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C’est la Russie, et non le communisme qui a gagné la Guerre face au régime totalitaire nazi
©Rue des Archives/©Rue des Archives/PVDE

Bonnes feuilles

Eric Branca publie "De Gaulle et les grands" aux éditions Perrin. Charles de Gaulle fut un personnage hors normes dans une époque qui n'en était pas avare. Qu'ils soient dictateurs (Hitler, Staline, Franco, Mao, Nasser), chefs d'État ou de gouvernements démocratiques (Churchill, Roosevelt, Kennedy), ils entretinrent des rapports singuliers avec De Gaulle. Extrait 2/2.

Eric Branca

Eric Branca

Historien et journaliste, Eric Branca a publié une dizaine d'ouvrages dont Histoire secrète de la droite (Plon,2008) et le très remarqué Les entretiens oubliés d'Hitler (Perrin,2019)

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En cette fin de l’année 1944, l’homme du 18 Juin en est plus que jamais persuadé : ce n’est pas le communisme qui s’apprête à mettre l’Allemagne à genoux, c’est la Russie. Le communisme, on l’a vu à l’œuvre avec les grandes purges de 1936-1938 qui ont décapité l’Armée rouge et expliquent son effondrement de l’été 1941 face à l’assaut de la Wehrmacht. On a failli aussi en voir le résultat en Ukraine, où la grande famine de 1932-1933 a jeté une partie de la population du côté des Allemands, accueillis sous les fleurs quand ils ont pénétré en Union soviétique… Staline lui-même ne s’y est pas trompé en décidant, face à l’immensité du péril, de rouvrir les églises et d’abandonner l’Internationale comme hymne officiel, bref, d’en appeler à la Russie éternelle face à l’invasion. Sans elle, de Gaulle en est certain, le sursaut n’aurait jamais eu lieu. 

Et quel sursaut ! Le 20 novembre 1944, alors qu’il s’apprête à se rendre en URSS via Le Caire et Téhéran, s’est produit un tournant symbolique : Hitler, pressé par l’avance de l’Armée rouge, a dû abandonner son quartier général de Rastenburg, en Prusse-Orientale, là même d’où, en juin 1941, il avait lancé la Wehrmacht à l’assaut des plaines russes. Symbole de son rêve calciné, ce repli précipité annonce l’invasion du Reich et démontre ce que les alliés de l’Ouest doivent à ceux qui, au prix de 10 millions de morts, ont brisé la machine de guerre allemande. Oui, « quelque horreur » qu’à Washington et à Londres on puisse avoir pour le communisme, les Russes ont bel et bien permis, par leur sacrifice, le succès du débarquement de Normandie. Ce second front que Staline réclamait à cor et à cri aurait-il, en effet, pu être ouvert sans l’enlisement puis l’engloutissement de plusieurs centaines de divisions ennemies dans les plaines d’Ukraine et du Caucase ? Quand on sait que, le 6 juin 1944, en fin de matinée, le général Bradley fut à deux doigts d’ordonner le rembarquement des troupes américaines d’Omaha Beach, décimées à 80 %, la réponse s’impose d’elle-même… 

Cette évidence, de Gaulle l’a pressentie dès le 22 juin 1941, quand, en apprenant l’invasion de la Russie par la Wehrmacht, il déclare à son entourage, stupéfait, que Hitler a irrémédiablement perdu la guerre. Quarante-huit heures plus tard, depuis Damas où la 1re division française libre vient de faire son entrée, il donne instruction à ses collaborateurs restés à Londres d’établir immédiatement des relations militaires avec Moscou. Et le 26 septembre, le gouvernement soviétique le reconnaît comme « chef de tous les Français libres », accréditant auprès de lui l’ambassadeur Bogomolov, cependant que de Gaulle envoie le général Petit comme officier de liaison militaire. 

Quand celui-ci arrive à Moscou, en cet automne de 1941, la capitale de l’URSS vit au rythme des communiqués de victoire de la Wehrmacht que rien ne semble devoir arrêter. Le 13 octobre, la situation devenant critique, Staline ordonne l’évacuation du gouvernement et des principales administrations vers Kouïbychev (aujourd’hui Samara), 900 km à l’est, et reste seul dans la capitale avec une partie seulement de l’état-major… Le 2 décembre, les panzers sont à moins de 30 km du Kremlin, dont les tours sont visibles dans les jumelles d’état-major… Tout semble perdu. Mais le 3, le « général Hiver » se met de la partie : la température descend à – 50 °C ! Mieux équipée, l’Armée rouge déclenche sa contre-offensive et, le 6, les divisions sibériennes du général Joukov dégagent définitivement Moscou. 

