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(Non) solidarité européenne : honnir la Grèce pour mieux l’abandonner
©Reuters

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Si tout a commencé en Grèce, tout risque, aussi, d’y prendre fin sous les coups d’Erdogan, que le monde regarde impavide transformer les migrants en armes d’assaut. Quant aux Grecs submergés, on préfère ne pas les voir.

Radu Portocală

Radu Portocală

Radu Portocală est un écrivain et journaliste français, né en 1951 en Roumanie, pays dont il fut exilé par le pouvoir communiste en 1977. En tant que journaliste, il a collaboré depuis 1985 avec divers organes de presse en France : RFI, Le Point, Le Quotidien de Paris, Libération, etc. En sus de sa bibliographie roumaine, il est l’auteur de plusieurs ouvrages en français : Le vague tonitruant (Kryos, 2018), L’exécution des Ceaucescu (Larousse, 2009), Autopsie du coup d’État roumain, (Calmann-Levy, 1990).
Diplômé en Relations internationales, il fut directeur de l’Institut culturel roumain de Paris.
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Il est de bon ton, chez les gens qui pensent comme il se doit, de dire le plus grand mal des Grecs. Et ce n’est pas d’hier.

    L’entrée précipitée de la Grèce dans la Communauté économique européenne, en 1981, a été vue par beaucoup comme une sorte d’effraction, voire une plaisanterie d’assez mauvais goût. Tout d’un coup, la Grèce cessait d’être juste cet endroit aimable où l’on va passer des vacances fort peu chères pour ne plus s’en soucier ensuite. Elle devenait le partenaire inattendu dont il convenait de se méfier quelque peu : au 19e siècle, le mishellénisme n’avait-il pas succédé, dans l’esprit occidental, au philhellénisme ? Il suffisait de le raviver.

    L’« affaire macédonienne » fut à l’origine du premier mouvement d’humeur contre les Grecs. Cette ancienne république yougoslave, créée par Tito en 1945 sous l’impulsion de Staline, se détacha de la Yougoslavie en 1991 et voulut prendre le nom de Macédoine. Athènes, qui voyait dans cette décision les prémisses de revendications territoriales à venir, s’opposa à ce qu’une entité habitée par des Bulgares, Albanais et Serbes prît le nom d’une de ses provinces historiques. Outré, comme si sa propre survie en dépendait, l’Ouest réagit hystériquement, traitant les Grecs de tous les noms, les accusant de toutes les bassesses, et, en fin de compte, leur inventant un violent antisémitisme de masse.

    Il va sans dire que l’adhésion à la CEE n’a produit en Grèce aucun miracle. L’adoption de l’euro non plus. Bien au contraire. Soumise à des contraintes bien au-dessus de ses moyens, son économie a décliné rapidement. Le passage à la monnaie commune, avec une soudaine augmentation des prix, lui a apporté une pauvreté qu’elle n’avait pas connue auparavant.

    On découvrit que le pays était endetté. Des explications lumineuses nous furent fournies sur-le-champ : les Grecs sont des paresseux incurables qui passent leur vie à bavarder dans les cafés (comme si, dans le reste du monde, les cafés étaient en permanence vides) ; les Grecs ne vivent que pour parasiter la généreuse Europe ; les Grecs sont les champions du monde de la fraude fiscale. À ce propos, un important « témoignage » fut largement diffusé : quelques paragraphes du livre La Grèce contemporaine, publié en 1854 par Edmond About, champion du mishellénisme, où les Grecs sont décrits comme un peuple d’escrocs.

    Certes, nul ne voulait se rappeler, dans les chancelleries occidentales, que pendant un demi-siècle la Grèce a été vigoureusement encouragée à faire auprès de ses amis de l’OTAN d’exorbitants achats d’armes, et que, les moyens de ces achats lui faisant défaut, elle s’est vue octroyer des emprunts qu’elle ne sollicitait pas. On oubliait, également, qu’arrivé au pouvoir en 1981, le socialiste Andreas Papandreou avait contracté des dettes faramineuses afin de nationaliser tout ce qui pouvait l’être, poussant ainsi l’économie grecque vers le chaos et la ruine. Tout cela a pesé et pèse encore bien plus que le temps passé par les Grecs dans les cafés.

    Maintenant, c’est à cause des migrants que les bonnes âmes se révoltent contre la Grèce. Elle n’en veut pas, elle n’en veut plus. Car voilà des années qu’elle connaît et subit la question migratoire.

