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Les secrets du modèle coréen : des masques et des tests pour tout le monde, mais pas de confinement ni de vie privée
©JUNG Yeon-Je / AFP

Atlantico Business

Le modelé appliqué en Corée du Sud pour lutter contre l’épidémie apparaît désormais comme le plus efficace du monde. Le protocole passe par la traçabilité digitale de tous les habitants. Pas de confinement mais une utilisation massive de toutes les innovations numériques.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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Le modèle appliqué avec succès en Corée du Sud pose aux Occidentaux une question très simple : celle de la liberté individuelle et de la vie privée. Sont-ils prêts, pour se protéger de l’épidémie du Coronavirus, à abandonner tous les moyens techniques et juridiques qui leur préservent une vie privée et une liberté individuelle les plus larges possibles ?

Parce que le protocole utilisé par les Coréens pour pister la circulation du virus passe essentiellement par la traçabilité de ceux qui portent ou qui sont susceptibles de porter le virus.

La technologie coréenne conjuguée aux habitudes sociales permet de situer géographiquement chaque Coréen, ses déplacements et ses rencontres. Plus précisément encore, les applications existent pour permettre à chaque Coréen de savoir si, dans son entourage proche, il y a des risques de contagion ou pas.

Cette application fonctionne exactement comme un des sites de rencontre les plus populaires dans le monde qui permet à tout un chacun de savoir si, dans son entourage il y a des contacts possibles ou pas. La seule différence, c'est que sur le site "Happn", on repère les adhérents inscrits sur site, alors que sur le « corona-web" en Corée, l’inscription est de fait automatique. Chacun sait quel est le statut et l’état de santé de son voisin ou tout simplement de la personne qu‘il croise dans la rue ou dans le métro.

Cette carte d’identité sanitaire est mise à jour grâce à des tests quasi-systématiques. Ces tests ont deux intérêts : ils permettent évidemment de trier ceux qui sont positifs et ceux qui ne le sont pas. Puis dans un deuxième temps, la technologie permet de tracer l’historique des rencontres et des contacts de tous les cas testés positifs via le trafic des téléphones portables.

Cette connaissance très fine permet enfin de découvrir la source de la contagion ( qui a contaminé qui ) et permet aussi de prévenir tous ceux qui, à partir de cette source sont susceptibles d’être contaminés. D’où la généralisation des masques pour ralentir la circulation du virus.

Cette formidable chasse digitale au virus, qui n’est pas sans ressembler à la chasse aux Pokémon, nécessite évidemment en amont une offre de masques et de tests très large, ce que n’avaient pas les Occidentaux. Mais cette chasse nécessite aussi un maillage très serré au niveau des opérateurs de téléphonie mobile en 4G et aujourd'hui pour plus de précision en géolocalisation en 5G. Merci Samsung.

Parallèlement, il faut aussi que chaque Coréen soit équipé d’un téléphone mobile. Ce qui est le cas puisqu’il existe en Corée plus de mobiles que d’habitants.

De l’avis de tous les experts, c’est ce type de protocole qui a permis à la Corée du Sud qui était le deuxième foyer le plus infecté du monde après la Chine, d’enrayer l’évolution du virus et de limiter les dégâts pour revenir aujourd’hui pratiquement à une vie quasi normale.

Techniquement, rien ne s’opposerait à ce que les pays Occidentaux puissent utiliser pareil protocole. Nous avons les techniques, les logiciels, les maillages de réseaux. Sauf que les pays européens n’ont pas voulu et pas pu suivre ce chemin stratégique parce qu’ils n’en ont pas les moyens, mais aussi parce qu’il allait à l’encontre des principes éthiques et des valeurs démocratiques.  En fait, il y avait trois raisons.

D’abord, parce que dans un premier temps les pays occidentaux ne croyaient pas à la gravité de cette épidémie. Ils avaient tous en mémoire l’expérience du SRAS qui a finalement fait très peu de morts, y compris en Asie. Aucun pays européen ne s’est préparé, parce qu’un tel scenario ne leur paraissait pas plausible. Aucun pays par exemple n’a pu constituer de stocks de masques en nombre suffisant. Aucun pays n‘a même protégé des structures de production nationale qui lui auraient garanti une autonomie et une sécurité d’approvisionnement. Tous ont retardé les commandes de masques, et tous les pays ont passé commande à l’industrie chinoise qui était mal en point.

Ensuite et dans un deuxième temps, aucun pays européen n’a pu procéder à des campagnes massives de tests parce qu‘aucun n’avait la capacité de répondre à ce type de demande. Et les pays européens se sont retrouvés, au même moment ou presque, dans l’incapacité de fournir des respirateurs dans des chambres de réanimation quand la vague des malades gravement atteints a déferlé.

Ensuite, il faut reconnaître que les opinions publiques ne croyaient pas elle-même à la gravité de cette crise. D’autant que les masques ne sont pas dans nos habitudes vestimentaires de tous les jours. Dans une usine ou sur un chantier à la rigueur mais dans la rue ou le métro, non. Alors que les Asiatiques ont pris l’habitude d’en porter, ne serait-ce que pour se protéger de la pollution.

Enfin, l’utilisation à très grande échelle des données personnelles pour assurer la traçabilité de chaque être humain ne paraissait pas même imaginable dans les vieilles démocraties occidentales. D’ailleurs, cette idée même provoque un débat partout, en Italie, en Allemagne, en Espagne et évidemment en France. N‘oublions pas que la dernière grande initiative européenne, celle sur laquelle les pays membres avaient réussi à se mettre d’accord, portait sur le renforcement de la protection des données personnelles face à la puissance et à l'impérialisme des Gafam. Alors que techniquement, tout est possible. Nous sommons capables de dresser des profils de consommateurs, on aurait dû être capable de dresser des cartes de santé consultables et accessibles sur une application mobile. 

Cela dit, ce qui n’était pas envisageable au début faute de prévision et d’organisation, pourrait l'être pour gérer la sortie de crise et la fin du confinement. A ce moment là, il est peu probable qu’on ait un médicament et un vaccin. Il faudra donc bien continuer de se défendre.  Les masques vont devenir accessibles, les tests aussi... Rien ne nous empêchera donc d’inscrire son état sanitaire afin qu’on puisse renouer des rapports sociaux et économiques en toute confiance. Repérer ceux qui sont immunisés contre le virus parce qu’ils ont contracté la maladie et fabriqué leurs anticorps comme dans n’importe quelle grippe. Repérer ceux qui sont porteurs et donc contagieux, soit pour les soigner soit pour les mettre en quarantaine afin qu’ils ne contaminent pas ceux qui sortent indemnes.

Rien ne nous empêche de mettre en place de tels protocoles. Rien sauf qu’il va falloir accepter d’attenter à la vie privée et à la liberté individuelle ? Ce sera le prix à payer. Pas sur que nos vieilles démocraties soient prêtes à le faire.

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