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Julien Aubert : « En 1914, l’Union sacrée n’empêchait pas la classe politique de s’opposer sur la manière de mener la guerre »
©JOEL SAGET / AFP

Coronavirus

Député LR dans la 5e circonscription de Vaucluse. Julien Aubert, secrétaire général de l'Association des députés gaullistes de l'Assemblée nationale, revient pour Atlantico.fr sur la crise sanitaire et politique engendrée par le coronavirus.

Julien  Aubert

Julien Aubert

Julien Aubert est ancien député de Vaucluse, vice-président des Républicains

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Atlantico : Une crise de cette ampleur appelle plus l’union nationale que la polémique mais doit-elle être synonyme de la fin des débats ? C’est contradictoire car à ce moment là, on ne peut plus qualifier l’opposition de réelle.

Julien Aubert : On mélange polémique et questions légitimes. La crise sanitaire ne signifie pas la suspension de la démocratie et l’union nationale ne signifie pas d’avoir zéro recul sur la position du gouvernement. Puisque l’époque est aux métaphores guerrières, il y a eu l’union sacrée en 1914 mais cela n’empêchait pas la classe politique de s’opposer sur la manière de mener la guerre, entre le pacifiste Caillaux et le belliqueux Clémenceau. Heureusement que les politiques ont fini d’ailleurs par reprendre la main sur la stratégie militaire, car certaines erreurs ont conduit au massacre de centaine de milliers de soldats. C’est une méconnaissance de l’histoire que de vouloir museler l’opposition en l’accusant de blasphème chaque fois qu’elle émet une critique. On peut vouloir la réussite de son pays et pointer, en responsabilité, les incohérences et contradictions de la politique actuelle. A la place du gouvernement, je me soucierais moins de nos observations que de ses propres insuffisances sur la préparation de cette crise. 

Comment répondre au gouvernement sans pour autant casser l’union nationale et organiser une nouvelle forme d’opposition ?

On peut le faire de manière très constructive. J’ai pris l’initiative, avec une dizaine de parlementaires membres d’Oser la France, d’écrire un courrier à Bruno Lemaire sur l’attitude des entreprises de grande distribution par rapport aux producteurs locaux, ce qui a donné des résultats car elle a changé son attitude dans les quelques jours qui ont suivi. 

Nous avons aussi fait un autre courrier au président la République sur la stratégie sanitaire, notamment sur le fait qu’il n’y avait pas de tests massifs, le fait que nous n’autorisions pas la chloroquine, que le comité scientifique était plus divisé qu’il n’y paraissait sur la stratégie de confinement à peu près total sans dépistage. Un vaste débat public a permis à chacun de se faire son idée. Suite à cela, le gouvernement a fait évoluer sa stratégie avec les propositions que nous avions faites avec quelques collègues.

Je crois que l’Opposition a joué son rôle car elle a permis au gouvernement de se rendre compte des insuffisances de sa stratégie. Nous avons accéléré leur prise de conscience. À l’heure des médias sociaux, d’ailleurs la moindre décision est aussi disséquée par tous. Les gens ont accès à l’information et l’opposition est là pour porter publiquement les inquiétudes et revendications

On ne peut pas passer sous silence les propos incroyables d’Agnès Buzyn qui dévoilent des défaillances graves,  comme l’insuffisance de masques ou l’imprévoyance (l’envoi en Chine de masques alors que nous aurions pu les conserver pour nous). Toute cette série de défaillances font craindre au gouvernement des conséquences pénales et judiciaires qui ont déjà débuté. 

Après la crise, on jugera inéluctablement l’action qui aura été conduite. La meilleure manière pour le gouvernement d’atténuer la charge de sa responsabilité, c’est de conduire le pays hors de la zone actuelle en prenant les meilleures décisions.  

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De nombreuses personnes remettent en cause la responsabilité des politiques de façon large depuis 30 ans en les opposants aux experts. Que risque-t-on en se livrant aux experts et en renonçant à la politique ? Le gouvernement actuel tend à faire plus confiance aux experts qu’à la politique, ne serait-il pas important de trouver un juste milieu ?

