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Fonctionnaires en déroute...  mais que se passe-t-il dans le secteur public ?
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Impact de la crise sanitaire

Les fonctionnaires sont en première ligne face à la crise du coronavirus comme les soignants hospitaliers, mais les préavis de grève ou le retrait des policiers montrent que le feu couve.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico.fr : La crise du coronavirus est en pleine expansion, et pourtant, la fédération CGT des services publics vient de déposer un préavis de grève couvrant la période du 1er au 30 avril. Qu’est ce que cela révèle de notre service public ? 

Eric Verhaeghe : Je pense qu'il faut prendre le temps d'analyser cet appel à la grève dans toute sa complexité. Regardez en Italie : les syndicats appellent à la grève dans la métallurgie. Il s'agit de couvrir juridiquement tous ceux qui décideraient de ne pas aller travailler et qui se déclareraient en grève ces jours-là. C'est une pratique très courante, qu'on découvre aujourd'hui parce qu'il y a le coronavirus, mais qui se produit de façon pour ainsi dire rituelle. Par exemple, chaque année ou presque les syndicats de l'Éducation Nationale déposent un préavis de grève au moment du baccalauréat pour couvrir les enseignants qui ne souhaitent pas corriger de copies. Ce système est aussi banal que les incendies de voitures dans les banlieues le week-end. Il faut une crise sanitaire pour s'en indigner, mais je vous assure qu'il n'étonne pas les initiés. 

En revanche, il est un bon marqueur de l'état d'esprit dans les services. Beaucoup de fonctionnaires s'estiment aujourd'hui en danger face au coronavirus, spécialement lorsqu'ils sont chargés de l'accueil du public. Et ils peuvent à bon droit arguer du manque de protection de la part de leur employeur. Vous noterez qu'une fois de plus l'État s'est précipité pour imposer des règles draconiennes aux entreprises privées en matière de protection sanitaire, notamment la pose de plexiglas aux caisses de supermarché. Mais il n'a pas fait grand chose pour ses propres salariés, à commencer par ceux des hôpitaux. Il récolte donc la monnaie de sa pièce. 

Pendant ce temps, les personnels soignants et hospitaliers, ne comptant plus leurs heures, sont à bout de souffle. Comment expliquer de telles disparités au sein du service public ? 

Personnellement, je n'opposerais pas les situations. Les soignants, les hospitaliers, sont traités par leur employeur comme tous les autres fonctionnaires, à l'exception de ceux de Bercy et de la haute fonction publique. Ces deux dernières catégories sont protégées par de nombreux privilèges. Mais les autres bénéficient du même mépris de leur employeur que les hospitaliers. Prenez l'exemple des policiers. C'est une catégorie de fonctionnaires où le nombre de suicides est proportionnellement aussi élevé que chez France Télécom à l'époque de Didier Lombard. Examinez la réponse de l'employeur public : elle est quasi inexistante. Peut-on, dans ces conditions, dire que les policiers sont mieux traités que les soignants ? Et que dire des enseignants, sur la productivité desquels il y a beaucoup à dire. Mais reconnaissons qu'en période de confinement, ils assurent globalement le service (même si leur pédagogie me paraît désuète, mais c'est un autre problème), et ils se récoltent des phrases de mépris comme celle de la porte-parole du gouvernement. 

Il faut bien admettre que l'accumulation de ces petites phrases, de ces petits gestes de mépris, de ces maladresses managériales finit par produire des effets négatifs. Au demeurant, l'équipe au pouvoir est probablement l'une des seules au monde à croire que fédérer un pays est une souffrance morale qui s'impose à coups de leçons de morale et de reproches mortifiants. Personnellement, quand j'entends les longues litanies ecclésiastiques du président de la République, je comprends que les fonctionnaires n'adhèrent pas à ce projet-là. 

Pourquoi, selon vous, les fonctionnaires prévoient -ils un "préavis de couverture" ? Multiples droits de retraits peuvent être déposés le mois prochain : serait-ce le témoignage d'un manque de moyens  et/ou plutôt d'un abandon de leur part ? 

On n'a pas assez mesuré combien le management vertical qui est devenu une caricature depuis 2017 décourage ceux qui le subissent au jour le jour. Mettez-vous à la place des soignants en service d'urgence qui n'ont été reçus par Agnès Buzyn (que dis-je, par son cabinet...) que trois mois après le début de leur grève. À l'époque, Édouard Philippe et toute la macronie présentait cette ministre comme une parfaite représentante de la startup Nation. Au mesure aujourd'hui l'imposture que je me sentais bien seul à dénoncer à l'époque. En attendant, quand un employeur fait recevoir un personnel en grève depuis trois mois par des conseillers de cabinet, quand il met six mois à esquisser la première réaction face aux revendications, il doit assumer ses responsabilités après. Nous avons beaucoup de chance que les soignants aient le sens du service public et demeurent au travail. Mais les autres ont bien compris qu'ils ne comptaient que pour du beurre. 

Mais on aurait tort de limiter le phénomène au management de l'État. À Paris, Anne Hidalgo ne traite pas mieux ses fonctionnaires et laisse les situations sociales dans ses services se dégrader sans s'en soucier. Ce mal governo public a une conséquence en cas de crise : les troupes se débandent et désertent. Ou se font porter pâle. Pourquoi voulez-vous que des agents de catégorie C s'exposent à une contamination pour permettre à leur chef de rester confiné au calme, chef qui les méprise ouvertement depuis des années ?

La colère qui monte au sein du service public risque-t-elle, dopée par l'actuelle crise, de prendre de l'ampleur dans les semaines et mois à venir ? Pourrait-elle s'étendre à un plan plus large du service public ?

De mon point de vue, il y a effectivement un risque que la colère qui monte déborde très largement le service public et n'embolise les entreprises. En réalité, ce phénomène est déjà à l'oeuvre puisque de nombreuses entreprises peinent à maintenir leur main-d'oeuvre au travail. De nombreux "cols bleus" n'entendent pas s'exposer au risque de contamination pour permettre aux cols blancs de préserver une vie normale. 

On y verra l'effet de la gestion sociale par le gouvernement depuis plusieurs mois, fondée sur l'autorité et le recours à la force, sans aucune empathie politique. Cette stratégie de la dureté risque de se payer cash aujourd'hui.

Pour retrouver sur Atlantico l'analyse de Didier Maus, de Jean-Philippe Derosier, de Christophe Boutin et d'Eric Verhaeghe sur l'état d'urgence sanitaire, cliquez ICI

Pour retrouver sur Atlantico l'analyse du député LR Philippe Gosselin sur l'état d'urgence sanitaire, cliquez ICI

Pour retrouver sur Atlantico l'analyse de Régis de Castelnau et de Corinne Lepage sur les procédures contre le gouvernement, cliquez ICI

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