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Coronavirus : l’Iran, Etat failli
©Shahid ALI / AFP

Foyer épidémique

L’Iran compte officiellement 1556 décès et 20.610 cas dus au coronavirus. Mais beaucoup estiment que ce bilan est sous-estimé.

Mahnaz Shirali

Mahnaz Shirali

Mahnaz Shirali est sociologue politique, directrice d’études à l’ICP, enseignante à Science-Po Paris et auteure de plusieurs livres sur l'Iran.

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Atlantico : L'Iran est particulièrement touché par l'épidémie de coronavirus. La stratégie mise en place par le pouvoir central est particulièrement critiquée. Concrètement, qu'elle est situation sur place ? Qu'elle est actuellement l'ampleur de l'épidémie ? 

Mahnaz Shirali : Il est assez difficile de savoir exactement combien de personnes sont touchées par l'épidémie de coronavirus, puisque le gouvernement iranien fait tout pour cacher la réalité de la situation. Ce que l'on sait, c'est qu'il y a de plus en plus de victimes et déjà beaucoup de mort mais aucun chiffre officiel n'a, pour l'heure, été communiqué.
L'Etat iranien ne fait absolument rien pour protéger sa population. Il est très habile pour réprimer sa population mais bien souvent inapte à la protéger en temps de crise. En effet, jusqu'à maintenant, aucune mesures préventives n'ont été mises-en-place et rien n'est fait pour que la population connaisse la gravité de la situation. Au lieu de prendre des mesures de confinement ou d'informer sa population sur l'épidémie actuelle, le gouvernement répond à la crise sanitaire actuelle par un discours idéologique. Pas de mesure sanitaire donc, mais un discours religieux qui suit ces lignes : "La mort est déterminée par Dieu : si vous devez mourir, vous mourrez ; si vous devez vivre, vous vivrez". Au lieu de protéger sa population, l'Etat ne fait donc que lui répéter que son destin est entre les mains de Dieu. En ce sens, le Guide de la Révolution a par exemple expliqué aux iraniens qu'ils devraient lire 70 000 fois une prière spécifique qui, dans le cas où ils seraient malades, les guérirait. Voilà donc l'attitude globale du pouvoir : l’irresponsabilité avec une dose de victimisation. 

En outre, le gouvernement utilise la crise actuelle pour se poser en victime. Ainsi, et alors que le nombre de victimes augmente, le gouvernement se contente de pointer du doigt les Américains et les Israéliens, qu'il accuse d'être les responsables de la crise actuelle. Il met donc en place en place une stratégie de bouc émissaire, rejetant par là-même toute responsabilité. 

Depuis le début de l'épidémie, le gouvernement n'a fait que mentir. Le gouvernement a tout simplement caché la mort des premiers malades du coronavirus. En effet, il a préféré ne rien dire afin que la population sorte dans les rues pour l'anniversaire de la Révolution islamique. Puis, il y a eu les élections législatives et parce que le gouvernement voulait que les iraniens se rendent aux urnes, il a continué de cacher la vérité. La réalité de la situation n'a éclaté au grand jour qu'après les élections et il était déjà trop tard, puisque la ville de Qom -ce sont des séminaristes chinois qui ont apporté le virus dans cette ville sainte en faisant ainsi la première ville touchée par l'épidémie de Covid-19 en Iran- n'a pas été mise en quarantaine et que le virus c'est donc propagé de manière spectaculaire.

La situation est aggravée par le manque total de préparation, le matériel médical de première nécessité n'est par exemple pas disponible. Et cela va même bien plus loin. En effet, de source très sûre, il semblerait qu'une bonne partie de l'aide envoyée par la communauté internationale à l'Iran, ait été détournée par les hauts dignitaires du régime à des fins personnelles et pour être envoyé vers les groupes dissidents qu'ils soutiennent en Irak et en Syrie. Ainsi, même lorsque aide internationale il y a, le peuple n'en voit pas la couleur et les hôpitaux non plus. 

