette mesure statistique qui est en cause. Ça fait des années qu'on le dit, mais là maintenant, c'est encore plus criant et ça le sera encore davantage dans les mois qui viennent.

Vous verrez, dans les mois qu'il viennent l'indicateur statistique relèvera une inflation nulle ou légèrement négative, une mesure qui sera toujours aussi loin de la réalité et tiendra uniquement au fait que le coût du baril de pétrole a baissé. Ainsi, plutôt que de traquer l'inflation, l'indicateur traque en réalité les mouvements du baril de pétrole. Il rend ainsi compte, de ce qu'a été, au cours des semaines passées, des mois précédents ou sur une année glissante, le marché pétrolier. C'est ça, le CPI officiel qui sert de boussole à la BCE et que traque l'Insee. Ça n'a en réalité rien à voir avec l'inflation. L'inflation comme phénomène économique, c'est beaucoup plus large. C'est le panier de la ménagère, mais c'est aussi l'ensemble, par exemple, de l'effet richesse sur les marchés financiers.C'est donc très large. 

Va-t-on vers une déflation ? 

Nous y sommes déjà ! En effet, l'inflation comme phénomène économique est très large et c'est pour cette raison que je propose la définition suivante, nous sommes en déflation dès lors que nous ne respectons pas la cible d'inflation du banquier central et, qu'au lieu de s'en rapprocher, on s'en éloigne.Quand pendant 8 ans, on viole la cible des 2% de la BCE, toujours dans le même sens, et qu'on continue à s'en éloigner toujours un peu plus et que les anticipations d'inflation des agents économiques et des marchés financiers s'écartent toujours plus de ce 2%; alors, on est en déflation objective. 

Et ce n'est pas la mesure statistiques de l'Insee ou des différents organismes dont le rôle est essentiellement de faire du commentaire sur la variation annuelle du prix du baril de pétrole qui me fera changer d'avis. Ce que je veux dire par-là, c'est que si le prix le baril augmente à nouveau, et qu'en une année seulement il atteint à nouveau un baril 75 dollars, alors vous verrez que statistiquement, vous aurez de l'inflation. En fait, la déflation comme phénomène et non pas comme mesure, baisse quand le baril baisse. Et ce que nous disent les statistiques, c'est l'inflation baisse parce que le baril baisse. C'est donc une méprise.

Comme je le disais, nous sommes donc aujourd'hui en déflation. A l'heure actuelle le déclencheur en est le coronavirus mais vous aviez déjà un soubassement déflationniste depuis des années : les banques ne produisent plus assez de crédit, la création monétaire est brisé depuis des années, les salaires sont comprimés... Bon, bref, je ne vais pas vous faire la totale, mais tout est déflationniste depuis des années. A cette tendance vous ajouter le coronavirus, vous vous trouver ainsi avec une déflation comme nous n'en avons pas connu depuis 1931 et donc évidemment, l'une des conséquences c'est l'effondrement du prix du baril, mais ce n'est l'unique conséquences : toutes les matières premières chutent. Tout ce qui, de près ou de loin, est lié à la thématique de l'inflation chute puisqu'on est en déflation intense.

Et contrairement à ce que nous dit l'Insee, les prix ne baissent pas légèrement, non, ils s'effondrent. Par exemple, actuellement, dans certains Etats américains on s'attend à ce que le prix du baril devienne, peut-être, négatif du fait des phénomènes de stockage.

J'ai pris le prix du baril parce que c'est assez parlant, mais j'aurais pu vous donner d'autres éléments de tels efforts de stockage, considérant qu'il y a plus de consommateurs si ça dure pendant des semaines. Vous n'avez même plus de marché où on parlait et quand vous n'avez même plus de marché et que vous êtes emmerdé à stocker quelque chose qui vous coûte cher à stocker.

Quelles pourraient être les conséquences d'une telle baisse ? Certains économistes estiment qu'un mois de confinement pourrait se traduire par une baisse de trois de pourcentage de PIB brut annuel en moins, une telle estimation est-elle plausible  ?

Oui, c'est ce qu'a dit l'Insee : 3% par mois de confinement si l'activité économique est maintenue à 65%. Donc, vous maintenez l'activité économique à 65% parce qu'il y a encore des gens qui produisent, qui vont au travail ou qui font semblant de travailler en télétravail. Et alors, vous perdez un tiers de votre PIB de votre pays divisé par 12 mois. Vous voyez donc que cela équivaut à 3% pour un mois. Mais si vous ajouter un deuxième mois de confinement vous vous trouvez à 6 points de PIB et là, ça commence à faire beaucoup.

Une conséquence naturelle et directe, de cette baisse de PIB et donc de la déflation, c'est que les salariés "de bases", et les cadres aussi, connaîtront des mois difficiles. Plus question d'avoir d'augmentation, c'est certain, mais surtout il y aura une pression plus forte qui se fera ressentir sur les salaires, qui baisseront. Et bien sûr ce ne sera pas la seule conséquence. Il y en aura de nombreuses autres. Evidemment, les entreprises perdront beaucoup d'argent, certaines feront même faillite.

Tout ça donne lieu à une perte de production qui peut, éventuellement, affecter la croissance potentielle ce qui serait plus embêtant. Mais nous n'y sommes pas encore. Pour le moment, ce que l'on sait c'est que c'est un choc conjoncturel très fort, le plus violent que l'on ai jamais vu en temps de paix. Ça, c'est clair. Mais, normalement il ne devrait pas avoir d'important sur la croissance potentielle, à condition que les chômeurs conjoncturels ne deviennent pas des chômeurs structurels, à condition qu'ils ne perdent pas leur capital humain et à condition que les difficultés de crédit ou de trésorerie des entreprises ne se transforment pas en faillite et donc en baisse de l'investissement productif.

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