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Le cas Buzyn ou la mise sous assistance respiratoire de la promesse d’efficacité du gouvernement
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Serment d’hypocrite

Interrogée par Le Monde dans un article qui lui est consacré, Agnès Buzyn, revient sur l'actuelle crise sanitaire. Et alors qu'elle était encore ministre de la Santé au début de la crise, elle assure avoir pris conscience de la gravité de la situation très tôt et fustige la réponse tardive du gouvernement.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico: Agnès Buzyn assure avoir envoyé un message au Président de la République le 11 janvier pour l'avertir qu'une épidémie se profilait en Chine avant d'en envoyer un deuxième au Premier ministre en lui demandant de reporter les élections municipales. A quelles fins Agnès Buzyn fait-elle ces révélations aujourd'hui ? Que gagne-t-elle à affirmer à posteriori qu'elle avait bien pris conscience de la gravité du problème alors qu'encore ministre de la Santé, elle déclarait le 24 janvier dernier, que "le risque de propagation du coronavirus dans la population" était très faible ?

Arnaud Benedetti: C’est apparemment une femme qui s’effondre , qui craque . Pour autant , de deux choses l’une : où ce qu’elle dit est vrai mais alors pourquoi n’a-t-elle pas démissionné pour créer un électrochoc ? Ou cette interview vise à sanctuariser son image, image tout à la fois de médecin et de responsable publique , et alors il s’agit de se défausser sur les deux têtes de l’exécutif ... 

Depuis des semaines des questions se posent quant à la responsabilité de Madame Buzyn en tant que ministre au démarrage de cette crise . Le problème de Madame Buzyn c’est qu’elle n’est pas, à l’instar de  la plupart des ministres techniciens, structurée politiquement. Elle agit comme une subordonnée dans une entreprise ou dans une administration. Un politique c’est quelqu’un qui dans un gouvernement a une autonomie, un ethos spécifique, qui s’estime à raison investi d’une responsabilité politique. Jean-Pierre Chevenement avait parfaitement résumé cette disposition lorsqu’il disait qu’ " un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne ". 

Madame Buzyn s’est tue, n’a pas vraiment agi, et parle comme s’il s’agissait de soulager sa conscience : elle n’assume pas. C’est le syndrome du repenti qui " balance " pour se sauver. Non seulement elle ne se sauve pas, mais elle manque de loyauté vis-à-vis de ceux qui lui ont accordé leur confiance. Le pire c’est qu’elle n’assume même plus ses propos car elle publie un communiqué juste après la parution de l’article du " Monde " pour nous expliquer que ses propos ont été mal compris. Madame Buzyn incarne à elle seule la misère de la com' : elle ne fonctionnait, y compris lorsqu’elle était ministre, que par éléments de langage. La ministre ne pouvait dissimuler derrière ses fiches et ses postures, pour un œil exercé, son manque de vertèbres politiques. Confrontée subitement à la dureté du combat, à ses échecs après les municipales, à sa mauvaise gestion de la crise du coronavirus ( je rappelle qu’au tout début elle considérait que les affichettes dans les aéroports suffisaient à informer les passagers ), le réel est de retour et c’est cruel.

Ces affirmations remettent totalement en question les compétences d'un gouvernement, qui avertie par l'épidémie de coronavirus très tôt, l'aurait prise à la légère. Elles remettent également en question, la crédibilité de la parole publique. Comment expliquer une telle stratégie du gouvernement ? Pourquoi mener à terme le premier tour des élections alors qu'ils savaient que le second tour n'aurait pas lieu ? Et pourquoi avoir tardé à réagir s'ils avaient déjà pris conscience de la gravité de la situation ? Est-ce une forme d'incompétence ou plutôt une volonté de ne pas trop en dire en vue de rassurer la population ?

Arnaud Benedetti: Pour le moment restons prudents. Madame Buzyn avec ses déclarations fait indéniablement remonter de plusieurs crans la chaîne de responsabilité. Est-elle consciente que ses déclarations sont susceptibles de relever de la cour de justice de la république ?  Encore une fois il y a eu défaut de réactivité, ne serait-ce que dans sa communication mais pas seulement, du ministère de la Santé lorsque l’épidémie en Chine a pris des proportions hors de contrôle. 

Madame Buzyn veut-elle désormais "mutualiser" en quelque sorte l’imputation de cette responsabilité à d’autres ? C’est le sentiment désagréable qui se dégage à la lecture de ses propos. Sous couvert de "mater dolorosa", elle expose ses états d’âme névrotiques, se donnant presque "le beau rôle " d’une conscience déchirée qui n’aurait pas été entendue, qui aurait fait campagne par devoir mais qui ne reconnaît nullement ses propres responsabilités ni dans la gestion chaotique de la crise , encore moins dans son hallucinante décision de quitter le ministère alors qu’elle dit avoir été consciente qu’un tsunami arrivait !!! Autre hypothèse : ce sont peut-être également les propos d’une ministre qui a été exfiltrée , dont on a habillé l’exfiltration par la nécessité du combat électoral et qui vit désormais très mal cette situation. Auquel cas l’amertume est mauvaise conseillère. 

Pour en revenir à votre question , si l’exécutif a maintenu les élections , c’est qu’il n’a pas anticipé le sujet du report quand il était encore temps de le faire. C’est à ce moment quand notamment Matignon a reçu les chefs de partis qu’il eut été possible de créer les conditions d’un accord politique entre les différentes forces. Le jeudi soir c’était bien trop tard. La mécanique était inexorable. 

Il va de soi enfin que si Madame Buzyn dit vrai, c’est-à-dire avoir informé Matignon et l’Elysée dés Janvier, de la gravité de la situation et de l’impossibilité de la tenue des élections, ses déclarations fragilisent alors les efforts de l’exécutif pour nous expliquer depuis plusieurs jours sa stratégie graduée. Si l’exécutif avait des éléments alarmants dès janvier, pourquoi avoir adopté une telle stratégie qui à chaque phase de la crise et de la propagation faisait prendre du retard aux autorités sanitaires ?

Quel impact peuvent avoir ces révélations sur le gouvernement ? Comment peut-il rebondir après les déclaration d'Agnès Buzyn, sa crédibilité n'est-elle pas lourdement entachée ?

Arnaud Benedetti: Pour le moment la tonalité générale est à l’unité nationale. Viendra le moment du grand debrief. Cependant, l’interview de l’ex-ministre entretient le doute, le renforce même, sur ce qui a manqué au début de la crise : une estimation adaptée de la menace. L’incertitude scientifique était une réalité . Les responsables de l’action publique ont du construire leurs réponses dans le contexte de cette incertitude. Pour autant, ils avaient une boussole. Cette boussole c’était la constitution et le principe de précaution constitutionnalisé par Jacques Chirac. Avons-nous agit conformément à ce principe , avons-nous décliné celui-ci avec toute l’injonction constitutionnelle qu’il suppose ? Ce sont ces questions qu’il faut se poser. 

Dans tous les cas, l’appel à l’unité nationale ne saurait couvrir les fautes commises en amont, ou alors c’est le principe même de la responsabilité politique qui serait dissous au nom des circonstances exceptionnelles. Une économie à l’arrêt  des libertés publiques lourdement entravées, des risques sanitaires : tout ceci méritera des explications. Si cela ne se faisait pas, c’est l’essence même de  la démocratie libérale qui serait en danger. Le virus ne peut pas tout à la fois liquider l’économie, la liberté de circulation et de réunion et la démocratie. Et c’est par la démocratie et elle-seule que nous remonterons la chaîne des responsabilités et que nous pourrons surmonter cette épreuve.

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