C’est de la foutaise, car tout en politique est facteur d’expertise. Quand vous autorisez un produit phytosanitaire, décidez d’une intervention armée, d’une relance budgétaire, quelque soit le domaine, il y a des experts. On cherche à expliquer aux hommes politiques qu’ils doivent se limiter à faire un peu de théatre à la TV mais surtout pas se pencher sur le fond. Le politique n’est pas là pour répéter ce que disent les experts, il est là pour trancher entre les experts et chercher l’intérêt général. Clémenceau disait en 1887 :  « La guerre est une chose trop sérieuse pour la laisser aux militaires » pour revenir aux métaphores guerrières. Pendant la guerre de 14-18, ce ne sont pas les militaires qui ont fait la politique, c’est le gouvernement. 

Actuellement, la crise n’est pas seulement sanitaire : elle est démocratique et économique. Il y a des arbitrages. 

Le politique est élu pour prendre des décisions. Les médecins n’ont pas été élus pour assumer des décisions, ils sont là pour donner un avis médical et d’ailleurs sur certains sujets il leur arrive de ne pas être d’accord entre eux. Le courrier que j’ai fait partir lundi l’a clairement montré. La science n’a jamais progressé par le dogme religieux, en science on tâtonne. Depuis Galilée, c’est comme cela. Tout ceux qui veulent dire qu’il n’y a qu’une seule vérité se trompent. 

Dans le comité scientifique, il y a des gens comme Raoult qui ne sont pas du tout d’accord avec le président du conseil scientifique. Cela pose un certain nombre de questions politiques. Il y aurait eu l’unanimité de la profession médicale, le politique n’aurait pas eu à se faire « plus médecin que le médecin » mais à partir du moment où nous avons des argumentaires opposés, c’est au politique de trancher. Si c’était aussi facile que trouver la bonne réponse à une équation de mathématiques, ça se saurait. 

 Ce serait une très grave régression que de se retrancher derrière l’avis du comité scientifique pour dire qu’il n’y a pas de responsabilité politique.Donc chacun doit avoir la conséquence de ses actes, de sa responsabilité. Décider de se défausser sur quelqu’un d’autre, c’est une forme de faillite morale. Lorsque Emmanuel Macron a voulu faire sa réforme des retraites ou privatiser ADP, l’opposition était contre et pourtant il a bien décidé le faire. Il est tout à fait capable de décider par lui même.    Celui qui a maintenu le premier tour des élections, ce ne sont pas les médecins, ni l’Opposition, mais le président de la République. Il a fait un choix. Ni Gérard Larcher, ni Christian Jacob. Je me permets de rappeler que l’un des seuls aspects « positifs » de perdre les élections, c’est que vous n’êtes pas responsable ensuite de ce qui se fait, c’est un grand principe de la démocratie.

Au passage, puisque l’on parle d’éclairer les décisions publiques, permettez moi quand même de revenir sur la gestion de la crise. Le gouvernement a créé un comité scientifique et a choisi les membres. Je ne sais pas comment ils ont été choisis. Il y a un mode de fonctionnement que je ne connais pas et c’est au gouvernement de le gérer. Je n’ai pas accès aux échanges et il n’y a aucune information de déclaration d’intérêt des membres du conseil scientifique.

On a bâti toute une série de règles pour les décideurs publics, le moindre assistant parlementaire doit signaler s’il a un job à coté. Pourtant, ici on a un comité scientifique qui a un rôle majeur dans la crise sanitaire mais on ne lui a strictement rien demandé. On ne sait pas si l’un des membres travaille pour un laboratoire pharmaceutique, par exemple… Si on voulait être totalement transparent et éviter la malveillance, ces informations devraient être dans les mains de l’opposition.

À titre personnel, y a-t-il un moment où vous considérez que vous ou votre parti a sous-réagi par rapport à la crise ou à l’inverse a surréagi ?

Nous avons tous sous-réagi avant la première allocution du président de la République et cela demande quelques mots d’explication car j’ai une responsabilité morale en tant qu’homme public quand il s’agit de prendre position sur une décision. Il faut bien comprendre que bien que député, je n’ai pas le directeur de la santé qui m’appelle tous les soirs. Je suis obligé de prendre mes décisions avec des informations qui sont complètement réduites par rapport aux ministres.

En me basant sur les chiffres de la Corée du Sud, j’ai donc mal interprété l’importance de ce virus : j’ai attribué la faible létalité à sa virulence alors qu’elle était le fruit d’une stratégie sanitaire particulièrement efficace. Quand le Président a annoncé le maintien du premier tour, cela m’a plutôt conforté dans mon idée qu’il avait essayé de faire un coup politique en focalisant toute sa communication sur le virus. J’ai d’autant plus mal compris ensuite les mesures qui ont surgi dès le lendemain dans la bouche du Premier ministre qui venait infirmer ce qu’avait dit le président la veille en accélérant le confinement de la population.

