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Derrière le Covid-19 : la déflation déjà presque là ?
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Endettement

On soigne à la dette massive, on verra après si on paye.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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La déflation, c’est l’idée que les prix vont baisser, suite à la chute de l’activité. Si « je » le pense, alors je n’achèterai pas aujourd’hui mais demain, puisque ce sera moins cher – et je reste « liquide ». Demain, je ferai une bonne affaire. Mais « je » ne suis pas seul. Presque tout le monde va attendre demain, donc une spirale infernale se met en place : les prix baissent parce que l’activité s’effondre et la liquidité monte… chez ceux qui peuvent bien sûr. Mais « en face », il faut bien payer les achats, l’électricité, les loyers, les salaires, alors que les ventes s’effondrent ! La liquidité manque ici, alors qu’elle est abondante là. Alors, ici, il faut faire des rabais, pour soutenir ce qui peut l’être, et ainsi de suite. Les banquiers appellent sans cesse, les profits disparaissent, les salariés s’angoissent, les fournisseurs menacent : les délais de paiement s’étirent. De proche en proche, tous les prix baissent : actions, biens, services, maisons et bien sûr aussi : salaires (primes d’abord). C’est bien pourquoi cette spirale doit être arrêtée avant de « trop » se mettre en place. Aujourd’hui, ce n’est pas une guerre ou une cascade de faillites bancaires ou d’États qui peut entraîner la spirale déflationniste, mais une crise sanitaire qui fait tout arrêter. C’est plus grave car plus disséminé et très psychologique.

C’est pourquoi il faut agir en dispensant du pouvoir d’achat, par le déficit budgétaire et le crédit, avec des chiffres énormes et le dire ! Pourquoi le dire ? Pour que la confluence des « je » se fracture : tous ne penseront pas que demain sera moins cher. Pourquoi « énormes » ? Pour que « je » ne pense pas qu’il est certain que demain ce sera moins cher, et que j’en parle ! Alors nous serons moins à attendre, à stocker des liquidités « en cas » et « pour faire plus tard de bonnes affaires ». L’activité reprendra peu à peu. Des milliards et surtout les mots qu’il faut : voilà comment traiter cette pandémie économique.

Le plongeon est là : en zone euro le 24 mars, l’indice Markit de l’activité globale (une enquête flash auprès des entreprises) passe de 51,8 en février à 31,4 en mars, son plus faible niveau depuis 1998, bien au-dessous du pire de la crise des subprimes de 2007-2008. Pareil en France, avec presque les mêmes chiffres : de 51,9 à 30,2. Tout se contracte : les entreprises non livrées ne peuvent produire, d’autant que toutes sont freinées par la quarantaine ! La contraction est pire dans les services : on peut arrêter immédiatement les projets informatiques ou les campagnes publicitaires. Aux États-Unis la contraction sera plus forte, l’effet de la baisse boursière (un tiers depuis janvier) y affectant plus vite et fort la demande et les décisions des entrepreneurs. Le taux de chômage va monter en flèche.

Attention : les baisses de prix débutent ici. Dans les enquêtes Markit publiées le 24 mars, les entreprises manufacturières commencent à réduire leurs prix pour soutenir leurs ventes et liquider leurs stocks.  On le voit dans l’automobile. Dans les services, les remises arrivent, avec les baisses d’emplois futurs et le contrôle des coûts, notamment salariaux.

Donc il faut que les milliards pleuvent, euros ou dollars, pour stopper la crainte de la contraction. 1050 milliards d’euros jusqu’en décembre en zone euro, des refinancements des banques à -0,75% pour qu’elles fassent crédit et compensent leurs pertes futures, des normes bancaires qui se relâchent : la Banque Centrale Européenne sort son bazooka. En même temps, les déficits budgétaires explosent : comme l’activité s’effondre, les impôts ne rentrent pas ou sont différés, les promesses d’aides aux entreprises et aux chômeurs s’ajoutent, plus les garanties de prêts par l’État. L’Union Européenne annonce qu’elle oublie ses contrôles sur le respect des normes de déficit et de dette. En France, on parle de 50 milliards d’euros de déficit budgétaire en plus, vers 130 milliards, et un niveau de dette par rapport au PIB qui irait vers 125%. Aux États-Unis, l’unité de compte est le trillion (mille milliards) avec un bill de 2,5 trillions en féroce discussion entre les deux Chambres. Ceci ferait passer le déficit prévu cette année de 1,2 à plus de 2.

Alors, partout, les dettes montent : les États s’endettent auprès des ménages, des compagnies d’assurances, des banques, des autres pays. Ce sera plus cher pour eux, s’ils font plus peur. Les banques centrales achètent la dette des États, ce qui est un répit : 10 milliards d’euros par mois pour la France jusqu’en décembre. Ca sauve l’Italie, mais il faudra faire bien plus pour ce pays : développer la coopération en zone euro, et adopter chacun des comportements plus responsables, en dépensant moins pour une administration qui devra se moderniser plus.

Et après ? Bien sûr, tout le monde regarde ce qui se passe en Chine où l’activité semble repartir, en priant pour que le virus ne se réveille pas. Tout le monde regarde aussi les chiffres des autres, en attendant les effets des quarantaines, des tests, des médicaments. Mais on se doute qu’il va falloir vivre avec ce nouveau risque, en attendant le vaccin. La famille des risques augmente ! Ceci conduira à de nouveaux comportements, à plus de télétravail, à réorganiser les chaînes internationales de production, donc à plus d’emploi à proximité de la zone euro. Et là, il faudra plus de crédits.

Et qui payera ? C’est la question qui va venir. Pas la croissance, puisqu’elle sera longtemps trop faible. Pas les impôts, puisqu’ils feraient tout replonger. Pas l’inflation, puisque la concurrence mondiale et les nouvelles technologies l’empêchent. Quoi alors ? Réponse : barrer les créances de la Banque centrale sur les États, réduire de moitié le portefeuille de bons du trésor qu’elle détient et donc réduire d’autant les dettes des États auprès d’elle. Mais ce n’est pas possible ! Vous avez mieux ? Mais alors, il ne faut pas le dire ! Bien sûr, il faut attendre d’aller mieux !

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