    Dès 1990, des Russes et des Polonais vinrent s’installer dans le quartier d’Omonia, au centre d’Athènes. Mendicité et trafics en tous genres – les drogues, notamment – prirent un essor jamais connu auparavant. Entreprenante et bien organisée, la mafia albanaise n’eut aucun mal à se substituer aux amateurs et s’emparer de la plupart des réseaux, instaurant, par-dessus le marché, la prostitution infantile – autre terrible nouveauté. D’innombrables bandes de voleurs venus de Roumanie se mirent à cambrioler les maisons et à dépouiller les passants. Le démembrement du bloc soviétique fut un désastre pour les Grecs.

    À partir de 1997, et surtout après 2000, des vagues successives de migrants africains – principalement provenant du Nigeria et du Sénégal, mais aussi du Congo et de l’Angola – déferlèrent sur la Grèce. À moins d’une incitation malveillante – ce que, somme toute, ne saurait étonner si l’on tient compte des activités déployées en ce sens par les organisations qui gravitent autour de la fondation de George Soros –, la chose en soi est dépourvue de toute logique. Pourquoi, en effet, s’établir de force dans un pays qui sombre, où il n’y a ni allocations ni subventions ? Les belles âmes occidentales ne se posèrent pas cette question, dont elles connaissaient peut-être la réponse. Houspiller les Grecs et les accuser de mesquinerie leur suffisait.

    La plupart de ces migrants ont élu domicile dans les autrefois paisibles quartiers athéniens Patissia et Kypseli, où les prix de l’immobilier n’ont pas tardé à s’effondrer. Avec eux, Athènes est devenue une ville violente – et c’est en grande partie à cause de cette violence que l’« Aube dorée », considérée comme une formation néonazie, a repris son activité, après de longues années d’hibernation.

    Les expéditions américaines en Orient ont eu, elles aussi, et ont encore, de brutaux retentissements en Grèce, de même que le généreux appel à l’envahissement lancé par Angela Merkel. Traversant la Turquie, réfugiés et migrants – ceux-ci en bien plus grand nombre que ceux-là – s’invitèrent en Thrace, au Nord-Est du pays, ainsi que dans bon nombre d’îles de la Mer Égée. L’Europe ne fit rien pour aider la Grèce, tandis que la Turquie – dont on a sans doute oublié que, pendant la guerre de Bosnie, elle a affirmé son rôle de « protecteur naturel des musulmans des Balkans » – se frottait les mains : avoir, dans des régions qu’elle convoite depuis deux siècles, une population qui lui soit acquise ne peut que flatter ses ambitions. Cela fait donc des années que le conflit gronde entre ces nouveaux arrivants, de plus en plus nombreux et vindicatifs, et la population chrétienne locale.

    Désormais, la volonté d’Erdogan de faire chanter l’Europe se transforme en punition contre la Grèce – à telle enseigne qu’on est en droit de se demander si ce n’est pas celui-là, en réalité, le vrai but d’Ankara. La frontière grecque est prise d’assaut, sous le regard sombre des « humanitaires », qui profitent pour aller encore plus loin dans la condamnation des Grecs. Ils seraient tous, nous dit-on, devenus fascistes. Étrange coordination avec Erdogan, qui les compare, lui, aux nazis. Les champs incendiés par les migrants qui réussissent à traverser la frontière, les églises dévastées, les maisons pillées n’émeuvent pas grand-monde. On n’est pas loin de nous dire qu’il s’agit de la rétorsion juste de ceux dont on ne souhaitait pas la présence chez soi.

    À cette situation insoutenable, l’Europe a trouvé une réponse inepte : elle va donner beaucoup d’argent à la Turquie – dont la manière de transformer les migrants en outil politique ne gêne pas les esprits démocratiques – et très peu à la Grèce. Seuls l’Autriche, la Pologne et Chypre ont décidé d’envoyer des policiers pour aider leurs confrères grecs à contenir la vague humaine. Les autres se contentent de discours nébuleux et de conseils inutiles.

    Avant d’être un encombrement de plus pour l’Occident, l’ouverture des frontières turques est une agression contre la Grèce, qui éprouve seule les premières conséquences – et certainement pas les dernières – des ambitions néo-ottomanes d’Ankara. Mais cela, bien entendu, ne trouble personne. Maugréant contre les mauvais Grecs, les sages attendent, comme à leur habitude, qu’il soit trop tard.

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