J’étais aussi scandalisé car on a conduit un premier tour en disant que l’on pouvait l’organiser mais en faisant en sorte que les gens ne viennent pas. Il y a toujours une forme d’instabilité dans les choix décisionnels, mais cela ne me paraissait pas sérieux. Cela continue d’ailleurs comme on peut le voir avec la chloroquine : elle  était autorisée hier et aujourd’hui il y a un décret qui complète et qui restreint considérablement son utilisation. 

En surréaction, maintenant, un autre exemple mais qui est assumé. Avec la chloroquine, lorsque l’on écoutait seulement certains infectiologues, il était malvenu de l’évoquer. Nous avons donc décidé de briser le mur médiatique. Non pas pour surréagir mais pour forcer le gouvernement à se positionner sur ce sujet-là. Il ne faut pas se tromper de débat sur la chloroquine, il y a une différence entre la dangerosité et l’efficacité. La vraie question qui se pose est que si on l’administre y a-t-il un danger ?

Tous les médecins connaissent ce médicament et les pathologies associées. L’efficacité, on ne la connait pas mais au pire on verra que ça ne marche pas. Maintenant, j’ai dans mon entourage des cas personnels qui montrent que ça marche. Quand on a une arme, on l’utilise, surtout à la guerre !

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Le jour d’après, la question de la responsabilité politique va se poser. Peut-on balayer facilement d’un revers de la main cette question sur ceux qui nous gouvernent ? La question des comptes à rendre se pose déjà et elle va prendre davantage de place des années après la crise. Dans quel cadre cela va-t-il se dérouler, le gouvernement semble balayer cela du revers de la main, n’est-ce pas irresponsable ?

Ce n’est pas pendant la crise que l’on doit mettre la responsabilité du gouvernement sur la table. Aujourd’hui, bon ou mauvais, exceptionnel ou incompétent, à l’exception d’un gouvernement dont l’objectif serait d’aller à l’encontre du bien général, je ne soupçonne ni Emmanuel Macron, ni Edouard Philippe, de vouloir mal gérer la crise du coronavirus. Ils le font avec les moyens du bord même si ils se sont sans doute trompés. Il y a des choses qu’ils auraient dû faire. Reste qu’aujourd’hui ils ont été élus pour guider le pays au milieu des rochers, ce n’est pas le moment de changer de capitaine ou de l’attacher prisonnier dans sa cabine.

Une fois que nous aurons passé la crise sanitaire et que nous serons revenus à un fonctionnement plus calme, là oui on parlera de la responsabilité. Si je devais prendre une métaphore, ce serait celle d’une embarcation dans la tempête. Lorsqu’un capitaine dirige son gouvernail, le rôle du « matelot de l’opposition » c’est de lui dire « mon capitaine nous avançons sur les flots mais faites attention il y a un rocher sur notre chemin ». La responsabilité de l’opposition est d’avoir averti le gouvernement.

Une fois que nous serons sortis, nous verrons bien si nous avons fait naufrage et que nous sommes sur une île déserte, ou si nous sommes sortis tous entier matelots compris hors de la tempête. C’est là où nous pourrons juger le capitaine.

Cela se fera de diverses manières, vraisemblablement. D’un côté la responsabilité judiciaire et de l’autre la responsabilité politique. La responsabilité judiciaire, ce sont les recours qui ont été déposés auprès de la cour de justice de la République ou les juridictions pénales. C’est elles qui se prononceront. Ensuite, il y a celle politique qui se posera auprès du parlement par une motion de censure ou une commission d’enquête. Elles vont éclairer le mécanisme de prise de décision. Et puis enfin il y aura le contexte des élections nationales, présidentielle et législatives.

Aujourd’hui, l’opposition ne se prépare pas à cela. Elle a posé sur la table, à travers ce qu’a proposé Damien Abad, une proposition de commission d’information qui va être mise en place pendant la crise du coronavirus et qui pourrait se transformer en commission d’enquête après. C’est une manière de préparer l’avenir et d’encadrer le débat. Je souhaite que celle-ci fasse toute la transparence sur des choix très confus et contradictoires comme la question des masques, sans tomber dans le lynchage. 

Maintenant, je crois que personne n’a idée de l’état économique, moral et politique dont nous sortirons de cette crise, et probablement que le monde de demain sera très différent de ce que nous avons vécus. Puisse Marianne sauver la République.

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