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Pétrole : l’Arabie saoudite contribue à l’effondrement de l’économie mondiale
©GIUSEPPE CACACE / AFP

Cavalier seul ?

Sébastien Boussois décrypte les choix stratégiques et l'attitude de l'Arabie saoudite sur la crise liée au pétrole face au "tsunami" du coronavirus.

Sébastien  Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et consultant de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Il est l'auteur de Pays du Golfe les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019), de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient ? (Armand Colin) et Daech, la suite (éditions de l'Aube).

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Dans le contexte actuel d’effondrement de nos certitudes et du monde, l’économie mondiale va à vau-l’eau et il n’y avait guère besoin d’une tempête supplémentaire. La décision de l’Arabie Saoudite, au nom de sa survie éternellement en jeu, d’augmenter sa production de pétrole, a fait chuter les prix du baril de brut en inondant un marché en pleine récession, affectant par là même l’ensemble des pays producteurs déjà en grande difficulté. Alors que le monde est aux abois face à la pandémie de Coronavirus et qu’il faut stabiliser au mieux le système sans pousser des pays à la ruine, certains pays tentent de faire cavalier seul pour assurer leur propre existence, comme le fait l’Arabie Saoudite aujourd’hui. Comme si elle n’avait pas pu prévoir depuis le temps d’autres leviers économiques pour survivre. 

Depuis des années, de scandale en scandale, de guerre en guerre, d’assassinat en purge, Riyad reste pourtant un de nos partenaires privilégiés aux USA comme en Europe et ce pour toutes les affaires concernant la région. C’est oublier que dans le même temps, l’Arabie Saoudite n’en a jamais eu assez, a pu agir en toute impunité et en dehors du droit international, et que son économie est plus que chancelante. Pas de quoi pavoiser et pourtant, à l’heure actuelle, il n’y a pas de partenaires privilégiés qui tienne mais des instincts de survie qui font faire à Mohamed Ben Salmane, le prince héritier, une nouvelle erreur politique stratégique. Qu’espère-t-il ? Profiter du vide actuel pour avancer ses pions ? Probablement mais tout cela est artificiel.

Il y a plusieurs indices qui laissent à penser depuis des mois que l’Arabie Saoudite est en mauvaise passe dans le contexte régional de déstabilisation attisé par son parrain américain face à l’Iran depuis des mois. Mais qu’elle l’est encore plus lorsqu’elle fait ses comptes d’apothicaire et que chacun de ses alliés a mieux à faire pour l’heure actuelle que de la soutenir, à commencer par l’Amérique de Donald Trump qui entre dans une tempête sans précédent avec la gestion de l’épidémie de Covid-19. 

Mais Ryad a besoin de liquidités et ne peut pas attendre. Certains évoquent depuis longtemps un risque clair d’effondrement du partenaire numéro un des USA depuis 1945. Ce colosse voulu comme pivot stratégique du Golfe n’en finit pas de montrer ses limites et pourrait finir les pieds dans le cambouis s’il ne décide pas de trouver les moyens d’augmenter ses rentrées d’argent coûte que coûte. Qu’a-t-il d’autre ? Pas grand-chose. Il faut dire que la guerre au Yémen menée par la 7e année du monde depuis 2014 est un échec total tout comme le blocus contre le Qatar entrepris en juin 2017. Pas moins de 100 000 enfants ont déjà péri au Yémen depuis cinq ans et la crise yéménite est devenue la plus grave catastrophe humanitaire du moment. Pour compenser la radicalisation politique du pays depuis quelques années face à la menace terroriste et la déstabilisation régionale qu’elle attise pourtant, l’Arabie Saoudite avait prévu un grand plan de diversification de l’économie et de développement pour 2030 qui ressemble aujourd’hui davantage au personnage de l’Arlésienne. Pourtant, ce plan prévoyait un vent de libéralisation en même temps que le courant de diversification de l’économie, mais malheureusement il semble bel et bien  avoir pris l’eau dès sa genèse avec l’assassinat de Jamal Kashoggi à Istanbul en 2018. 

Que l’Arabie saoudite se repose sur ses acquis est une réalité, comme tout bon régime prédateur monocentré sur la rente des hydrocarbures. Car le pacte du Quincy de 1945 continue à lui garantir le soutien américain inconditionnel, même de loin actuellement.  Sa conviction qu’elle reste le meilleur rempart militaire et géostratégique à l’Iran ravagé par le Covid-19 ce qui l’arrange bien, reste forte. Comme sa certitude de résister le mieux face à la menace chiite en général, au terrorisme et au djihadisme en particulier dont on ne parle plus mais qui pourrait ressurgir après la pandémie. Pause oblige. 

Naturellement depuis des décennies, l’Arabie saoudite aspire à être le seul maître à bord dans la région, et jouir d’un incontestable leadership qui semble pourtant chaque jour de moins en moins évident et ce même avec le soutien américain. Or, quand cela n’avance pas assez vite pour un Prince héritier très impatient, il ressurgit là où on ne l’attendait pas par son levier éternel qu’est l’augmentation ou la diminution de sa production de brut. Sans cela, Riyad est cuite. S’il n’y aurait aucun intérêt pour nous tous à ce que Riyad vacille dans le chaos (ce qui n’est pas exclu), dans une architecture de sécurité régionale aux fondements largement ébranlés depuis feu les Printemps dits "arabes", il faut n’avoir de cesse de contester à la politique saoudienne sa stratégie du chaos organisé depuis des années pour contrer le retour de l’Iran et vouloir se frotter à plus fort qu’elle. Car avec l’approche des élections présidentielles de 2020, la pandémie à gérer de toute urgence, Donald Trump va effectuer de facto un recul stratégique dans la région, laissant son filleul naviguer à vue le temps de sa réélection. Et cela est bien le plus inquiétant non seulement pour la région, mais pour le monde et pour son économie au bord du gouffre. Donald Trump ne doit pas se contenter de taper du poing sur la table. Il doit suivre la ligne du directeur éxécutif de l’Agence Internationale de l’Energie, Fatih Birol, qui déclarait courageusement ces derniers jours, que face à la chute actuelle des cours du pétrole artificiellement accélérée, avec la Russie qui cherche à affaiblir la production de pétrole de schiste des USA, l’histoire les jugera :  «Les citoyens du monde se souviendront que des grandes puissances qui avaient le pouvoir de stabiliser l'économie de nombreux pays dans une période de pandémie sans précédent ont décidé de ne pas l'exercer ». Dont acte. 

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