Le gouvernement est-il allergique au principe de responsabilité ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Le gouvernement est-il allergique au principe de responsabilité ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Effet boule de neige

Selon des informations du Monde, Edouard Philippe serait mécontent des plaintes déposées contre le gouvernement et des possibles recours à des enquêtes parlementaires sur la question de la gestion de la crise sanitaire du coronavirus par le gouvernement.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Edouard Philippe voudrait-il échapper à ses responsabilités? 

Si l’on en croit le Journal « Le Monde », le Premier Ministre serait mécontent de plaintes judiciaires déposées contre le gouvernement par des médecins ou des particuliers ou de l’annonce de partis d’opposition, qui ont l’intention de déclencher des enquêtes parlementaires sur les décisions et les actions du gouvernement face au Coronavirus. Cela ajouterait de la pression au gouvernement en lutte contre la diffusion de l’épidémie en France. 

Depuis des années, nos hommes politiques s’écoutent beaucoup. Imagine-t-on Michel Debré, Georges Pompidou ou François Mitterrand se plaindre de ce qu’une pression indue pesait sur eux? Beaucoup aspirent à de hautes fonctions mais les prétendants d’aujourd’hui ont oublié la belle formule des « plus hautes responsabilités ». Quand la dérive a-t-elle commencé? Peut-être lorsque Laurent Fabius a expliqué, dans l’affaire du sang contaminé, qu’il était « responsable mais pas coupable »; ou lorsque Valéry Giscard d’Estaing a cru opportun de se mettre publiquement sur un divan et de proposer à ses concitoyens de le psychanalyser après qu’il eut publié « Le Pouvoir et la Vie ». Toujours est-il qu’en France les politiques n’assument plus que rarement leurs responsabilités. Quand on ne communique pas, on gère le stress ! 

Les générations arrivant au pouvoir après 1968 ont gobé toutes les modes du néo-individualisme. Et de génération en génération, la difficulté à comprendre la nature des institutions politiques ne cesse de grandir. Une conséquence redoutable s’est mise en place, d’ailleurs: nos hommes politiques sont de plus en plus incapables d’accepter que le suffrage universel ne soit pas simplement un moyen d’arriver au pouvoir; qu’ils aient à rendre des comptes, régulièrement, devant les électeurs, par le jeu normal des élections. C’est l’une des raisons du gigantesque cafouillage autour des élections municipales: il faut avoir l’insoutenable légèreté de l’être politique moderne pour jouer avec le suffrage au point de maintenir un premier tout et de reporter le second, à quelques jours d’intervalles. Nos ancêtres savaient que l’élection est un moment sacré de l’histoire d’une nation, qui ne se prête pas aux manipulations. 

Cela fait longtemps que nos politiques jouent avec le feu. Les cohabitations ont permis à nos présidents de ne pas remettre leurs mandats en jeu, contre l’esprit des institutions créées par le Général de Gaulle. L’Union Européenne a été un formidable moyen de se défausser et de refuser d’assumer des responsabilités. Et puis on a organisé un grand théâtre d’ombres où, à chaque fois que le peuple grondait, on lui désignait l’épouvantail, le Front National. Tout cela a marché le temps d’une génération. Les élections de 2017, avec l’éviction de François Fillon par son propre parti et l’élection par effraction d’Emmanuel Macron ont constitué un avertissement. Mais tout à l’ivresse de leur triomphe inattendu, les macroniens n’ont pas compris la gravité de l’heure. L’Union Européenne, empilement de défaussements des dirigeants nationaux, apparaît pour ce qu’elle est: une machine encore plus irresponsable que les dirigeants qui l’ont créée. La diabolisation du Rassemblement National fonctionne de moins en moins. Surtout la politique échappe à nos apprentis-sorciers, comme l’a montré la crise des Gilets Jaunes. 

Et les juges, direz-vous, ne jouent-ils pas dans tout cela un rôle utile? J’aurais plutôt tendance à les voir comme le symptôme le plus éclatant de la crise de la légitimité démocratique. François Mitterrand ayant manipulé les esprits, entre 1986 et 1986, pour ne pas remettre en jeu son mandat et même se faire réélire, il a fallu l’acharnement de juges courageux pour traquer l’immense corruption du parti socialiste. Jacques Chirac, celui qui déclarait pendant les manifs de l’automne 1995, « Je m’en f..., je suis là pour sept ans ! » a été, après son départ du pouvoir, douze ans plus tard (donc cinq de cohabitation ! ) le premier ancien président à comparaître devant des juges. Avec les années, les juges ont acquis un pouvoir démesuré et qui est devenu pervers lui-même car l’influence disproportionnée du syndicat de la magistrature a profondément politisé et perverti l’exercice légitime du pouvoir judiciaire. La France est aujourd’hui prisonnière de plusieurs douces folies: celle de nos jeunes et de moins en moins sémillants technocrates qui nous expliquent, « en même temps », que rien ne leur résiste et que le pouvoir est infiniment stressant. Et des juges qui veulent « se faire » les politiques puisqu’ils pensent avoir le soutien de l’opinion pour le faire. 

Edouard Philippe est en train de découvrir à ses dépens que les Français auraient beaucoup pardonné à ceux qui auraient tenu, depuis le début, un discours de vérité, d’abord en expliquant que l’impact du virus est plus terrible que prévu. Mais l’exécutif n’a pas choisi une parole rare et vraie. Le Président et son, premier ministre nous accablent à quelques jours d’intervalle et de manière récurrente d’une rhétorique creuse et d’explications obscures. Comme les actions ne suivent pas et comme le gouvernement ne fait pas confiance aux Français, à leur créativité, aux forces entrepreneuriales, aux capacités d’organisation de leur peuple, le schéma désormais bien en place se remet en place: des citoyens se tournent vers la justice et l’opinion bruisse de plus en plus fort du grand règlement de compte à venir. Sentant le vent tourner, les autres partis se mettent à crier de plus en plus fort avec la foule. S’il avait un peu de culture politique, à défaut d’avoir l’instinct de l’action publique, Emmanuel Macron se dirait qu’il est peut être encore temps de sacrifier son Premier ministre au mécontentement populaire - cela suffirait-il? 

Edouard Philippe aurait raison d’avoir peur. Cependant il peut se dire aussi qu’un Président qui n’a pas su imposer sa volonté sur le report des municipales au Président du Sénat, n’est pas très dangereux pour lui. En fait, les deux têtes de l’exécutif sont entrées dans une phase où elles cherchent de plus en plus évidemment à gagner du temps, à repousser le moment fatidique où il faudra « rendre des comptes », soit dans les urnes soit devant un tribunal.  En attendant, des Français, en particulier parmi les plus âgés, meurent des suites de l’imprévoyance gouvernementale. 

Pour retrouver sur Atlantico l'analyse de Régis de Castelnau et de Corinne Lepage sur les procédures contre le gouvernement, cliquez ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !