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Coronavirus : pourquoi la mondialisation est le meilleur remède pour nous sortir de la crise
©KAZUHIRO NOGI / AFP

Contre-intuitif

Contrairement à ce que l'on peut entendre en période d'épidémie de coronavirus, la mondialisation n'est pas l'ennemi mais, elle est peut-être même le meilleur remède pour nous sortir de la crise sanitaire actuelle.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : La mondialisation a souvent été pointée du doigt comme étant un des éléments responsables de la pandémie du coronavirus. Mais, peut-elle en être un remède ?

Michel Ruimy : Tout à fait. Notre planète se découvre, de manière inattendue et imprévisible, fragile. La mondialisation, maintes fois décriée, s’accompagne actuellement d’effets de bords, parfois politiques et économiques, destructeurs comme la centralisation de certains produits essentiels dans un petit nombre de pays. Notre civilisation mondialisée où tout le monde dépend de tout le monde, se révèle ainsi vulnérable. Les problèmes des uns se répandent chez tous les autres, sans pouvoir être contenus jusqu’au point où si les relations inter-nationales sont suspendues, ne serait-ce que quelques semaines, l’économie est asphyxiée. Aujourd’hui, le coronavirus exploite cette faille. 

Pourtant, cette même mondialisation permettra la coopération d’un grand nombre de scientifiques pour, à la fois, lutter et contrer cette épidémie. Elle permettra la réalisation de vaccins, de traitements antiviraux… mais, aussi, leur production et leur acheminement aux populations. Déjà, l’Inserm a lancé, il y a quelques jours, une large étude européenne, baptisée « Discovery », portant sur quatre traitements expérimentaux, dont un qui inclut la chloroquine. Il est prévu d’inclure 3 200 patients européens touchés par le coronavirus en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg, au Royaume uni, en Allemagne et en Espagne.

Alors oui, bien sûr, la mondialisation facilite indubitablement certains phénomènes humains indésirables comme une épidémie mortifère. Mais, nous sortirons aussi de cette pandémie, que grâce à elle. 

Une nouvelle dynamique internationale peut-elle naître de cette crise ? De quelle manière les cartes peuvent-elles être rebattues ?

Depuis quelques mois, les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis, la transition écologique… rythmaient les débats. Maintenant, il y a la crise sanitaire. Mais, ce n’est pas elle seule, qui va modifier le modèle de production des entreprises mais un autre facteur : l’appréciation du risque va être revue à la hausse. L’épidémie précipite un changement qui était déjà amorcé. En effet, beaucoup de stratégies d’entreprises (textile, pharmaceutique…) envisageaient une diversification (ne plus dépendre d’une seule usine principale en Chine). Elles entrevoyaient des centres de production au plus près du consommateur final afin de répondre plus rapidement à ses besoins. 

Faisons un rapide retour sur l’histoire économique pour bien comprendre ce que nous vivons. La mondialisation des années 1980 était un mouvement tourné vers la fin des barrières commerciales avec des coûts de transport inexistants. Les entreprises ont ainsi pu s’organiser aux dimensions de la planète. Le seul critère privilégié était la modicité du coût de production. Avec les années 1990, les usines se sont éparpillées sur l’ensemble de la planète. La chute du mur de Berlin a ouvert de vastes espaces aux entreprises, non seulement pour vendre leurs produits mais également pour les faire fabriquer au meilleur prix. Le décollage de la Chine est intervenu peu après et a permis d’offrir aux multinationales des coûts du travail à prix cassé. Les chaînes de fabrication étaient ainsi localisées près des marchés avant d’être dispersées. Si ce phénomène a provoqué les délocalisations, il a fait baisser considérablement le prix des biens manufacturés en France dans les secteurs de l’électro-ménager, du high-tech et l’automobile. 

Mais, aujourd’hui, avec la numérisation, beaucoup de secteurs passent d’une production uniforme en volume à des produits plus personnalisés, adaptés à chacun. Cette évolution de la demande n’est plus compatible avec un long transport depuis la Chine, par paquebot, d’importante quantités de produits. Il faut pouvoir réagir vite. Avant, il n’y avait peu ou pas de coût discriminant, ni de taxe écologique, ni de norme environnementale. Maintenant, des coûts - taxes aux frontières - réapparaissent et les entreprises comprennent qu’il y en aura de plus en plus.

La crise sanitaire menace ainsi le cœur de l’industrie mondiale. Avant, on voulait un grand marché pour produire énormément sans contrainte. Aujourd’hui, on pense l’inverse : outre l’aspect stratégique, les firmes souhaitent, avec le réchauffement climatique, relocaliser sans entraver les échanges c’est-à-dire une volonté de créer une nouvelle économie plus « verte ». Cette inclination n’est qu’un réflexe économique que les entreprises parent des habits du marketing en affirmant qu’elles relocalisent pour l’environnement. 

Les logiciels économiques vont-ils être bouleversés par la crise à venir ? Ou la crise a-t-elle été suffisamment anticipée par les puissances politiques, économiques et financières pour que son impact en soit diminué mondialement ?

La crise sanitaire a mis en exergue les rapports de force commerciaux existant. Comparé à son niveau d’il y a une quinzaine d’années (épidémie de SRAS, 2003), le poids économique de la Chine a doublé (près de 20% du Produit intérieur brut mondial). À l’époque, les usines en Chine étaient surtout tournées vers des activités de main d’œuvre (textile, assemblement à faible valeur ajoutée…). Aujourd’hui, elles sont des segments de chaînes d’approvisionnement à haute valeur ajoutée, donc à fort impact, notamment sur les stocks. C’est pourquoi de nombreuses firmes internationales de la chimie, de l’agroalimentaire, de la pharmacie ont leurs plus importants centres de production en Chine. Cependant, entre deux soupirs, force est constater que si la Chine exporte toujours plus de produits à travers la planète, la dépendance existe aussi dans l’autre sens : la Chine ne produit que ce qu’on lui achète et dépend autant de nous que nous d’elle.

Les épisodes de chutes d’activité aussi soudains et graves auxquels nous assistons laissent à penser que les gouvernements n’ont pas su anticiper un tel accident - récession dans un grand nombre de pays -. La situation actuelle fait apparaître un lien robuste de dépendance - importations de produits stratégiques - auquel les Etats ne peuvent être soumis. 

En Chine, il est à prévoir, dans les prochains mois, un renforcement du rôle économique de l’État. Les secteurs les plus touchés seront soutenus massivement par l’Etat, comme il l’a toujours fait lors des crises passées. Ailleurs, cette crise pourrait causer notamment une baisse des achats de produits agricoles américains par la Chine et un report des négociations internationales comme la négociation pour un traité d’investissement entre la Chine et l’Union européenne, qui était en cours de négociation. 

Les conséquences de cette crise pour les relations internationales, économiques et politiques vont se combiner. Le contexte marqué par la rivalité géopolitique entre la Chine et les États-Unis et son corollaire les tensions commerciales risque d’être renforcé notamment par la crainte de beaucoup de décideurs d’être trop dépendants de la Chine. C’est pourquoi, seule une réponse coordonnée mondiale nous permettra de sortir de cette crise.

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