Alors que l'épidémie continue de se propager, quel est impact des sanctions américaines alors même que Washington entant les renforcer ? 

Les sanctions aggravent la situation de l'Iran, c'est vrai. Le quotidien des iraniens est d'autant plus difficile que la situation économique du pays était déjà bien moribonde avant les sanctions. Cependant, une bonne partie de la population iranienne n'a rien contre Washington et rien fondamentalement non plus contre ces sanctions. Effectivement, qu'il y ait des sanctions ou non, que le pays reçoive une aide extérieure ou non, le peuple n'en voit jamais ou presque jamais la couleur. Prenons l'exemple des réserves médicales : l'Iran était censé avoir d'importantes réserves médicales mais dès le lendemain de l'accord sur le nucléaire iranien de 2015, ces réserves ont diminué. Pourquoi ? Parce que certains hauts dignitaires voulaient s'enrichir et pour se faire, ils ont créé des pénuries, augmenté les prix et désormais le pays n'a plus de réserves. Dès lors, le problème principal n'est pas les sanctions américaines, mais le pouvoir lui même. 

Le régime actuel ne se préoccupe en rien de sa population, ne se sent pas responsable de son bien-être. La crise actuelle ne fait que souligner ce que l'on savait déjà  : l'Etat iranien est un Etat délinquant puisque le personnel politique, à sa tête, se contente d'accaparer les richesses sans se soucier, en rien, du peuple. De plus, lui-même n'est guère en danger d'un point de vue médical, puisque contrairement à la population il applique les règles : Hassan Rohani n'a pas été vu depuis le début de la crise sanitaire, et tous disposent de masques, gel hydroalcooliques... 

On peut même aller jusqu'à dire que si Washington allégeait les sanctions durant cette crise, le gouvernement américain ne ferait que servir le pouvoir iranien. Il ne faut donc probablement pas toucher aux sanctions. 

Les experts  que l'épidémie de coronavirus, si elle n'est pas contrôlée, couplée aux sanctions américaines pourraient causer la mort de 3.5 millions d'iraniens. Est-ce que cette estimation, extrêmement alarmante, vous paraît crédible ? Que devrait faire les Etats-Unis ? Doivent-ils alléger les sanctions durant la crise ? Quel rôle doit jouer la communauté internationale ? 

Cette estimation est tout à fait crédible et rejoint celle faite par les experts iraniens sur place. En revanche, comme je l'ai dis plus haut, les sanctions n'ont que très peu d'impact sur cette estimation. Le problème n'est pas le rôle joué par les Américains -d'ailleurs les iraniens ne comprennent plus pourquoi leur pays s'oppose constamment aux Etats-Unis et à Israël-  mais la défaillance de l'Etat central. 

Pour que cette estimation ne devienne pas réalité, la communauté internationale doit arrêter de soutenir le régime de quelque façon que ce soit. En outre, toute aide au régime -même si l'intention est d'aider le peuple- est détournée et ne sert ainsi que le pouvoir lui-même. L'Europe -puisque c'est principalement elle qui soutient toujours le régime- et le reste de la communauté internationale doivent comprendre que le régime islamique n'a aucune légitimité sociale, aucune légitimité populaire. Ils doivent demander aux ayatollahs de céder leur place et de la laisser aux intellectuels, aux technocrates, etc. 

Mais, puisqu'il est très peu probable qu'ils acceptent de partir, il faut multiplier les pressions et couper les aides. Si personne n'achète de pétrole iranien, par exemple, le gouvernement sera bientôt sans vivre. On ne peut plus se contenter de les laisser les choses telles qu'elle sont alors que la répression du mouvement de contestation sociale, qui avait lieu avant la crise sanitaire, a fait -et c'est seulement une estimation puisqu'il s'agit de chiffres officiels- 1 500 morts. La communauté internationale n'avait pas réagi, mais désormais elle doit cesser tout contact avec un régime qui n'est en fait qu'un Etat délinquant d'autant plus que si l'on s'en fie au droit international communiquer avec un Etat délinquant est interdit.... 

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