C’est ce rétablissement inouï que, le 20 janvier 1942, de Gaulle salue à la BBC dans un discours d’hommage au peuple russe qui, au-delà du lyrisme provoqué par l’événement, fixe les grandes lignes de sa vision géopolitique jusqu’en 1969 : 

« Il n’est pas un bon Français, dit-il, qui n’acclame la victoire de la Russie… Pour l’Allemagne, la guerre à l’Est, ce n’est plus aujourd’hui que cimetières sous la neige, lamentables trains de blessés, mort subite de généraux… Tandis que chancellent la force et le prestige allemands, on voit monter au zénith l’astre de la puissance russe. Le monde constate que ce peuple de 175  millions d’hommes est digne d’être grand parce qu’il sait combattre, c’est-à-dire souffrir et frapper, parce qu’il s’est élevé, armé, organisé lui-même et que les pires épreuves n’ébranlent pas sa cohésion… 

« Même si, dans l’ordre stratégique, rien ne s’est encore produit de plus fructueux que l’échec infligé à Hitler par Staline sur le front européen de l’Est, dans l’ordre politique, l’apparition certaine de la Russie au premier rang des vainqueurs de demain apporte à l’Europe et au monde une garantie d’équilibre dont aucune puissance n’a, autant que la France, de meilleures raisons de se féliciter. » 

Voilà qui est dit à l’intention des Américains, lesquels, aux yeux du Général, se déshonorent en ménageant Vichy pour mieux prendre les rênes de la France libérée. Et voici ce que, trois ans plus tard, en cet hiver non moins glacial de 1944, il vient redire de vive voix à Staline, en espérant qu’il l’aidera à briser la relégation internationale que Roosevelt, on l’a vu, a bien l’intention de faire subir à la France.

Pour Staline, la France n’est plus  qu’une puissance de second ordre

Pour attentif qu’il soit à limiter l’influence des États-Unis en Europe, Staline, cependant, n’en partage pas moins avec le président américain un même sentiment sur la France : comment un pays dont l’armée a été réduite à néant en trente-neuf jours et dont les représentants légaux – à défaut d’être légitimes – n’ont eu de cesse de collaborer quatre années durant avec le vainqueur peut-il prétendre encore peser dans la balance des puissants ? Certes, le dictateur soviétique a pu apprécier l’apport fourni, depuis 1943, à la défense de la Russie par l’escadrille Normandie-Niémen. Il n’ignore pas davantage le concours modeste mais résolu apporté par les Forces françaises libres à la lutte contre l’Allemagne. Et en machiavélien qu’il est, il juge en connaisseur la manière dont le général proscrit et condamné à mort de 1940 est parvenu à s’imposer aussi bien contre ses ennemis que contre ses alliés. Mais en matérialiste absolu, il mesure son importance, hic et nunc, à l’aune de ce qui, chez lui, tient lieu de mètre-étalon : le nombre de divisions, comme il vient d’ailleurs de le dire à Churchill lors de la conférence de Moscou (9-14 octobre 1944)… 

En un mot comme en cent, s’il ne nourrit aucune hostilité contre de Gaulle, et même témoigne à son endroit une certaine admiration, il ne prendra pas le risque de déclencher une crise majeure avec Roosevelt pour lui être agréable. Sa priorité est de ménager le président américain pour obtenir qu’il n’entrave pas son grand dessein : la prise de contrôle de l’Europe, à l’est de l’Allemagne. Et même, s’il le peut, d’une partie de celle-ci…

Or ce que vient lui demander de  Gaulle, sous les espèces d’un nouveau pacte franco-soviétique, a toutes les chances de se heurter au veto américain, et même britannique : la constitution d’un glacis français à l’ouest du Reich. Soit rien d’autre que la rive gauche du Rhin érigée en État tampon autonome !

Extrait du livre d’Eric Branca, "De Gaulle et les grands", publié aux éditions Perrin. 

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